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 d’ADHEOS

Entre Eric Debarbieux et la violence, c’est une histoire de 35 ans. Leur premier rendez-vous a symboliquement lieu le jour de sa première rentrée, en 1978 dans la Drôme. Le jeune instituteur spécialisé doit séparer deux garçons qui se bagarrent violemment sur le seuil de sa classe. "Moi qui pensais qu’il allait être plus facile de gérer des classes que les groupes de délinquants de Roubaix auprès de qui j’avais travaillé cinq ans comme éducateur", se souvient le nouveau délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, nommé le 17 septembre par Vincent Peillon.
 
La force d’Eric Debarbieux, 59 ans, c’est d’avoir flairé avant tout le monde que la violence scolaire était une affaire sérieuse. D’avoir imposé des méthodes d’enquête scientifique sur le sujet, vulgarisé des mots nouveaux comme la "victimation" (ces enquêtes dans lesquelles les personnes sont interrogées sur les infractions dont elles ont été victimes), d’avoir fait mûrir les esprits.
 
"LA CLASSE DES FOUS"
 
"La prise de conscience médiatique et politique sur la violence scolaire remonte à 1991. A cette époque, des lycéens manifestent pour réclamer plus de surveillants. Cela marque les esprits et inscrit la lutte contre la violence à l’agenda politique", se souvient-il. Cette année-là le natif de Roubaix obligé de gagner sa vie dès ses 20 ans, arrive au terme d’études de philosophie faites "pour le plaisir".
 
Il soutient une thèse sur "La folie et les fous dans la pensée platonicienne". Loin de sa pratique ? Pas du tout puisque c’est toujours à lui qu’on confie "la classe des fous". "C’est vraiment comme ça qu’on appelait mes classes pour enfants échoués !", s’étonne-t-il aujourd’hui encore. Bien sûr, ça l’interroge, "cette façon de nommer l’autre, avec toute la violence que cela induit". En parallèle à cette soutenance, il publie son premier livre La violence dans la classe (ESF, 2001). Ça ne fait que commencer, une longue liste suivra, qui ausculte la violence sous toutes les coutures.
 
A l’université de Bordeaux où il enseigne, il pose tôt les fondations de son Observatoire de la violence scolaire, d’abord européen (en 1998) puis international (en 2004). Une instance qui produit des recherches, des études, organise des conférences mondiales sur le sujet, à compter de 2001. Toujours avec des bouts de ficelle.
 
"LE BUDGET FAMILIAL A PLUS D’UNE FOIS BOUCLÉ DES TRAVAUX"
 
"Quand on commence les enquêtes de victimation en 1993, on distribue 14 000 questionnaires avec zéro centime. On doit aller à Marseille pour l’enquête, on n’a pas le choix et on descend à cinq dans ma Twingo, on se fait héberger dans le T2 d’une copine et je dois même animer une conférence pour payer l’essence !", s’étonne-t-il rétrospectivement.
 
Aujourd’hui l’Observatoire – dont il a démissionné de la présidence mardi 18 septembre – n’a toujours pas de secrétariat. "Eric a investi sur son sujet dans tous les sens du terme. Et le budget familial a plus d’une fois bouclé des travaux", rappelle Catherine Blaya, son épouse, mère de leur fille, et universitaire qui mène des travaux sur le harcèlement.
 
Pour prendre son envol, l’universitaire a dû quitter l’Observatoire et choisir l’université de Nice que l’ombre du "Monsieur violence" français n’atteint pas ! Eric Debarbieux se réjouit de rejoindre la rue de Grenelle d’abord parce qu’il se dit "très service public", ensuite parce qu’il espère disposer des moyens de travailler aux trois missions fixées par Vincent Peillon : observer, conseiller, agir. Le ministre lui a donné cette assurance.
 
Avant lui, son dernier soutien à gauche remontait à Jack Lang. Sa présence en ouverture de la première Conférence mondiale sur la violence, en 2001 et celle du premier ministre en clôture lui valent un black out de la part de la droite. Classé pédagogue et de gauche, il devra attendre Luc Chatel pour être à nouveau convié rue de Grenelle. Et cette fois c’est à gauche que sa collaboration paraît suspecte. Surtout quand son nom apparaît dans la liste du 1er janvier 2011 des promus au grade de chevalier de la Légion d’honneur.
 
"CAUTION PÉDAGOGIQUE"
 
On le dit "caution pédagogique" voire "alibi" d’une politique sécuritaire parce qu’il préside le comité scientifique des Etats généraux de la sécurité à l’école. M. Debarbieux estime aujourd’hui n’avoir "pas volé la décoration" et convaincu le ministre d’alors sur certains points. Si la Conférence ne s’est pas appelée Etats généraux de la violence à l’école, mais plutôt de la sécurité, c’est sa patte qui est derrière.
 
Cette fois encore, il sait que son entrée dans l’institution sera difficile. Confortable, mais exigeante du point de vue de son positionnement. "Ce qu’on apprécie dans mon discours d’universitaire, sera critiqué demain dans la bouche du délégué ministériel". Mais il a tellement envie d’y aller.