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 d’ADHEOS

En ouvrant l’édition papier de L’Union du mercredi 23 novembre, édition de Châlons-en-Champagne, on trouve un article plutôt rare : une sélection de commentaires homophobes postés par des lecteurs en bas d’un article, publiés en pleine page, avec les profils Facebook des auteurs
Comment en est-on arrivé là ? Des affiches de prévention du VIH (sida), parmi les 8 000 diffusées dans 130 villes par le ministère de la santé, ont été taguées et dégradées à Châlons-en-Champagne. L’agence locale du journal L’Union a décidé de publier, dans l’édition du 22 novembre, un article intitulé « Cinq raisons d’avoir honte après le vandalisme des affiches contre le VIH à Châlons ».
 
« Elles sont très bien ces affiches, ça montre que l’homosexualité est un truc de pédés. » « Bande de dégénérés. » « De la pub pour la pédérastie ! Pourquoi pas pour la pédophilie ? »
 
C’est le genre de commentaires que L’Union a eu la surprise de découvrir dans la boîte de commentaires en bas de son article, ainsi que sur sa page Facebook et son compte Twitter.
 
« C’est trop facile de tout se permettre derrière son écran »
 
« On s’est dit qu’on ne pouvait pas laisser passer ça », explique, au Monde, la chef d’édition de l’agence de Châlons, Géraldine Baehr. Elle est à l’origine de l’idée de publier un « florilège » des pires commentaires, en pleine page de la version papier et sur le site Internet du journal, assorti de ce triste constat : « En 2016, l’homosexualité dérange toujours : voici notre mur de la honte. »
 
La rédaction assume d’avoir parfois publié les photographies et les noms de ses lecteurs :
 
« Les gens s’expriment sur notre page Facebook, c’est une parole publique. C’est trop facile de tout se permettre derrière son écran. »
 
Mettre ainsi en avant ces réactions n’est pas destiné à accuser tel ou tel lecteur, mais plutôt à déclencher une prise de conscience. « On espère que cela poussera les gens à réfléchir avant de commenter », précise Mme Baehr. Le rédacteur en chef de L’Union-L’Ardennais, Didier Louis, renchérit :
 
« On a transgressé une pratique journalistique en publiant des noms et des photos, mais on en prend la responsabilité. On a choisi de mettre des noms et des visages sur un propos. »
 
Lutter contre une parole raciste décomplexée
 
L’agence de Châlons et la rédaction en chef, installée à Reims (Marne), disent s’être inspirées d’autres médias ayant choisi de publier des commentaires haineux pour les dénoncer.
 
France 3 Midi-Pyrénées l’avait fait, fin octobre, avec des commentaires sur Facebook après un reportage sur l’arrivée de migrants dans la région en publiant l’article « Certains de vos commentaires sur Facebook sur l’arrivée des migrants dans la région sont insupportables ».
En Belgique, le journal De Morgen avait carrément choisi de publier, en « une » de sa version papier, certains commentaires xénophobes de lecteurs, après la mort d’un adolescent d’origine marocaine.
 
Imprimer des commentaires racistes ou homophobes, faute de pouvoir les contrôler, est-il pour autant efficace ? Dans le cas du site de L’Union, la question de la modération des commentaires se pose. Le journal permet à ses lecteurs de commenter, en passant par Facebook, directement sous ses articles, ce qui signifie que la modération ne peut se faire qu’une fois le commentaire publié.
 
Avant cet incident, L’Union songeait déjà à « resserrer » la modération, selon son rédacteur en chef. Mais parmi ceux publiés dans l’édition du 23 novembre, ceux qui figuraient en bas de l’article étaient restés « après modération ». « Les plus violents ne sont pas apparus sur le site », précise Géraldine Baehr, ce qui laisse présager de leur teneur.
 
La rédaction, dont l’initiative a été relayée par les médias français, ne veut pas se poser en « défenseur d’une cause ». « C’est avant tout de l’info locale, rappelle Didier Louis. Des affiches ont été vandalisées à Châlons. Pour nous, cette démarche reste factuelle, il ne s’agit pas d’entrer dans une spirale sur ce sujet. »
 
Pour équilibrer le traitement, et montrer que leurs lecteurs sont également capables de tolérance, L’Union prévoit déjà un « mur de parole » dans son édition du 24 novembre. Il sera, cette fois, composé de commentaires de lecteurs qui s’inquiètent d’avoir vu les affiches vandalisées.