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 d’ADHEOS

Alors qu’elle venait d’obtenir le Grand prix de la diversité de L’Autre cercle, la directrice générale Diversité du gigantesque cabinet de consulting Accenture fait le point avec TÊTU.com sur la place des LGBT dans le monde du travail.
 
 Mariée et mère de trois enfants, Armelle Carminati aurait pu se contenter d’assumer son travail – directrice générale «capital humain» et diversité d’Accenture Monde, ce qui n’est pas rien – en suivant les lignes, et en se contentant d’une définition de la «diversité» à l’ancienne, comme l’égalité hommes/femmes ou l’intégration des origines diverses. Mais elle est allée bien plus loin en posant, de façon très explicite, la question LGBT comme sujet essentiel de la diversité dans une entreprise. C’est ce travail qui a été récompensé mardi par le 3e Grand prix de la diversité de l’Autre cercle (lire aussi article).
 
Au sein d’Accenture, elle travaille avec les antennes de plus de 120 pays. Et à la tête de ce leader mondial du conseil aux entreprises, qui compte 244.000 employés, elle côtoie potentiellement des milliers d’entreprises. En somme, sans doute la personne la mieux placée au monde pour nous parler d’inclusion des LGBT (lesbiennes, gays, bi, trans) dans le monde professionnel, en France et au-delà…
 
TÊTU: Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur la thématique LGBT?
Armelle Carminati: J’ai commencé à travailler en matière d’égalité femmes/hommes. Cela m’a conduit à la question des autres talents qu’on n’arrivait pas à attirer ni retenir, comme les diversités sociales par exemple. J’ignorais où me mènerait la question LGBT, quand je l’ai abordée, mais j’avais l’impression qu’elle allait poser sur la table un des sujets pour lesquels il faut le plus de toupet en entreprise: car, au-delà de la question des talents, cela réveille des croyances et des peurs viscérales chez la plupart des interlocuteurs. C’est en fait un bon moyen de tester la maturité d’une culture d’entreprise. Sur ce sujet, la culture française dit volontiers: «C’est privé, c’est intime, ça ne concerne pas le business», soit une façon très rapide d’escamoter le sujet. Quand une entreprise veut abattre les derniers murs de la peur et de l’intolérance, s’attaquer à ce sujet est un signal fort.
 
Sur ces sujets, les pays anglo-saxons sont en avance sur nous, non?
Les Américains et les Anglais sont pionniers sur le sujet, c’est certain. Mais aujourd’hui chez Accenture, les Philippines, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, l’Afrique du Sud, l’Amérique Latine et même l’Italie et l’Inde ont très bien avancé. Le fait d’avoir plusieurs pays en route m’a aidé, par cercles de plus en plus rapprochés, à cerner le problème français. Il concerne beaucoup les pays latins – Espagne, Italie, France – pour qui la question LGBT apparaît au fond comme une menace envers le symbole extérieur de la virilité! C’est sidérant. Ceci dit, il n’y a pas le pays des anges et celui des démons: j’ai constaté que certains, même chez les anglo-saxons, s’attaquent à ce problème sans aucune conviction.
 
Alors, comment améliorer le climat pour les homos?
J’ai fini par comprendre une chose: faire de grands plaidoyers prend beaucoup de temps pour atteindre les couches supérieures de l’entreprise. Si l’on veut être efficace, il faut parler leur langage: c’est-à-dire parler business, expliquer que les LGBT sont nos clients aussi. Quand les métiers commerciaux réalisent qu’ils peuvent perdre une partie de leur clientèle, je vous assure qu’ils commencent à modifier leur comportement. Ce biais-là permet déjà de poser le sujet de façon dépassionnée. Après, on peut aborder la question du bien-être des employés.
 
Dans un deuxième temps, je parle aux managers sur le risque qu’ils peuvent faire prendre à leurs employés s’ils les envoient dans des pays où l’homosexualité est pénalisée. Un manager ne pourra pas me prêcher longtemps son ignorance s’il a envoyé au casse-pipe quelqu’un de chez moi: c’est son rôle de se renseigner et de créer un environnement assez bienveillant pour que ses employés n’hésitent pas à refuser un déploiement en Tanzanie ou en Malaisie, par exemple, parce qu’ils sont gays.
 
Enfin, puisque la formation des managers les encourage aujourd’hui à adopter un style de communication «authentique» de plus en plus basée sur des exemples tirés de leur vie privée pour créer du lien avec leurs interlocuteurs, cela restreint encore plus le champ des possibles pour les managers LGBT. Il faut aller au bout de la logique «come as you are» (venez comme vous êtes), au sens large, et éduquer les managers sur la responsabilité qu’ils ont à façonner une culture inclusive et bienveillante pour chacun dans leurs équipes.
 
Vous avez pris la présidence du comité Diversité du Medef. Est-ce que là aussi, les choses commencent à changer?
Honnêtement, créer un tel comité au sein d’une institution aussi vénérable que le Medef, il y a un an et demi, était en soi une invitation à faire bouger les lignes, et je m’en suis emparée: nous venons de lancer une grande consultation nationale afin de produire un premier «Baromètre de perception du climat d’égalité des chances», lequel contient un angle clairement LGBT. J’ai grand hâte d’en dépouiller les résultats pour comprendre comment les salariés français vivent la culture de leur entreprise. Rendez-vous fin avril, je pense!