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 d’ADHEOS

Récupérer un colis à la Poste. Se rendre chez un médecin. Passer la douane à l’aéroport. Porter plainte auprès de la police après une agression. Des gestes simples qui font peut-être partie de votre quotidien, mais qui ont longtemps relevé du parcours du combattant pour Timéo.
 
C’est parfois toujours le cas aujourd’hui. Ce jeune homme de 25 ans est trans, et pendant longtemps, son apparence physique ou ses papiers d’identité l’identifiaient encore comme femme. Depuis quelques mois, il est officiellement un homme aux yeux de l’état civil, mais il subit toujours les discriminations et l’incompréhension que rencontrent les personnes trans en France. Des difficultés mises en lumière par la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, qui a lieu dimanche 17 mai.
 
L’humiliation de devoir justifier son identité
 
Timéo se départit rarement d’une forme d’ironie quand il s’agit d’évoquer des exemples de situations gênantes auxquelles il a pu être confronté. "Vous imaginez passer les frontières avec une pièce d’identité qui n’est pas à votre nom ? Ça, c’est très rigolo." En 2012, Timéo a débuté sa transition, le processus par lequel une personne trans change son apparence physique pour la faire correspondre à son identité de genre. "La thérapie hormonale avait commencé à faire effet, et je me suis retrouvé barbu, raconte-t-il. Avec deux amis, on partait en Espagne. Je présente mon billet d’avion et ma pièce d’identité, et là, on me dit : ‘Mais monsieur, je ne peux pas vous laisser passer, ce n’est pas vous’."
 
Sa lassitude est palpable quand il répète cette phrase qu’il a entendue d’innombrables fois. "Vous demandez en quel honneur vous auriez à vous justifier. C’est ma vie, qu’on me foute la paix." Il finit par embarquer grâce à un autre contrôleur, plus compréhensif, mais qui lui fera passer "tous les tests de sécurité possibles et imaginables". Humilié, Timéo décide de ne "plus jamais" revivre cette expérience : ce passionné de voyages, qui travaille dans le tourisme, s’interdira de sortir du territoire pendant deux ans, jusqu’à ce qu’il reçoive ses nouveaux papiers.
 
"Un phénomène de foire" pour les médecins
 
Ce type d’incident peut sembler anodin, mais pour Karine Espineira, coauteure d’un rapport sur la transphobie en France en 2014, "les embûches au quotidien que rencontrent les personnes trans sont extrêmement destructrices au niveau de l’estime de soi". L’accumulation de ces situations, notamment les "discriminations administratives", "finit par détruire peu à peu les gens de l’intérieur", explique-t-elle à francetv info. Quand il en parle, Timéo, qui copréside une association d’aide aux personnes trans, Acceptess Transgenres, apparaît plus combatif que résigné. Reste que, comme les trois quarts des personnes trans interrogées dans le rapport, il se refuse l’accès à certains services par appréhension.
 
"Il faudrait que je me rende chez un gynécologue, mais aujourd’hui je suis dans l’incapacité psychologique de le faire. Vous m’imaginez dans la salle d’attente avec que des femmes ?" Récemment, il s’est rendu dans le centre de dépistage d’un hôpital parisien, où il s’est senti accueilli "comme un phénomène de foire". Après avoir expliqué son problème à trois médecins, "[il] repasse en salle d’attente". "Et là, je vois clairement deux des médecins se fendre la poire comme jamais en essayant d’imaginer ma vie sexuelle. Si je m’étais levé, je leur aurais cassé la figure." Il n’y est jamais retourné pour récupérer les résultats de son analyse.
 
Une embauche annulée
 
Ces attitudes blessantes, Timéo les explique en partie par l’ignorance d’une grande partie des Français au sujet des personnes trans et de la transidentité. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir déjà été victime de discrimination de façon ouverte et presque assumée. "Je suis passé à côté d’occasions professionnelles où l’on m’a clairement dit que le problème, c’était que j’étais trans", témoigne-t-il.
 
"A la sortie de mon BTS, j’avais trouvé un super poste dans ma branche, le genre d’offre qui ne se refuse pas. Je me suis déplacé, j’ai fait plusieurs entretiens et tout s’est bien passé." Par e-mail, l’organisme lui confirme qu’il est engagé, lui donne même la date de début de son contrat, et lui demande d’envoyer ses papiers. A l’époque, Timéo est encore une femme pour l’état civil. Soudain, les nouvelles se font plus rares, jusqu’à ce qu’il demande des explications. "La personne qui m’avait recruté était sincèrement désolée, mais m’a dit que, pour ses supérieurs, c’était impossible. ‘Le fait que vous soyez une personne trans, ils en veulent pas’, m’a-t-elle dit."
Une transphobie plus libérée depuis le mariage pour tous
 
Dans les lieux publics, Timéo passe relativement inaperçu. Avec son collier de barbe et son look sweat-shirt-baskets, il ressemble à n’importe quel jeune homme au style décontracté. Mais ça ne le protège pas de la transphobie, notamment quand il se balade avec sa compagne, elle-même trans. "Les problèmes, c’est pas tous les jours, heureusement, mais c’est régulier." Regards insistants, remarques désobligeantes… "Ça n’en vient pas toujours aux mains, mais c’est souvent : ‘Oh, regarde, tu as vu la trans qui vient de passer ?’", explique-t-il.
 
Depuis les débats sur le mariage pour tous, il a le sentiment que la parole haineuse s’est libérée. "Même dans le Marais, un quartier que je fréquente depuis longtemps et qui a toujours été accueillant pour les personnes LGBT, l’atmosphère est devenue bizarre, vous recevez vraiment des regards et des mots méchants."
 
Parfois, cela va plus loin. Dans le rapport de 2014 sur la transphobie, 13% des sondés expliquent qu’ils ont déjà reçu des coups dans le cadre d’une agression transphobe. Un soir, Timéo a retrouvé sa compagne en pleurs à leur domicile, le visage balafré et un tympan percé après avoir été frappée par une femme. Avec elle, il préfère éviter certains quartiers de Paris où il ne se sent pas serein : "Vous avez beau vous dire que vous êtes capable de vous défendre, défendre deux personnes, c’est plus compliqué. S’il y en a dix qui nous tombent dessus, je ne pourrai rien faire."
 
Sa transition, "une renaissance"
 
Pour autant, Timéo ne regrette rien. Sa transition vers une vie en tant qu’homme est terminée, et il en parle comme d’une "renaissance". Sa famille a fini par accepter son identité, tout comme l’essentiel de ses amis, même s’il confie que certaines réactions l’ont aidé à "faire le tri". Avec ses nouveaux papiers, il n’a plus à se justifier et s’en réjouit, lui qui ne demande qu’à vivre comme un homme comme les autres : "Toutes les personnes que j’ai pu rencontrer ces trois dernières années n’en savent rien et, finalement, ça me paraîtrait presque étrange qu’il en soit autrement."
 
Il a aussi à cœur de montrer "qu’être trans, ce n’est pas forcément être prostituée, droguée et morte dans dix ans", que l’on peut être trans et mener une vie ordinaire : "On a des problèmes, bien sûr. Mais à côté de ça, on va à la piscine, on sort, on boit des coups, on fait du sport, on s’éclate", assure-t-il, amusé.
 
Un optimisme qui ne l’empêche pas de militer pour des mesures favorisant une meilleure acceptation des personnes trans, à commencer par le changement d’état civil "libre et gratuit", qui n’obligerait plus à passer par les tribunaux ni par une opération stérilisante, comme le veut aujourd’hui la jurisprudence. Faire une croix sur l’idée d’avoir des enfants reste la conséquence "la plus compliquée à assumer et à digérer" de sa transition. Amer, il regrette qu’il faille encore "énormément d’efforts pour avoir le droit d’être soi-même."