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 d’ADHEOS

Diplomatie, migrants, homosexualité… «Libération» passe au crible le bilan de l’habile communicant François, qui subit, deux ans et demi après sa divine promotion, sa première fronde au sein de l’Eglise.
Sale temps pour François ! Le vent de la tempête souffle de plus en plus fort à Rome et l’habile jésuite argentin a de plus en plus de mal à calmer les ardeurs de ses opposants. Se tenant jusqu’au 25 octobre au Vatican, le synode des évêques sur la famille est en passe de devenir son chemin de croix. D’autant que, cette semaine, les quelque 300 prélats venus du monde entier pour réfléchir à la manière d’adapter l’Eglise aux nouvelles donnes familiales vont s’attaquer aux sujets les plus polémiques, tout particulièrement la question de l’accès aux sacrements des divorcés remariés civilement et celle de l’homosexualité. Dès l’ouverture des travaux, le 5 octobre, le pape a essuyé un tir de barrage très nourri. En cause : les nouvelles méthodes de travail du synode. Plusieurs poids lourds de l’Eglise l’ont carrément accusé d’avoir changé les règles de fonctionnement du concile (ce qui est effectivement le cas) afin de contrer toute opposition (ce qui est très vraisemblable). Bref, une escouade de cardinaux a signifié ouvertement à Jorge Mario Bergoglio qu’ils ne s’en laisseraient pas compter.
 
Le pape a tenté d’éteindre l’incendie en prenant la parole le lendemain, ce qui n’était pas prévu. Il a lancé à l’assemblée qu’elle ne devait pas se laisser aller à «l’herméneutique du complot». A mots couverts, il traitait ses opposants de complotistes, ni plus ni moins. Jetant de l’huile sur le feu, le journaliste Sandro Magister (ardent supporteur des opposants) a rendu publique, lundi sur son blog, la lettre qui a mis le feu aux poudres en début de semaine dernière et le nom des signataires.
 
Parmi ceux-ci, des piliers de la Curie comme le préfet de la doctrine de la foi, Gerhard Müller, le cardinal-archevêque de New York, Timothy Dolan, ou encore l’archevêque de Paris, André Vingt-Trois – qui dément. Ces noms donnent du poids à cette fronde. Le début de la chute de François, encore très populaire dans l’opinion publique ? En tous les cas, cela met au jour les difficultés grandissantes d’un pontificat qui commence à piétiner.
 
  • Famille : le mauvais timing
Comme un débutant, le pape François, pourtant habile tacticien, s’est mis lui-même dans l’entonnoir. Mais pourquoi a-t-il convoqué un synode sur la famille alors que son pontificat commençait à peine ? Jusqu’au 25 octobre, plus de 300 prélats venus du monde entier réfléchissent à des évolutions possibles de la conception de la famille dans l’Eglise. Avec à la clé des débats virulents autour de questions délicates au sein du catholicisme : l’accès aux sacrements des divorcés remariés ou l’accueil des couples vivant en concubinage. Avant même de lancer ce vaste chantier, le pape n’avait pas fait le ménage chez lui. Résultat : il a coalisé ses opposants. A la Curie romaine, le puissant cardinal Gerhard Müller, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, gardien du dogme, a mené la fronde. De manière assez incompréhensible, il est toujours en poste. En France, deux cardinaux conservateurs, le Guinéen Robert Sarah, en poste lui aussi à la Curie et l’Américain Raymond Burke, sous prétexte de présenter des livres d’entretiens publiés en français, sont venus mener campagne contre les réformes voulues par François. Naïvement sans doute, le pape voulait remettre à plat ces dossiers, sources de confrontation et d’incompréhension avec les sociétés contemporaines. «Il s’est ligoté lui-même», estime un observateur français. Des sources romaines confirment que le pape a freiné les ardeurs des théologiens qui ont travaillé à la préparation de cette deuxième phase du synode. La première a eu lieu en octobre et a révélé l’ampleur des blocages au sein de l’Eglise catholique, notamment en Afrique, alors qu’une majorité du clergé n’y respecte pas les normes du célibat. Ce sont les évêques allemands qui semblent les plus déterminés à avancer. Certains d’ailleurs, comme les cardinaux Walter Kasper et Reinhard Marx, ont joué un rôle important dans l’élection, en mars 2013, de Bergoglio.
 
Hormis peut-être sur le dossier des divorcés remariés, il ne faut pas attendre grand-chose du synode. François a cependant prévu un plan B. Il a décrété une année sainte en 2016 sur le thème «l’année de la miséricorde». Ce qu’il n’a pu obtenir du synode, il pourrait le décréter, seul et en tant que pape, à cette occasion. En septembre, il a déjà donné le ton en autorisant les prêtres à pardonner en confession, pendant l’année de la miséricorde, les femmes qui ont avorté.
 
  • Homosexualité : un «soutien» ambivalent
François, l’ami des gays : faut-il y mettre ou non un point d’interrogation ? A l’association chrétienne David et Jonathan, qui regroupe des homosexuels, on est enclin à une certaine indulgence vis-à-vis du jésuite argentin. «Nous sentons qu’il peut être un allié», estime Elisabeth Saint-Guily, porte-parole de David et Jonathan. Dont acte. Certes depuis son élection, François a multiplié les gestes d’ouverture. Comme sa fameuse réplique «Qui suis-je pour juger les gays ?» prononcée dans l’avion qui le ramenait du Brésil, qui fut l’un de ces grands moments, avec la visite à Lampedusa, qui inauguraient le pontificat. Mais deux ans plus tard, Bergoglio en est toujours aux gestes.
 
Lors de l’audience qu’il a accordée, le 1er septembre, à l’évêque contestataire Jacques Gaillot, il l’aurait encouragé à continuer à bénir les couples homosexuels et les couples de divorcés remariés. «La bénédiction est pour tout le monde», aurait déclaré le pape quand ce dernier lui racontait son apostolat… «Il a reçu pas mal d’homosexuels, discrètement le plus souvent, souligne de son côté la porte-parole de David et Jonathan. Mais il ne l’a jamais démenti.» Sa rencontre, le 23 septembre à Washington, avec un couple gay a eu un écho particulièrement retentissant. A la nonciature (l’ambassade du Vatican), François a passé une quinzaine de minutes avec Yayo Grassi, qui fut son élève au lycée en Argentine, et sa famille. Sur une vidéo amateur, on voit le pontife serrer dans ses bras et embrasser chaleureusement Yayo Grassi puis Irwan, son compagnon. «Il ne faut pas voir dans cette rencontre une intention politique», a plaidé Grassi dans un entretien avec le New York Times. Certes. Mais ce rendez-vous s’est tenu une dizaine de jours à peine avant l’ouverture du synode sur la famille. Comme si le pape envoyait, de manière codée, un signal. D’autant que le 2 octobre, le père Federico Lombardi, le porte-parole du Vatican, mettait un terme à une série de polémiques en déclarant que la seule audition qui avait eu lieu était bien la rencontre avec Yayo Grassi. Et non pas la brève rencontre avec Kim Davis, pasionaria anti-mariage gay américaine que François a aussi rencontrée, mais au milieu d’un groupe, convié par le nonce apostolique.
 
Parallèlement à ces grands gestes (qui ne sont pas rien dans un monde catholique plutôt coinçé, voire homophobe), le pape n’a eu de cesse de rappeler – et même fermement – ces derniers temps que le mariage concernait un homme et une femme. Il l’a encore fait, dimanche, lors de son homélie à la basilique Saint-Pierre pour l’ouverture du synode. Alors un pape illisible ? De fait, le changement de doctrine ne suit pas les gestes. La question de l’homosexualité a été mise sous le tapis à l’occasion du synode. Le pape a freiné devant les propositions formulées par le groupe de théologiens qui, autour de lui, l’a préparé. Soucieux d’aboutir sur la question des divorcés-remariés, le jésuite argentin n’a pas voulu ouvrir trop de fronts à la fois.
 
L’an passé au synode, des audacieux avait émis des pistes pour changer urgemment la culture catholique. Une révision du catéchisme s’impose. Clairement homophobe, il qualifie les actes homosexuels d’«intrinsèquement désordonnés». «La théologie catholique reste enfermée dans une notion d’altérité qui existerait seulement entre homme et femme», remarque le théologien Laurent Lemoine. Une vision renouvelée du couple gay avance timidement chez des penseurs catholiques progressistes. «Nous ne sommes pas naïfs et nous n’attendons rien du synode, avoue Elisabeth Saint-Guily. Nous voudrions seulement que le pape François condamne clairement l’homophobie.»
 
  • Environnement : l’urgence du changement
C’était le bon timing. En publiant, en juin, son encyclique consacrée à l’écologie, Laudato si, le pape a fait un magnifique coup politique. Rarement texte papal a eu autant d’écho et autant de soutiens : des partis écologistes, des personnalités altermondialistes ou encore des philosophes de renom. Ainsi, l’économiste Dominique Plihon, porte-parole d’Attac, estimait que l’encyclique de François était très bienvenue comme «caisse de résonance pour dire l’urgence d’un changement de système». Le philosophe Edgar Morin s’enthousiasmait lui aussi. Il considérait que le texte «inattendu» de François «ouvrait la voie» à un «changement de civilisation».
 
A quelques mois de la tenue à Paris de la conférence internationale sur le climat (COP 21), François s’est assuré, de fait, un substantiel intérêt. Délaissant l’exigence théologique de son prédécesseur Benoît XVI, le jésuite argentin a choisi, à travers un texte écrit simplement, d’être accessible à un large public. Comme dans tout bon récit, il y a eu du suspense. Avant la publication du texte, dans les sphères catholiques, on s’est beaucoup interrogé. Le pape François ferait-il sienne la fameuse «écologie humaine», une alternative à l’écologie politique, mettant la priorité sur des thématiques pro-vie ? Même si dans Laudato si le pape condamne l’avortement, il a nettement choisi son camp : celui de l’écologie politique. Faisant le bonheur de la gauche écologique, il y a défendu fermement les notions de «dette écologique» des pays du Nord vis-à-vis de ceux du Sud et de justice climatique.
 
A Buenos Aires, lorsqu’il était archevêque, Jorge Mario Bergoglio n’avait pas à proprement parler de fibre environnementale. Pour lui, comme pape, la question écologique est liée à celle de la justice sociale et à la critique de l’ultralibéralisme. Dans la rhétorique bergoglienne, cela devient «l’idolâtrie de l’argent».
 
  • Migrants : l’impérieux devoir d’accueil
Son premier déplacement pontifical, François l’avait symboliquement réservé en juillet 2013 à la petite île de Lampedusa. Après avoir prié devant un monument en mémoire des victimes des naufrages, il avait fustigé «la culture du bien-être [qui] nous rend insensibles aux cris d’autrui» et dénoncé «la globalisation de l’indifférence». Depuis, le pape argentin, lui-même fils de travailleurs italiens, n’a cessé de plaider la cause des migrants. Devant le Congrès américain, début octobre, il a encore réaffirmé : «Notre monde est confronté à une crise de réfugiés d’une ampleur inconnue depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette crise nous place devant de grands défis et de nombreuses décisions difficiles.»En réaction à la politique de fermeture du gouvernement de Viktor Orbán, le pape a adressé un message vidéo aux jeunes Hongrois invoquant la figure biblique du «bon Samaritain» qui, dans l’Evangile, prend soin d’un voyageur laissé pour mort sur la route par les bandits. Pour «le pape du nouveau monde», la crise des migrants n’est que «la partie émergée de l’iceberg», dont la cause est «un système socio-économique mauvais et injuste». Dans le devoir de sauvetage et d’accueil, il n’y a pas de distinctions à effectuer entre réfugiés politiques et migrants économiques. De manière générale, face à l’arrivée massive de réfugiés syriens, François est allé plus loin que les discours. Début septembre, il a demandé à toutes les communautés catholiques d’Europe d’accueillir les pourchassés. Et pour donner l’exemple, le pape a lui-même ouvert les portes de deux paroisses du Vatican. Une famille de Damas a pris place dans les appartements pontificaux.
 
  • Magistère moral : une influence auprès des puissants
Il reste sans conteste la personnalité préférée des Italiens, après avoir été élu homme de l’année dès 2013 par le magazine Time. Son encyclique Laudato si sur l’environnement est depuis des semaines en tête des ventes des essais dans la péninsule. Les foules se ruent à ses audiences du mercredi et, à l’instar de Patti Smith, les stars se pressent à ses côtés. Les divisions de François sont toujours à la manœuvre et les responsables politiques se rallient à son charisme, y compris les élus de gauche, séduits par la critique pontificale du capitalisme, à commencer par Tsípras qui, après une entrevue au Vatican en 2014, avait déclaré : «Le pape et moi pensons la même chose sur beaucoup de sujets.» Aux Etats-Unis, c’est à l’invitation des démocrates et des républicains que le pape a été – grande première – invité à parler au Congrès. A la différence de ses prédécesseurs, Bergoglio n’entend pas intervenir dans les débats de politique nationale, notamment en Italie, mais il veut exercer un magistère moral. Dans les couloirs du Vatican, on ne doute pas que la rencontre entre le pape et Angela Merkel, en février, a produit ses effets. A l’issue de l’entretien de quarante minutes, le souverain pontife avait offert à la chancelière une médaille de saint Martin partageant son manteau avec un mendiant. «J’aime bien donner cette médaille aux chefs de gouvernement parce que je pense que leur travail consiste à protéger les pauvres», avait souligné le pape. «On essaie de faire de notre mieux», avait sèchement répliqué Merkel. Le rappel à l’ordre pontifical aurait néanmoins été efficace, juge-t-on à Rome, lorsque plusieurs mois plus tard, l’Allemagne a ouvert ses portes aux réfugiés.
 
  • Curie : le grand nettoyage a commencé
Elu pour faire le ménage dans l’administration du Vatican après les scandales qui avaient poussé, en 2013, Benoît XVI à la démission, Jorge Mario Bergoglio n’a jamais fixé de calendrier. Mais la grande réforme de ce que François appelle lui-même «la dernière cour d’Europe» n’a pas encore vu le jour. Pour le pape argentin, le diagnostic est pourtant clair. En décembre 2014, il avait justifié la nécessité d’un grand changement en jugeant que les membres du gouvernement de l’Eglise étaient menacés «d’alzheimer spirituel», de «faux narcissisme», de «schizophrénie existentielle» ou encore «d’exhibitionnisme mondain». Le franc-parler de Bergoglio avait fait parcourir un vent de stupeur chez les prélats. Mais concrètement, la grande lessive n’est pas encore achevée. «La Curie a déjà beaucoup changé dans le style», met toutefois en avant Giacomo Galeazzi, vaticaniste au quotidien La Stampa. «Par exemple, les cardinaux ne roulent plus en grosses berlines. Quant à la réforme proprement dite, elle est en marche et devrait bientôt voir le jour», assure-t-il.
 
Dans les grandes lignes, la nouvelle organisation du Vatican devrait être, selon les souhaits pontificaux plus transparente, collégiale, efficace et ramassée. Au lieu de vingt dicastères (les organes de la Curie) aujourd’hui, l’administration devrait s’organiser autour de huit ou neuf entités. «Il y a aujourd’hui énormément de doublons et 54 évêques chargés de tâches administratives, c’est beaucoup trop», souligne Galeazzi, affirmant que «le pape veut une Eglise plus décentralisée».
 
Quant au Ior, la banque vaticane objet de tous les soupçons, elle a été profondément réformée. Plus de 3 000 comptes ont été fermés et les magistrats italiens auront désormais la possibilité d’obtenir des commissions rogatoires dans le cadre d’enquêtes judiciaires. De quoi faire déjà venir l’urticaire à certains prélats. Et déclencher une guerre sourde dans les palais feutrés du Vatican.
  • Diplomatie : le péché de naïveté
François aime à se définir comme «un po furbo» – «un peu rusé» – et il en use dans sa diplomatie. Son secrétaire d’Etat – c’est le nom du ministre des Affaires étrangères du Saint-Siège – Pietro Parolin est discret, sinon effacé. C’est donc le pape qui est au premier plan, notamment par de fracassantes prises de position publiques, comme à propos de la Syrie ou de l’Irak. Ou en agissant en coulisses, comme pour la normalisation entre Washington et La Havane, jusqu’ici seul véritable succès diplomatique de son pontificat. «C’est le retour de la papauté à une politique extérieure. Elle avait disparu de la scène internationale avec Benoît XVI, c’est une victoire posthume de Jean Paul II», note le vaticaniste Marco Politi.
 
Mais à la différence du Polonais, habité par le tragique de l’histoire et inlassable combattant du totalitarisme, François pèche par une certaine naïveté. En témoigne sa première initiative d’importance, en septembre 2013, après que le «boucher de Damas» avait utilisé des gaz neurotoxiques contre son peuple. Paris et Washington essayaient, lors d’une réunion du G20, de convaincre leurs partenaires de la nécessité de frappes pour punir le régime. Le pape envoya un message appelant «à abandonner la recherche inutile d’une solution militaire». Il appelait les catholiques, ainsi que les fidèles des autres religions – à commencer par les musulmans – à s’opposer, par une journée de jeûne et de prière, à toute intervention extérieure armée en Syrie. Il n’a jamais explicitement condamné les exactions du régime Al-Assad, soutenu par une majorité des chrétiens du pays.
 
Un an plus tard néanmoins, alors que l’Etat islamique lançait son offensive en Irak, massacrant ou asservissant chrétiens et yézidis, le pape reconnaissait qu’il est «licite d’arrêter l’agresseur injuste», y compris par la force. La diplomatie reste le grand point faible du pontificat.