« Malheureusement, la peur de l’autre a une nouvelle fois frappé. » L’artiste franco-algérien Kader Attia a adressé à son réseau amical et artistique, mardi 3 juin après-midi, un mail de réaction à la fermeture par l’Etat sénégalais de l’exposition « Imagerie précaire, visibilité gay en Afrique », à laquelle il participe dans le cadre du off de la 11e Biennale d’art africain contemporain de Dakar, qui a ouvert le 9 mai et se tient jusqu’au 8 juin.
Contacté par Le Monde.fr, l’artiste affirme par ailleurs que le centre d’art qui accueillait cette exposition, Raw Material Company, avait été attaqué et vandalisé par des extrêmistes dans la nuit du lundi 12 au mardi 13 mai. Il explique avoir été prévenu par la directrice de l’exposition : « Des intégristes ont attaqué le centre d’art d’art en s’en prenant au bâtiment. La devanture, les éclairages ont été détruits. Ils se sont sont arrêtés là pour l’instant, promettant de revenir finir le travail commencé. L’Etat vient de leur donner raison en interdisant cette exposition et d’autres, ce qui va les renforcer dans leur mission aveugle… »
Le site d’information Times24.info recensait lundi les différentes étapes qui ont mené à la décision par l’Etat sénégalais de suspendre ce jour-là toutes les expositions abordant la question de l’homosexualité. Celles-ci ont commencé à réellement faire parler d’elles le 14 mai, lorsque le photographe Mamadou Gomis en a fait le sujet de sa chronique TV, au lendemain d’un article publié dans Le Monde.
Les autorités sénégalaises n’ont dans un premier temps pas réagi à diverses interpellations de religieux ou de citoyens ordinaires choqués par ces expositions dénonçant l’homophobie. Le secrétaire général de la Biennale, Babacar Mbaye Diop, avait finalement affirmé à la radio que le Dak’Art n’était « pas responsable du Off, mais des expositions In », ce qui a entraîné de nouvelles attaques de religieux.
« ATTENTATOIRE À NOS BONNES MŒURS »
Samedi matin, dans une autre émission de télévision, le vice-président de l’organisation islamique Jamra, Mame Mactar Guèye, exigeait « la fermeture sans délai » de tous les sites d’exposition donnant une visibilité à l’homosexualité, un appel entendu par l’Etat, dont un reponsable anonyme a donné l’ordre de fermer les sites concernés dans la foulée.
Jamra et l’observatoire de veille MbañGacce ont salué cette décision dans un communiqué, dont Times24.info rapporte les propos : « Cette manifestation, supposée promouvoir notre culture, se révèle être un support de propagande des unions contre-nature. Il est donc incontestable que cette présente édition du Dak’Art soit attentatoire à nos bonnes mœurs et nos lois. » Au Sénégal, comme dans de nombreux autres pays africains, l’homosexualité est passible de prison.
PAS ANTICIPÉ
A la mi-mai, la Sénégalaise Koyo Kouoh, fondatrice du centre Raw Material Company, ne semblait pourtant pas craindre d’attaques homophobes : « La société sénégalaise est très conformiste, mais des expositions comme celles-là peuvent se faire, constatait-t-elle dans Le Monde. Le contexte artistique n’est pas perçu comme influent ou menaçant, contrairement à un contexte scolaire ou sportif. »
Dans son message de soutien, Kader Attia déplore le fait que le gouvernement a « cédé à la pression des musulmans intégristes ». Il invite à partager cette information et à rendre compte « d’une maladie terrible, qui se répand dans le monde : l’obscurantisme ».
TRANSSEXUELS D’ALGER À BOMBAY
Parmi le travail de cinq artistes d’horizons divers d’« Imagerie précaire, visibilité gay en Afrique », exposition qui avait ouvert le 11 mai, les photos de Kader Attia présentent des individus transgenres en Afrique du Nord et s’intéressent au rapport au corps dans les sociétés musulmanes d’hier et d’aujourd’hui. La Sud-Africaine Zanele Muholi y propose des portraits dénonçant la violence subie par des personnes homosexuelles.
Ailleurs, chez la galeriste Aïssa Dione, l’artiste sénégalaise Mame Diarra Niang s’est inspirée d’un fait divers : l’exhumation, en 2009, d’un jeune Sénégalais présumé homosexuel que ses parents, faute de pouvoir l’enterrer dans un cimetière, ont inhumé dans leur jardin. Le photographe nigérian Andrew Esiebo explore également ce tabou avec ses portraits d’Africains gays. Enfin, Milumbe Haimbe, originaire de Zambie, présente dans l’exposition internationale de la Biennale « Ananiya The Revolutionist », une série de quinze « illustrations numériques » où une super-héroïne noire et lesbienne remplace les classiques super-héros de BD.
- SOURCE LE MONDE