Massimo Prearo, docteur en études politiques (EHESS) et rédacteur en chef de la revue Genre, sexualité & société, nous livre un petit résumé du nouveau rapport 2011 édité par SOS HOMOPHOBIE.
Il est des événements qui frappent comme un "coup de tonnerre", pourrait-on dire. Il est des événements chargés d’une telle concentration de rapports de forces – le pouvoir, le sexe, la politique – que leur déflagration ne peut que provoquer un véritable choc. Il en est d’autres que la récurrence et la répétition tendent à faire s’estomper, renvoyés ainsi aux calendes grecques de l’agenda médiatique et politique. La 7ème Journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie s’est déroulée, le 17 mai dernier, dans de nombreux pays, pour lutter notamment en faveur d’une dépénalisation mondiale de l’homosexualité et de l’amélioration de la condition des trans. En France, dans l’arrière-fond de l’actualité dskaienne, des centaines d’actions ont été mises en place par les militantes et les militants, par les associations, les groupes et les collectifs lesbiens, gays, bi et trans (LGBT) : distribution de matériel d’information et de prévention, kiss-in, conférences, rencontres, projections, etc.
Les statistiques recueillies par SOS homophobie dans son rapport annuel révèlent une violence de plus en plus explicite et exhibée, notamment au sein des espaces de libre expression sur internet : les blogs, les forums et les réseaux sociaux. Elles montrent également une inquiétante persistance des agressions dans l’espace public. Et les témoignages font état de cette hostilité radicale dont sont victimes les personnes LGBT. Il s’agissait autrefois de nier l’existence de l’homosexualité, d’en faire une pathologie et de la médicaliser (c’est toujours vrai pour les trans), il s’agit aujourd’hui d’empêcher la libre circulation des individus. L’homophobie "traditionnelle" prescrit l’interdiction d’en être. L’homophobie de la génération post-pacs proscrit désormais d’être là, tout simplement – dans un jardin public, dans un hall d’immeuble, dans la rue. En d’autres termes, à mesure qu’une certaine visibilité s’affiche, l’homophobie se déplace. Ce n’est plus seulement l’interdiction d’être quelqu’un ou quelque chose, c’est désormais aussi l’interdiction d’être quelque part.
"Fabien et Germain sont assis sur le banc d’un jardin public niçois. Ils échangent un baiser. Une jeune mère de famille leur demande d’arrêter : ‘C’est choquant pour les enfants !’ Le ton monte, la femme injurie le couple puis frappe Germain au visage. Au prétexte de défendre la mère de famille, une bande de jeunes se jette sur le couple et le tabasse. Germain, inconscient, le visage ensanglanté, est transporté à l’hôpital" (p. 24).
Et aussi : "Léa appelle la ligne d’écoute de SOS homophobie : elle vient de se faire agresser par deux jeunes hommes cagoulés, dans le hall de son immeuble. ‘On va te casser la gueule, sale lesbienne… on va te tuer.’ Ils l’ont frappée au visage et à coups de pieds dans le ventre. Elle a un œil au beurre noir et pense avoir des côtes cassées. Prostrée chez elle, elle attend que sa compagne rentre du travail" (p. 26).
Mais encore, victime de transphobie, "Nathalie croise dans la rue près de Notre-Dame à Paris un skinhead qui l’insulte violemment et la menace de mort : ‘Sale PD, t’as mis une jupe. Moi les enculés de ta race, je les tue’." (p. 38)
La seule lecture de ces témoignages suffit à démentir cette fausse évidence selon laquelle aujourd’hui, quand même, c’est mieux qu’avant. Peut-être bien qu’avant c’était pire, réjouissons-nous en. Assurément, ces formes de rejet continuent de désigner les lesbiennes, les gays, les bi et les trans comme des personae non gratae – littéralement parlant, interdits de résidence sur le territoire français. Interdiction d’être de ce monde, d’y circuler et d’y résider librement qui donne à voir, en deçà des frontières nationales et des politiques d’interdiction migratoire, les clivages identitaires et les frontières internes que tracent les LGBT phobies comme autant d’interdictions d’entrée, comme autant de lignes à ne pas franchir. Faudrait-il, toujours, que l’ordinaire et l’arbitraire de ces faits d’interdiction et cette violence quotidienne ne finissent pas par nous y accoutumer.
- Source: Le Monde