Sans-papiers, peu payés, mal logés… Les causes de la précarité s’accumulent à Bordeaux pour les livreurs à vélo qui ne demandent qu’à travailler en toute légalité.
Depuis quelques années, ils font partie intégrante du paysage bordelais. Environ 6 000 livreurs de repas, travaillant principalement pour les plateformes Uber Eats, Deliveroo ou Just Eat, sillonnent chaque jour les rues de la métropole. Christ Tekpo Dally, Ivoirien arrivé en France à la fin de l’année 2020, est l’un d’entre eux.
Tous les matins, il attend place de la Victoire que son téléphone lui intime l’ordre d’enfourcher son vélo pour démarrer sa journée. Ce midi-là, l’application reste muette pendant plus de deux heures. Sans course à l’horizon, il ne touche pas un centime. “Depuis 10 heures, je n’ai pas encore fait de recette, je suis à zéro”, se désole-t-il en regardant son écran désespérément inanimé.
À 2,63 € la course, même en cas de forte activité, Christ Tekpo Dally ne peut espérer vivre décemment. Étant sans-papiers, il est d’ailleurs obligé de sous-louer le compte d’une autre personne en échange d’une commission. “Par mois, on s’en sort avec environ 500 €, mais celui qui a le compte et qui a les papiers, il peut prendre au moins 200 €, regrette-t-il. À la fin, il ne reste que 300 € pour un mois.”
Sans papiers, sans emploi, sans logement
Les plateformes numériques de livraison sont en effet les seules à permettre aux sans-papiers de travailler, en ayant recours au statut de micro-entrepreneur et non de salarié. Beaucoup veulent trouver un emploi dans d’autres secteurs et travailler en toute légalité, mais se retrouvent dans l’impasse, faute de titre de séjour valide.
“Si tu n’as pas de titre de séjour, tu ne peux rien faire, travailler est interdit, explique Khalifa Koeta, co-fondateur de l’AMAL (Association de Mobilisation et d’Accompagnement des Livreurs). On fait l’effort de livrer et de chercher par ailleurs d’autres contrats en CDD ou en CDI, mais quand on demande à la préfecture de nous régulariser, elle refuse ou ne répond jamais. Certains sont en attente depuis trois, quatre, cinq ans.”
“On veut juste le titre de séjour pour travailler, pas pour demander de l’argent ou profiter du système.”
Khalifa Koeta, livreur et co-fondateur de l’AMAL
Sans revenus suffisants et sans papiers, impossible d’obtenir par ailleurs les fiches de paie nécessaires à l’attribution d’un logement. Certains n’ont d’autre choix que de dormir dans des squats ou des bidonvilles, parfois avec femmes et enfants. Une précarité insoutenable, conséquence d’un cercle vicieux dont un simple document permettrait de s’extirper, selon Khalifa Koeta : “On veut juste le titre de séjour pour travailler, pas pour demander de l’argent ou profiter du système comme on l’entend souvent. C’est tout ce qu’on demande, et on nous le refuse, alors que notre vie dépend de ça. Vous imaginez la précarité dans laquelle nous sommes ?”
Vers une évolution de la loi ?
Pour leur venir en aide, une maison des livreurs a ouvert à Bordeaux en février. Elle leur permet de manger et de se reposer entre deux services, d’imprimer des documents et d’effectuer leurs démarches administratives, mais aussi de bénéficier de soins, accompagnés par des travailleurs sociaux ou des médecins. “Les problèmes de santé sont l’une des premières conséquences de leur précarité, alors on les aide à obtenir une couverture sociale, détaille Jonathan L’Utile Chevallier, coordinateur du lieu. Pour les sans-papiers, il y a ce qu’on appelle l’aide médicale d’État qui permet d’avoir un remboursement d’une partie de leurs soins. Ce n’est pas aussi large qu’une couverture classique, mais ça leur permet au moins d’accéder à des soins primaires.” Une nécessité, au vu de leurs conditions de vie et des dangers du vélo en ville.
Aide précieuse mais temporaire, la maison des livreurs ne représente pas une solution viable sur le long terme. Pour Stéphane Pfeiffer, adjoint au maire de Bordeaux en charge de l’économie sociale et solidaire, les textes de loi doivent évoluer afin de prendre en compte ce statut spécifique. “La circulaire Valls permet d’avoir un statut dès lors qu’on a une activité professionnelle, mais eux en sont exclus, car ils n’ont ni contrat de travail, ni fiches de paie, rappelle-t-il. Pierre Hurmic (le maire de Bordeaux, ndlr) a évoqué ce sujet avec les députés écologistes à l’Assemblée nationale : on pense qu’il faut créer un statut spécifique pour les livreurs à vélo sans-papiers, de manière à ce qu’ils puissent plus facilement accéder à la régularisation.”
La question pourrait être traitée sous peu dans le projet de loi immigration. Actuellement en cours d’élaboration, un volet entier devrait être consacré à la régularisation par le travail. Reste pour le gouvernement à trouver un terrain d’entente avec l’opposition, afin de s’assurer de son vote par une majorité de parlementaires.
SOURCE : www.france3-regions.francetvinfo.fr