INTERVIEW. Louis-Georges Tin, président du comité de la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie, a pu mesurer en Ouganda la tension provoquée par le projet de loi anti-gay. De retour en France, Il livre ses impressions.
14 février, à Kampala, capitale de l’Ouganda. Malgré le projet de loi anti-gay, quelque 200 LGBT ont assisté à une réunion destinée à ré-imaginer la Saint-Valentin. Réunion organisée dans la plus grande discrétion par le correspondant de la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie (Idaho) en Ouganda et plusieurs associations locales.
Des leaders religieux ont pris part à la rencontre, preuve que «ce n’est pas parce que l’on est croyant que l’on est condamné à être homophobe», indique l’Idaho. De quoi contredire le pasteur Martin Ssempa, fervent partisan du projet de loi anti-gay qui a fait circuler dans son église des photos pornographiques pour dénigrer l’homosexualité.
Louis-George Tin, président du comité IDAHO (Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie), revient tout juste d’Ouganda. Il appelle à ce que «les sanctions économiques et les menaces (internationales) soient réaffirmées», estimant que «l’aide au développement accordée à l’Ouganda finance l’aide au développement de l’homophobie».
TÊTU: Quel est le climat général dans la communauté LGBT en Ouganda?
Louis-Georges Tin: Ce sont vraiment des résistants que j’ai rencontrés. Ils ont du courage! Mais il y a aussi beaucoup d’angoisse. Les gens continuent à aller dans les bars homos de Kampala, mais ils font encore bien plus attention qu’avant. Plusieurs de mes amis sont en train de déménager parce que, si la loi passe, ce sera une obligation légale pour leurs voisins de les dénoncer, sous peine de prison. Par ailleurs, plusieurs personnes dont les photos ont été diffusées dans les médias demandent désormais le droit d’asile.
Que la loi passe ou pas, diriez-vous que le mal est déjà fait?
Exactement. Les personnes qui déménagement ou dont la vie a changé ne le font pas seulement parce qu’ils craignent pour l’avenir, mais parce qu’ils craignent la situation présente qui a déjà changé. Et même si la loi n’est pas votée, il est à craindre que des groupes extrémistes se sentent investis d’une mission spéciale pour transformer la vie sociale par la loi divine à laquelle ils se réfèrent. En somme, si la loi n’est pas votée par l’Etat, ils se feront «justice» eux-mêmes.
Cinq homosexuels présumés ont récemment été arrêtés au Kenya et deux d’hommes risquent 14 ans de prison au Malawi pour s’être mariés symboliquement. Pensez-vous qu’une homophobie plus sévère peut gagner la région?
La contagion, la tache d’huile est à craindre. Cela dit, le cas de l’Ouganda est vraiment à part et exemplaire. C’est la première fois que l’on voit une réaction aussi ferme à la fois des Etats-Unis et de l’Union européenne, et à un si haut niveau. Il y a aussi eu la réaction de pasteurs et d’Eglises américaines relativement homophobes d’habitude. C’est nouveau, et il me semble que ce n’est pas sans rapport avec la déclaration de décembre 2008 (sur la dépénalisation universelle de l’homosexualité), qui a semble-t-il été un tournant. Au Kenya, il était question de sur-pénaliser l’homosexualité. Mais finalement, prudemment, le gouvernement et le président ont dit que c’était compliqué, qu’il y avait des menaces de sanction… et ils en sont restés là. En Ouganda, je ne sais pas si la pression va marcher, mais j’espère que cela va donner à réfléchir à tous les autres gouvernements qui souhaitent instrumentaliser les populations LGBT et l’homophobie populaire. Puisqu’en Ouganda, c’est cela qui se joue: les élections sont dans un mois.
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