La société traditionnelle africaine est caractérisée par une conception particulièrement taboue de la sexualité. Un tabou qui règne et traverse l’histoire des communautés, rendant difficile, voire impossible, ou tout au moins inconfortable, l’évocation d’une sexualité qui soit différente de celle qui est perçue comme principe.
À l’instar de tous les pays d’Afrique, l’évocation du sujet LGBTQI+ (lesbiennes, gays, transgenres, queers, intersexes et autres) au Bénin suscite beaucoup d’inattention, de haine, parfois de violence, face à « un sentiment d’être »[1] apparemment mystérieux mais en pleine vogue dans le pays.
Entre la prévision des grands principes de droits humains, les nombreuses violences dont sont victimes les minorités sexuelles au Bénin, le désir d’une liberté au sein de leurs communautés, les témoignages de Gloria et Thibaut nous replongent dans les méandres de la réalité des minorités sexuelles au Bénin.
Gloria et Thibaut[2] sont tous deux des jeunes béninois de 22 et 24 ans. Ils vivent respectivement dans les départements du Littoral et de l’Ouémé. Gloria est étudiante en deuxième année. Thibaut est aujourd’hui, auxiliaire de pharmacie et travaille dans un établissement de son département.
Si leur jeune âge devait, comme pour tout jeune, être l’ombre d’un épanouissement juvénile, la réalité en est tout autre.
Je n’ai jamais aimé un garçon
Gloria aime les filles comme elle. Elle est lesbienne et a de véritables difficultés à s’imaginer une vie épanouie. « J’aime les filles. Je n’ai jamais aimé un garçon. Quand j’ai essayé une fois d’avoir une relation amoureuse avec un homme, je n’ai jamais eu le sentiment d’aimer ce jeune homme que j’ai accepté pour ne pas faire découvrir ma sexualité à mes camarades de classe. Je ne peux pas non plus dire à mes proches que je suis lesbienne par crainte de subir des moqueries, d’être confondu au diable ou d’être rejeter par ma famille» raconte-t-elle.
Quotidiennement, si elle n’a pas cours à l’Université, Gloria se rend soit à l’Église où elle médite la parole de Dieu, soit au siège d’une association de défense des droits des personnes LGBTQI+, où elle se sent en famille.
Si dans certaines régions du Nigéria, la Charia punit les homosexuels par la lapidation et que plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest pénalisent cette pratique (Togo, Ghana, Cameroun, Sénégal), il n’en est pas le cas au Bénin. Malgré des tentatives législatives pour criminaliser l’homosexualité dans les années 1990, le pays est resté relativement neutre sur cette question.[1]
D’ailleurs, selon le rapport 2021 d’Amnesty International, le 30 juin 2021, le tribunal de première instance de Cotonou a condamné l’un des agresseurs de trois filles transgenres à 12 mois d’emprisonnement, dont six mois avec sursis, pour coups et blessures volontaires.
Mais la perception sociologique de l’homosexualité au Bénin comme une maladie, une œuvre du diable ou comme étant l’émanation de la civilisation occidentale vont amener les minorités sexuelles à vivre en retranchement, obligé de cacher leurs orientations sexuelles et à vivre avec méfiance. Ce qui conforte davantage l’autel du tabou de l’homosexualité dans les mentalités, rendant inutile tout effort de recherche en vue d’une compréhension du phénomène.
« Je suis finalement libre financièrement, mais je ne suis pas libre »
Thibaut est né d’une famille de trois enfants dont il est le cadet. Très tôt, alors qu’il n’avait que 3 ans sa mère divorce avec son père qui, lui, décède 5 ans plus tard. Il sera élevé par son oncle. Mais en grandissant, Thibaut, qui se surnomme Belwine, réalise qu’il était une personne transgenre, c’est-à-dire une personne dont l’expression de genre et/ou l’identité de genre s’écartent des attentes traditionnelles reposant sur le sexe qui lui a été assigné à la naissance.
« J’ai finalement accepté mon identité inébranlable en classe de Terminale. Je suis de teint clair et très efféminé comme vous le constatez. Pendant longtemps je me suis détesté parce que je n’étais pas en mesure de courtiser des filles comme mes autres camarades le faisaient, et m’y invitaient d’ailleurs. Je me promenais pendant la récréation, à la sortie et partout avec des filles avec qui je me sens le plus à l’aise et libre à discuter. Mais il n’était pas question de faire d’elles, mes copines comme l’ont toujours voulu mes camarades garçons. Ce n’est qu’avec un jeune policier qui était inscrit dans mon école et y suivait les cours pour préparer son baccalauréat que j’ai accepté ma nature pour la première fois ».
En poursuivant, Belwine (Thibaut) raconte que «le jeune policier lui envoyait de petites feuilles sur lequel écrivait-il — je t’aime —, puis plusieurs lettres auxquelles ne manquaient pas des réponses. Puis, les soirs après les cours, dans le noir, nous nous embrassons quelques fois avant de rentrer ».
«Une fois à l’Université, je me suis inscrit au département d’Anglais où j’ai passé deux ans. J’ai résidé avec mon grand frère dans une maison d’accueil des étudiants qui appartenait à une Église. Un soir, alors que mon téléphone était perdu la veille, j’ai emprunté le téléphone de mon grand frère pour passer un appel avec mon petit ami. Nous avons discuté et nous sommes nous partagés des mots d’amour. Plus tard dans la nuit, mon frère avait allumé de la musique sur hautparleur, la femme du voisin (Pasteure) était présente, quand l’appareil commença à jouer l’enregistrement de mon appel de la soirée. En mon absence cet enregistrement écouté a été tout de suite partagé à tous mes parents, amis et même sur des forums familiaux. C’est ainsi que mon calvaire à commencé. J’ai été ligoté, frappé plusieurs fois avec aussi bien des séances de délivrances que des engagements écrits à ne plus reprendre et à me trouver une petite amie parce que je suis un garçon».
Difficultés d’insertion sociale et professionnelle
Aussi bien pour Gloria, Thibaut (Belwine), que pour tous les autres homosexuels, surtout ceux présentant des signes contraires à leurs sexes de naissances, l’insertion sociale est particulièrement compliquée. Contrairement à Gloria, Thibaut, parce que très efféminé, rencontre beaucoup de difficulté au plan professionnelle. Thibaut raconte que la perte de son premier emploi était liée à son orientation sexuelle découverte par la Directrice de l’école primaire dans laquelle ce dernier travaillait. Malgré des multiples formations, notamment en Anglais, en secrétariat bilingue et en graphisme, c’est par l’entremise d’un ancien ami de son défunt père qu’il arrive à s’insérer dans la profession d’auxiliaire de pharmacie.
Et même là, »en dehors des collègues filles qui me comprennent et discutent beaucoup avec moi, parfois de leurs problèmes de couples, les garçons ainsi que beaucoup de clients se moquent de moi. Je suis quotidiennement harcelé dans mon quartier.»
De nombreuses autres personnes LGBTQI+ au Bénin vivent pires que cette situation et les droits les plus fondamentaux de ces derniers sont violés.
Entre absence de jouissance des droits et désirs de liberté
Alors que le rapport 2021[3] de la Commission béninoise des droits de l’homme documente qu’il existerait plus de 20 660 personnes LGBTQI+ au Bénin, l’Association Hirondelle Club Bénin déclare que des centaines de personnes LGBTQI+ sont victimes tous les jours de violations de leurs droits. Elle dit s’être dotée d’un Refuge pour accueillir ceux parmi eux qui sont rejetés par leurs familles, sans abri, ni de quoi se nourrir et se vêtir.
On note donc un problème dans la jouissance même des droits les plus élémentaires pour certaines de ces personnes.
‘Je ne suis pas libre. Je ne jouis pas de mes droits. Ma sécurité est menacée. Un policier peut m’attraper, me frapper et me jeter en prison. J’ai peur d’être discriminé chaque minute de ma vie’ dixit Thibaut.
Pour Gloria par ailleurs, le droit le plus violé aux personnes LGBTQI+ au Bénin est le droit à la santé. Selon elle ‘les minorités sexuelles n’ont pas toujours accès à des de soins adaptés à leurs comportements sexuels. Très exposés aux infections et au VIH/SIDA, les homosexuels font l’objet d’une discrimination dans les centres publics en ce qui concerne ces services. Il n’en demeure pas moins que plusieurs structures et organismes s’assurent d’offrir ses services, mais cela reste très insuffisant, ou du moins, relativement disponible dans les grandes villes seulement.’
En poursuivant, Gloria qui a des attirances sexuelles pour les filles affirme que de plus en plus la sécurité des personnes LGBTQI+ est menacée au Bénin du fait que les policiers qui sont censés protéger tous les citoyens, se transforment en des bourreaux et maltraitent comme cela ne peut être permis en raison de leur manque d’information.
Elle ajouta qu’elle compte néanmoins sur la justice béninoise pour réprimer le cautionnement de ces pratiques qui sont contre la dignité de la personne humaine, comme indiqué par la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Et après ?
Aujourd’hui il existe des milliers de Gloria et de Thibaut ou Belwine qui, affaiblis par la société, délaissée par l’État, s’obligent à vivre dans l’ombre alors même qu’ils sont d’un monde de liberté. Ils soutiennent aujourd’hui que l’État béninois ne les protège pas suffisamment et demande un minimum de protection pour les personnes de leurs communautés, non pas pour une quelconque promotion de l’homosexualité mais juste pour protéger des Hommes contre les discriminations, les inégalités, les violences et les préjugés. Pour l’association Hirondelle Club Bénin, il est important que les juges béninois puissent sanctionner avec rigueur les cas de violations des droits des minorités sexuelles.
Et pour finir, Gloria et Thibaut laissent entendre les messages suivants.
Gloria ‘’ L’homosexualité n’est pas un choix. Je n’ai pas choisi de l’être. Je suis une bonne personne et les droits humains, c’est aussi mes droits. Le droit à la vie, à la sécurité, à la liberté, à un emploi, à une famille… ce sont aussi mes droits’’.
Thibaut (Belwine) : ‘Vivez et laissez vivre’
Conaïde AKOUEDENOUDJE, Juriste, Consultant en droits humains, Coordonnateur du Comité Actions Urgentes et Solidarités internationales/ Amnesty International Bénin
[1] Je veux parler du sentiment moral de reconnaissance personnelle d’une orientation sexuelle, indépendamment de toute fonction physique.
[2] Ces prénoms ont été changés afin de garder un anonymat sur l’identité des personnes. Toute coïncidence n’est donc que du hasard.
[3] Rapport sur l’État des droits de l’homme au Bénin, COVID-19 : Entre restriction et respect des droits de l’Homme au Bénin, 2020-2021, Page 85
- SOURCE ESPACEDROITSHUMAINS