C’était une promesse du candidat François Hollande : le mariage pour tous. Le projet de loi présenté par Christiane Taubira a pourtant suscité de nombreuses critiques des associations LGBT. Procréation médicalement assistée, statut du beau-parent, adoption… Selon Vincy Thomas, sympathisant de gauche, des engagements cruciaux du président sont remis en cause.
Le projet de loi du mariage pour tous – et pas mariage gay comme s’obstine à le titrer "Libération" depuis des mois – va être présenté au Conseil des ministres le 31 octobre prochain. Selon le texte dont "Le Monde" s’est procuré une copie le 13 octobre, "le mariage est contracté entre deux personnes de sexe différent ou de même sexe". Ce qui induit la possibilité d’adopter pour les couples mariés.
"Chaque époux aura la possibilité d’adopter l’enfant de son conjoint, par adoption simple et avec l’accord des deux parents biologiques s’il est né d’une union antérieure, ou par adoption simple ou plénière s’il est né au sein du couple (par exemple par insémination artificielle à l’étranger) et n’a qu’un seul parent légal", précise le texte rapporté dans le quotidien. Le terme parent remplacera père et mère dans le code civil : on parvient enfin, grâce à cette loi, à une indifférenciation des sexes, donc une égalité sémantique.
Et la procréation médicalement assistée ?
Mais quid de la procréation médicalement assistée, du statut du beau-parent et de l’adoption aux couples non mariés ?
Cela fait un mois que la ministre de la Justice, Christiane Taubira prépare les esprits, avec une certaine malice, à un projet de loi a minima. Et, de manière surprenante, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault lui a donné raison lors des arbitrages du 10 octobre dernier.
Conséquence directe, on ne peut pas être totalement satisfait (c’est un euphémisme). Plus grave, le Premier ministre, déjà affaibli, et la ministre de la Justice, souvent contestée, ont décidé de s’asseoir sur les promesses, déclarations et convictions du président de la République.
Malins, les deux protagonistes de ce mauvais feuilleton ont argué que l’engagement 31 du candidat François Hollande ne comportait que le mariage pour tous et le droit d’adopter ("J’ouvrirai le droit au mariage et à l’adoption aux couples homosexuels"). À juste titre, l’engagement 31 a aussitôt été rebaptisé "Engagement 15.5" sur les réseaux sociaux…
Car c’est oublier le programme du parti socialiste, voté par les militants, qui a conduit à cet engagement. Mais, surtout, Ayrault et Taubira ont fait comme si Hollande ne s’était jamais exprimé sur ce sujet.
Rappel des faits
Le 29 septembre 2011, à l’occasion d’un débat organisé à Sciences Po, dans le cadre des primaires citoyennes, par Homosexualité & Socialisme, le candidat à la candidature Hollande avait rappelé ceci :
"Pour ce qui des évolutions législatives, sur le fondement des propositions de loi déposées par le groupe socialiste dès 2006 (et dont j’étais le premier signataire au nom de tous les socialistes), plusieurs textes seront proposés au vote du Parlement dans le courant de l’année 2012. Ces textes permettront, notamment, l’ouverture du mariage aux couples de même sexe et la possibilité d’adopter pour tous. Ils seront complétés par l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation (AMP) à toutes les femmes. Un dernier ensemble de dispositions viendront traduire notre vision moderne et ouverte de la famille en reconnaissant le statut des beaux-parents. Quant au PaCS, il sera amélioré."
Depuis 2006, en effet, Hollande, en étant premier signataire d’une loi sur le mariage pour tous, est à la pointe de cette évolution vers l’égalité. Mesure reprise dans le programme de Ségolène Royal en 2007. En juin 2011, il est le seul candidat à la présidence à signer, dans "Le Monde", la tribune appelant à une dépénalisation universelle de l’homosexualité. Il en reprendra l’idée lors de son premier discours à la tribune de l’ONU, en tant que président de la République.
En avril dernier, alors candidat à la magistrature suprême, Hollande détaille son projet dans le magazine "Têtu".
"Au plus tard au printemps 2013. (…) Si on veut un bon débat, mieux vaut qu’il puisse commencer au début de l’année 2013 et se terminer au printemps. Le printemps, ce n’est pas une mauvaise saison pour se marier !"
En off, il persiste à croire que ce ne sera pas simple de faire passer ces textes. La crainte, sans doute, d’une homophobie latente de la part de certains élus, même de gauche, comme à l’époque du Pacs. Il prédit, dès avril 2012, que la droite ne se laissera pas imposer une telle loi. "Aucune loi de conquête n’a été arrachée sans combat parlementaire mais aussi citoyen, et c’est bien qu’il en soit ainsi. Les libertés, elles s’arrachent toujours", explique Hollande. Il ne va pas être déçu. Il anticipe même le conflit avec les religions.
"La laïcité, c’est à la fois la liberté de conscience, la liberté religieuse et la garantie de la liberté : liberté de vie personnelle, égalité homme-femme et orientation sexuelle pleinement assumée."
Mais surtout, toujours dans cet entretien, François Hollande se déclare favorable à l’ouverture de la procréation médicale assistée (PMA) aux couples de lesbiennes, "aux conditions d’âge, bien sûr". Il ajoute :
"Il faut que ce soit un projet parental. Et je suis aussi très soucieux du respect de l’anonymat du don des gamètes. En revanche, je suis hostile à la gestation pour autrui, la GPA."
Taubira joue contre son camp
Or, la PMA ne fait pas partie du projet de loi de Christiane Taubira. Celle-ci a joué contre son camp dès le départ. Sa stratégie a été simple et révoltante. Le 10 septembre, au lendemain d’annonces cruciales autour du budget de la France par le Premier ministre, elle choisit de court-circuiter son patron en donnant les prémices de son projet de loi à "La Croix", journal catholique a priori hostile au mariage pour tous. Peu importe que les concertations soient en cours. Elle devient autiste, et, pire, oublie que sa collègue Dominique Bertinotti partage le dossier.
Le 22 septembre, elle récidive, dans "Le Figaro" et "La Vie". On a connu médias plus favorables à cette loi. Elle y diffuse le brouillon de sa loi, avant même que les arbitrages ne soient rendus. Dominique Bertinotti se voit obliger d’allumer des contre-feux dans les journaux de gauche pour canaliser la colère des associations LGBT et militants du PS. Cafouillage honteux. Najat Vallaud-Belkacem, qui défend cette cause depuis longtemps, réagit, certes tardivement, en postant sur les réseaux des articles contre-attaquant la propagande la droite réac’. Mais trop tard, Taubira a ouvert un boulevard aux opposants, qui n’en finissent plus de s’épancher dans les médias.
Sous prétexte de ne pas opposer les Français les uns aux autres, la droite affiche ouvertement son opposition. Elle s’entête à ignorer la réalité : des dizaines de milliers d’enfants qui n’ont pas de statut sociétal légitime sous prétexte qu’ils sont élevés par un couple homosexuel. Leur volonté de protéger l’enfant tombe alors à plat. Pure instrumentalisation.
L’homophobie latente atteint son paroxysme quand des élus invoquent une éventuelle clause de conscience, préférant ne pas respecter la future loi du mariage pour tous. Depuis quand un élu place Dieu au dessus de la République ? Pourquoi ne s’alarme-t-on pas de cette dérive ? Imagine-t-on la polémique si un élu musulman avait fait de telles déclarations ? Si un élu avait refusé un mariage avec un étranger ?
Aurélie Filippetti, qui représentait Hollande lors du débat HES dont je parlais plus haut, avait conscience à l’époque qu’il s’agissait "d’une bataille idéologique". "Ce n’est pas du communautarisme. Il s’agit de liberté publique et d’égalité", déclarait-elle alors. Le programme d’Hollande était clair et ambitieux : mariage, adoption, PMA, statut du beau-parent (mais aussi fin de la discrimination sur le don du sang, lutte contre l’homophobie, droit d’asile pour les homos persécutés dans certains pays…). Que la GPA (gestation par autrui) fasse partie d’une loi sur la bioéthique, on peut le comprendre. Mais pourquoi revenir sur la PMA ?
Faute politique (et emblématique) pour Ayrault
Le Premier ministre a préféré arbitrer en faveur de Taubira, soupçonnée de frilosité voire de réticence sur ces sujets, plutôt que de se ranger à la majorité de ses ministres, pourtant plus expertes dans le domaine – Bertinotti, Filippetti, Vallaud-Belkacem… Le résultat ne s’est pas fait attendre.
Le président du groupe socialiste de l’Assemblée, Bruno Le Roux, qui sort de la dure épreuve du vote sur le traité européen, et qui doit s’imposer dans ses fonctions, a dégainé le premier en annonçant qu’il y aurait des amendements déposés sur tous les sujets évacués par la ministre de la justice. Le parlement serait donc plus courageux que le gouvernement?
Considérant de son côté qu’il faut davantage de temps concernant la parentalité au sens large, et que l’essentiel de l’engagement est tenu, Taubira veut renvoyer des problématiques à plus tard, sans fixer d’agenda ce débat. "La question de la parentalité est plus large, elle intéresse les familles quel que soit leur statut et elle emporte des conséquences juridiques bien plus nombreuses que celles nées de l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes du même sexe", estime-t-elle dans "Têtu".
Un champ de bataille
En agissant de la sorte, Taubira, et Ayrault, ne font qu’alimenter le débat et permettre à ceux qui ont une vision dépassée de la famille de déverser leur propagande, des néo-réacs médiatiques (voir le billet de Bruno-Roger Petit) à Sylviane Agacinski et sa clique de féministes d’arrière-garde. Ce qui devait être une loi symbolique, politiquement consensuelle à gauche, historiquement importante pour le président, se transforme grâce à eux en véritable champ de bataille divisant les Français, pourtant majoritairement favorables au mariage pour tous.
On ne le dira jamais assez : la loi est en retard sur la société. Il y a d’abord un nombre impressionnant d’enfants dont un parent est homosexuel (entre 40.000 et 200.000 selon les estimations). Il y a ensuite ce désir de transmission générationnelle de la part de tout être humain, qu’il soit hétéro ou homo. L’adoption ne résoudra pas grand chose tant le nombre d’enfants à adopter est infime par rapport à la demande. En cela, la PMA puis la GPA sont des enjeux cruciaux. Il y a enfin la justice et l’administration qui sont plus pragmatiques et créent des précédents qui vont bien plus loin que les lois actuelles. Le 21 septembre, par exemple, une juge de Bayonne a accordé l’autorité parentale croisée à deux femmes pacsées, chacune sur l’enfant de l’autre.
Une fois votée, la loi – espérons-le complétée avec des amendements – fera alors l’honneur à la devise républicaine : liberté (de choix), égalité (de tous), fraternité (au delà des intérêts individualistes). Tant pis, Monsieur Ayrault et Madame Taubira, si elle choque ceux qui sont restés sur le modèle patriarcal pré-féministe. Ce ne sont pas eux qui vous ont élu.
- Source NOUVEL OBS