L’ancien maire socialiste de Paris s’alarme que malgré les positions du Rassemblement national (RN) contre nos droits ainsi que ses accointances avec le lobby homophobe international, des personnes LGBTQI+ s’apprêtent à donner leur voix à Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, le dimanche 24 avril 2022. Bertrand Delanoë appelle à ne pas oublier si vite qui est l’extrême droite.
Il ne sort de son silence que pour les grandes occasions. Pour Bertrand Delanoë, maire socialiste de Paris de 2001 à 2014 aujourd’hui âgé de 71 ans, l’entre-deux tours de cette élection présidentielle 2022 en est une. Il fut l’une des premières personnalités politiques à faire son coming out, en 1998, marquant l’histoire de l’évolution des moeurs alors que la droite, alors en ordre de bataille contre le Pacs, assumait une homophobie décomplexée dans la rue et les médias. Soutien depuis 2017 du président Emmanuel Macron, Bertrand Delanoë rappelle pour Têtu·que l’extrême droite s’est systématiquement opposée à chaque évolution des droits des personnes LGBTQI+. Et il met en garde avant le second tour : élue présidente, Marine Le Pen reviendrait sur ces droits. Entretien.
Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen s’abstient depuis 2017 de toute référence aux questions LGBT. Que dire de ce changement de stratégie ?
Ce n’est pas parce que Marine Le Pen ne prend plus position publiquement contre les droits LGBT qu’elle ne les attaquera pas. Son parti n’a pas changé. Il est toujours raciste, antisémite et homophobe. Sa présidente a adopté un maquillage séduisant, mais le fond reste le même. Madame Le Pen est toujours entourée de ceux qui ont construit l’extrême droite. Si elle devenait présidente de la République, ce serait une catastrophe pour nos valeurs humanistes et le respect de nos différences.
Son père, Jean-Marie Le Pen, qui était président du FN (ex-nom du Rassemblement national) lorsque vous étiez maire de Paris, a été condamné pour avoir assimilé homosexualité et pédophilie. Le Pen fille a adopté une posture très différente en s’entourant notamment de gays dans sa garde rapprochée…
Quelques homosexuels jouent les idiots utiles autour d’elle mais nous ne serons pas épargnés. Madame Le Pen est habile mais n’a rien changé à ses convictions : elle a les idées de l’extrême droite, les pratiques de l’extrême droite, et tous ses proches en Europe sont des dirigeants ultra-réactionnaires qui limitent la liberté d’expression, qui mettent au cause l’État de droit, qui mettent en cause le droit à l’IVG et qui sont homophobes, le meilleur exemple étant Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois.
Un tiers des couples homos mariés avait pourtant voté Front national aux élections régionales de 2016 et, selon notre sondage cette année, 16% des personnes LGBT se disent séduits par le RN dans cette présidentielle 2022.
Je veux dire aux jeunes qui n’ont pas connu l’époque récente où le FN était encore infréquentable de ne pas sous-estimer la réalité et le danger de l’extrême droite. Je suis heureux que les nouvelles générations vivent dans une société où l’on peut aimer librement sans être stigmatisé. Mais je leur dis que cela n’a pas toujours été ainsi ! Ce sont des combats très longs, et dans ces combats très longs pour nous faire accepter, l’extrême droite a toujours été contre nous. Toujours ! Quand on s’est battu pour le Pacs, quand on s’est battu pour le mariage pour tous, quand les féministes se sont battues pour le droit à l’avortement, toujours, toujours, toujours l’extrême droite a lutté contre nos droits ou tenté de nous les reprendre. Pour préserver nos libertés, nous devons utiliser le bulletin de vote Emmanuel Macron.
“Il n’y a pas d’exemple dans le monde d’une extrême droite qui arrive au pouvoir et qui ne restreigne pas les libertés.”
Bertrand Delanoë
Dans quelle mesure Marine Le Pen pourra-t-elle revenir sur les droits LGBT si elle accède au pouvoir ?
Il n’y a pas d’exemple dans le monde d’une extrême droite qui arrive au pouvoir et qui ne restreigne pas les libertés. Il n’y a pas d’exemple dans le monde d’une extrême droite qui ne s’attaque pas aux étrangers, bien sûr, mais également aux femmes et aux personnes LGBT. On a le sentiment que rien ne peut remettre en cause nos droits, mais c’est faux. Sans doute s’est-on habitué au confort tout à fait légitime que nous donne l’égalité des droits. Or l’extrême droite est prête à prendre des procédures autoritaires. C’est un parti qui ne supporte pas que nous vivions en harmonie en étant différents.
Vous croyez par exemple que Marine Le Pen reviendrait sur le mariage pour tous, comme elle le promettait encore en 2017 en proposant à la place un “Pacs amélioré” ?
Évidemment ! Elle est prête à faire des référendums sur ce sujet, comme sur le sujet de la peine de mort. Ce ne sera peut-être pas dans les premiers mois du quinquennat, mais elle le fera. C’est son idéologie. Marine Le Pen pense tout bas ce qu’Éric Zemmour, qui a appelé à voter pour elle, dit tout haut. Elle appliquera la même politique de stigmatisation que ses amis en Pologne et en Hongrie.
Avez-vous personnellement été confronté à l’extrême droite durant votre carrière politique ?
À Paris, nous avons toujours réussi à limiter l’influence de l’extrême droite. Mais j’ai moi-même été victime d’agressions homophobes de la part de l’extrême droite française. Le journal Minute s’était spécialisé dans les insultes et caricatures homophobes à mon égard. Je les ai fait condamner une fois, d’ailleurs.
- SOURCE TETU
