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 d’ADHEOS

La décision de la Cour de justice de Luxembourg est le point d’orgue d’années de tensions entre Varsovie et l’Union européenne.

La Cour de justice de l’Union européenne doit se prononcer jeudi 12 janvier sur la discrimination liée à l’homosexualité en Pologne. Ces dernières années, plusieurs décisions de la Cour constitutionnelle polonaise sur de nouvelles lois ont été froidement accueillies par Bruxelles. L’UE a accusé le gouvernement conservateur (PiS, le parti Droit et Justice) de mener une politique discriminatoire envers la communauté LGBT. Le bras de fer juridique engagé entre Varsovie et la Commission européenne connaîtra ce jeudi l’un de ses épilogues.

Des tensions exacerbées depuis 2015

«Cela fait un certain nombre d’années qu’il y a des différends entre la Pologne et l’Union européenne sur la question LGBT, même bien avant l’arrivée au pouvoir du parti conservateur en 2015», explique l’historien Max-Erwann Gastineau, spécialiste en relations internationales. «En 2007, la CEDH avait déjà condamné la Pologne car elle avait interdit à des militants homosexuels d’organiser une Marche des fiertés», rappelle-t-il.

La situation avait cependant pris une tournure nouvelle à l’arrivée des conservateurs au pouvoir en 2015. Ces derniers ne se sont jamais cachés de mener une véritable bataille culturelle contre les idéaux progressistes de la Commission européenne.

En 2019, la Cour constitutionnelle polonaise avait par exemple pris une décision de justice vivement contestée en Europe de l’Ouest : elle autorisait les commerçants à refuser des clients appartenant à la communauté LGBT au nom de leurs convictions religieuses. Cette décision fut le point d’orgue d’une histoire commencée en 2016 lorsqu’un imprimeur avait refusé d’imprimer les affiches d’une association LGBT. Selon lui, celles-ci contribuaient à promouvoir un combat qu’il réprouvait.

Un an plus tard, en 2020, la présidente de la Commission, Ursula Van der Leyen, dans son discours sur l’état de l’Union, insistait sur le rôle de l’UE dans la défense des droits LGBT. «La Commission proposera bientôt une stratégie visant à renforcer les droits des personnes LGBTQI», avait-elle affirmé.

Quelques mois plus tard, la Commission européenne a finalement ouvert une procédure d’infraction contre la Pologne pour «atteintes aux valeurs fondamentales de l’Union européenne». En cause ? La création, par certaines collectivités polonaises, de «zones libres de toute idéologie LGBT». La mise en demeure prononcée par l’Union, «profondément préoccupée», avait pour objectif d’inciter la Pologne à renoncer à ces mesures jugées discriminatoires.

Primauté du droit européen sur le droit national : une question épineuse

Les différentes réprobations exprimées par l’UE cherchent à réaffirmer la primauté du droit de l’Union sur le droit national, la Commission qualifiant même ses décisions de «contraignantes pour toutes les autorités et juridictions nationales».

Le rôle de la CJUE consiste à «veiller à ce que la législation de l’UE soit interprétée et appliquée de la même manière dans tous les pays de l’UE». La Commission se fonde sur l’article 2 du traité sur l’UE qui prévoit que «le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités» soit reconnu par tous les États membres.

En creux apparaissent alors les vives tensions au sein de la société polonaise sur les questions liées à la communauté LGBT. Le pays est divisé entre un camp conservateur au pouvoir, qui défend une image traditionnelle de la famille, et un camp libéral, qui se rapproche des idées progressistes de l’Europe occidentale. Le camp conservateur polonais souhaite défendre un modèle culturel national qui s’oppose chaque jour plus fortement à celui promu par l’UE.

Des zones grises

D’un point de vue juridique, il existe également plusieurs zones grises. Il est par exemple difficile de savoir quels champs de compétence «relèvent de l’UE ou relèvent des nations en matière sociale et culturelle», pointe Max-Erwann Gastineau, qui insiste sur les tensions que cette incertitude peut engendrer.

Certaines dispositions du droit européen peuvent aussi être utilisées par le camp conservateur polonais comme justifications juridiques. «L’article 2 a également été cité par les conservateurs polonais pour défendre l’interdiction de l’avortement en cas de malformation du fœtus, raconte le chercheur. Les conservateurs affirmaient lutter contre la discrimination envers les handicapés». Conservateurs comme progressistes voient chacun dans les textes européens des justifications juridiques à leurs décisions.

Une «pression constante» de la Commission

Pour le chercheur, cette décision de la Cour de justice ne doit pas être prise isolément mais plutôt comme faisant partie d’une stratégie d’ensemble de la part de l’Union européenne. Les différentes peines ou mesures prononcées ces dernières années par les juges européens ont eu pour effet de maintenir «une pression constante» sur l’État polonais pour obtenir des évolutions sur les droits des LGBT.

Conditionner l’obtention d’aides européennes au respect de la non-discrimination des LGBT est le nouveau moyen de pression utilisé par Bruxelles pour imposer sa souveraineté en matière culturelle et sociale. «Les progressistes polonais en réfèrent d’ailleurs souvent à Bruxelles pour régler des tensions nationales», explique Max-Erwann Gastineau. Et de conclure : «Le processus uniformisateur entamé par Bruxelles cherche à créer un peuple unitaire européen avec des valeurs communes».

 

SOURCE : lefigaro.fr