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 d’ADHEOS

Une tribune d’Irène Théry, sociologue, directrice d’études 
à l’EHESS.
 
L’OMS considère que la GPA fait partie de la procréation médicalement assistée (PMA). Il faut le rappeler car la PMA est en réalité le nœud caché du débat sur la GPA, comme le révèle depuis deux ans l’hostilité de plus en plus paroxystique des catholiques intégristes de la Manif pour tous à l’une et à l’autre. Relayant l’opposition dogmatique de Rome à toute PMA, ils font de la GPA l’exemple même des « abominations » auxquelles conduit inévitablement la manipulation technique par la médecine de la procréation « naturelle » du couple hétérosexuel sous la couette. Tout engendrement avec don est ainsi condamné, y compris ceux qui sont licites en France, comme le don de sperme, d’ovocyte ou d’embryon.
 
En France, toute l’histoire de l’AMP avec don depuis 45 ans a été marquée par l’objectif de ne pas heurter de front l’Eglise, comme l’a raconté le fondateur des CECOS, Georges David. C’est pourquoi nos lois bioéthiques ont inscrit dans le marbre le modèle Ni vu ni connu, alors que beaucoup de pays l’ont abandonné depuis longtemps au nom de l’intérêt de l’enfant. En France encore aujourd’hui, on organise les dons, puis on les cache, on fait disparaître le donneur comme s’il n’avait jamais existé, et on fait passer le couple receveur pour celui qui aurait procréé l’enfant. Ce modèle pseudo-procréatif explique pourquoi en France on refuse toujours avec acharnement d’ouvrir la PMA aux couples de femmes… Mais les choses vont plus loin encore. Il y a chez nous un véritable déni du don, et il affecte particulièrement les dons féminins (don d’ovocyte et don de gestation).
 
Ainsi, la division de la maternité biologique en deux (une maternité génétique et une maternité gestationnelle) rendue possible par la fécondation in vitro, est purement et simplement occultée : le droit français, voulant conserver à tout prix l’adage traditionnel « la mère est celle qui accouche », considère non seulement que la mère gestationnelle est la seule et unique « vraie mère », mais va plus loin : il fait comme si elle était aussi la mère génétique. Ainsi, en droit français, le don féminin d’ovocyte n’existe pas davantage que le don masculin de sperme. On l’efface, comme s’il n’avait pas eu lieu. Par contrecoup, toute revendication d’une maternité « génétique » est frappée de discrédit dans notre pays, comme si les femmes qui peuvent concevoir un embryon mais ne peuvent le porter, n’avaient aucune légitimité à vouloir, elles aussi, devenir mères en transmettant la vie …
 
Quant à la gestation pour autrui, elle n’est même pas concevable tant que l’on reste enfermés dans les rails du modèle bioéthique à la française. Car quel don d’engendrement, davantage que celui-ci, suppose de penser le sens et la valeur du don, de mesurer son implication pour la personne de la donneuse, de mettre au premier plan la qualité des relations donneurs-receveurs (relations que le droit bioéthique français se targue d’empêcher radicalement), de méditer les risques encourus et de s’en prémunir, de clarifier les places respectives de chacun, d’instituer en commun l’histoire de l’enfant, bref de faire avec résolution ce que nous nous refusons toujours à faire : donner place et sens dans notre société à l’engendrement avec tiers donneur ?
 
Là se situe le véritable point obscur, le point d’impensé collectif sur lequel reposent tous les malentendus qui agitent la France sur la GPA, à la stupeur croissante de nos proches voisins, tels les Belges, les Anglais ou les Grecs. Cet impensé explique le ton véhément, les images d’apocalypse, les mots faits pour blesser qui sont utilisés par certains pour en parler : femme « sac », enfant « acheté », « esclavage »… Et cela au détriment de tout effort de connaissance, de toute distinction entre les situations morales et juridiques les plus opposées, mais aussi de tout respect des enfants concernés dont pourtant nos « anti-GPA » se prétendent les super-défenseurs. Et au mépris le plus élémentaire de la réalité. Ainsi, il faut vraiment n’avoir jamais vu une seule situation concrète pour continuer encore à assimiler les gestations pour autrui éthiques instituées dans plusieurs pays démocratiques (et dont plusieurs gestatrices que j’ai rencontrées, m’ont dit : « A part ma propre famille, rien ne m’a autant valorisée dans ma vie »), et les gestations instrumentales organisées par des mafias dans certains pays, au mépris des femmes et de leurs droits fondamentaux.
 
C’est très exactement comme si on disait que l’adoption internationale éthique organisée par notre droit était la même chose que le trafic d’enfant le plus abject, puisqu’il y a dans ce monde des riches et des pauvres, de l’offre et de la demande, et donc du « marché des bébés »… Mais on semble ne pas percevoir le parallèle, tant pour certain(e)s le fait de vouloir porter l’enfant d’autrui est tout simplement un acte impossible, inconcevable au point d’aller jusqu’à refuser de reconnaître que dans les GPA éthiques les gestatrices ne portent jamais leur propre embryon et n’abandonnent donc jamais leur enfant, et cela alors même que les exemples concrets de ces engendrements sont accessibles aisément autour de nous (grâce aux témoignages, et au travail des documentaristes et des chercheurs), et qu’il est parfaitement possible de s’informer.
 
A la faveur du mariage pour tous, les choses ont fortement empiré, car les opposants à la GPA et les opposants à l’homoparentalité se recouvrent très souvent, y compris sous la forme d’un « féminisme anti-pères gays » de plus en plus virulent. Au-delà des rangs militants, ou des positions de telle personnalité –Sylviane Agacinski étant la plus connue pour son double combat contre la GPA et contre la filiation homoparentale–, la diabolisation la plus extrême de la GPA est devenue en deux ans le mode de « réflexion » de nombre de nos politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche. De fait, les clivages semblent sur ce sujet davantage générationnels que politiques, face à ce que nombre des plus de 60 ans semblent voir comme une sorte de « fin du monde humain ».
 
Cette diabolisation forcenée a eu deux conséquences qui sont, pour la gauche, un sujet urgent de méditation. Il y a quelques mois, on a vu un collectif de personnalités de gauche (le Corp) utiliser toute l’emphase rhétorique habituelle –« produit », « chose », « livré », « commandé « etc– pour tenter que la France refuse d’appliquer le droit, après les arrêt « Mennesson » et « Labassée » du 26 juin 2014 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, ont condamné notre pays pour n’avoir pas permis la transcription à l’état civil français de la filiation d’enfants nés de GPA faites légalement à l’étranger.
 
Dans cette mobilisation pour qu’une catégorie d’enfant de parents français n’ait pas de filiation reconnue à l’état civil, les constituant en une sorte d’étrangers dans leur propre pays, nos personnalités de gauche, animées de si belles intentions, n’ont pas semblé voir qu’elles renouaient une très ancienne attitude : celle qui, autrefois, marquait au front les bâtards, pour les punir des fautes que l’on reprochait à leurs parents.
 
Et d’ailleurs, quelle faute ont-ils commise exactement ?
 
Ici intervient une nouvelle initiative du même collectif, encore plus inquiétante que la première : sa mobilisation récente pour l’abolition de la GPA dans le monde. On sait que la Manif pour tous les a précédés et s’est donné ce grand mot d’ordre pour l’avenir : « l’abolition universelle de la GPA ». On doit reconnaître que c’est une idée tout a fait cohérente avec le dogme catholique, qui prône comme je l’ai rappelé l’abolition universelle de la PMA. C’est une idée tout a fait cohérente avec leur idée que le don d’engendrement en général est une horreur car les « vrais parents » d’un enfant sont les parents biologiques. Une idée cohérente avec leur idée que la « vraie mère » est celle qui accouche. Mais qui aurait cru que des personnalités de gauche se joindraient à ces courants hyper réactionnaires, pour réclamer à leur tour le même mot d’ordre ? C’est pourtant ce que vient de faire le collectif le Corp.
 
On est d’autant plus accablé lorsqu’on sait que ce mot d’ordre d’abolition universelle n’arrive pas par hasard : son but explicite est de combattre la régulation internationale de la GPA, autrement dit la plus grande initiative démocratique qui existe aujourd’hui sur le sujet, celle de la Conférence de la Haye, qui s‘efforce aujourd’hui de mettre en place pour la GPA internationale et contre le « trafic de ventres » dans le monde, la même démarche que celle qu’elle a élaborée il y a une dizaine d’années pour réguler l’adoption internationale éthique et combattre le trafic d’enfants.
 
Là est le grand débat pour demain. Il aura au moins le mérite de clarifier les choses dans le camp des progressistes : ou bien la « régulation internationale » de la GPA, avec les pays démocratiques réunis à la Conférence de la Haye, ou bien la dénonciation de la Haye, et le mot d’ordre d’abolition universelle de la GPA avec la Manif pour tous, le réseau international anti-avortement de No maternity traffic, et le collectif Le Corp.