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 d’ADHEOS

Le premier roman de cette Américaine de 34 ans, Chapardeuse, recèle sous un road-trip déjanté une satire drôlatique de l’Amérique. Ou l’histoire d’une bibliothécaire qui décide d’enlever son lecteur le plus assidu, Ian, 10 ans, parce que ses parents membres d’une Eglise fondamentaliste, veulent l’inscrire dans un programme de réhabilitation contre l’homosexualité… Rencontre avec une amoureuse des livres qui a foi en la jeunesse de son pays.
 
Elle a le chic pour vous mettre à l’aise. Au moment de l’interview, vous vous inquiétez pour votre anglais hésitant, et pas le moindre traducteur à l’horizon ? « No problem, your English is necessarily better than my French ! ». Rebecca Makkai reflète bien son écriture : d’un naturel désarmant, pleine de fantaisie mais sans désinvolture, sachant manier le sérieux avec humour. Elle est si confortablement installée, l’élégance longiligne, dans ce fauteuil du salon de l’illustre Claude Gallimard, qu’on a l’impression qu’elle a l’habitude de venir y prendre le thé. Troisième visite en France, pourtant, pour cette native de Chicago de 34 ans, mère de deux petites filles et ancienne instit’. Des salles de classe, miroir microcosmique de la société, elle a puisé les sujets de réflexion et l’inspiration pour son premier roman. 
 
 
Sous un ton léger, vous abordez dans votre roman des thèmes sociétaux très sérieux : l’homosexualité, la construction de l’identité, le rapport de filiation… Des sujets sensibles, selon vous, dans l’Amérique actuelle ?
 
Au cours de ma première année d’enseignement, en 2000, j’ai été confrontée au cas d’un élève que ses parents voulaient inscrire dans un programme de réhabilitation contre l’homosexualité. Je n’en avais jamais entendu parler. En me renseignant, je me suis rendue compte que des centaines de programmes de ce genre sont proposés à travers le pays par des églises évangéliques fondamentalistes. Ils visent surtout les jeunes adultes, mais certains s’adressent aussi aux enfants. Ça m’a vraiment choquée ! Je trouve extrêmement dangereux d’imposer un mode de vie à un jeune, au moment où il tente de se forger sa propre personnalité. J’ai l’impression que les homosexuels connaissent aujourd’hui ce que vivaient les Afro-Américains il y a 50 ans : la discrimination, les préjugés et l’intolérance. J’ai écrit ce livre parce que j’avais envie de réagir et que je ne pouvais physiquement pas le faire : pour étancher une frustration, en quelque sorte ! D’où l’idée de cette jeune bibliothécaire qui, elle, décide d’agir en « kidnappant » un petit garçon pour le soustraire à l’influence d’un pasteur fondamentaliste… Ce qui, j’en conviens, est une très mauvaise décision !
 
Ce personnage central de Lucy, célibataire, sans vrais amis, qui décroche son premier job dans une petite ville au fin fond du pays, représente-t-il la vision que vous vous faites des jeunes adultes aujourd’hui ?
 
Bien sûr, Lucy est une caricature. Mais à travers elle, je voulais dépeindre ce moment charnière, entre la fin des études et le début de la vie active, où l’on se pose plein de questions sur son avenir, et où les liens d’amitié se distendent parce que chacun trace sa route une fois son diplôme en poche. C’est particulièrement vrai aux États-Unis, où il est facile de se retrouver à des milliers de kilomètres les uns des autres ! Notamment dans la classe moyenne, où les jeunes ont soif de voir du pays. L’histoire se situe en 2006, à un moment où les réseaux sociaux sont encore balbutiants, et où il est beaucoup plus difficile qu’aujourd’hui de garder le contact avec ses proches. Lucy, c’est tout à fait le type de fille qui, ado, s’est révoltée contre l’autorité et qui à 26 ans revient vers le foyer familial car, dans le bouleversement de sa vie, c’est un lieu rassurant où elle trouve ses repères.
 
Vous-même, vous avez fait l’expérience de cet âge flottant ?
 
Pas vraiment, car dès l’âge de 12 ans je savais que je voulais être écrivain ! Donc, quand je suis arrivée à l’université, je savais où j’allais. J’ai choisi l’enseignement car j’aime le contact avec les enfants et la transmission du savoir, tout en ne perdant pas de vue mon rêve. Mais j’étais frappée par le nombre de mes camarades qui n’avaient pas de vraie passion, et dont l’unique but était de gagner de l’argent…
 
Lucy croit beaucoup au « pouvoir des livres ». Trouvez-vous que les jeunes lisent moins et que c’est un frein à la construction de leur identité, à la formation de leur esprit critique ?
 
Tout le monde adore dire que les jeunes ne lisent plus, que c’était mieux avant, etc. Ce que j’ai vu au cours de ma carrière d’enseignante, c’est exactement l’inverse ! D’ailleurs, on voit maintenant se développer un genre littéraire spécifique pour les « jeunes adultes », notamment à travers la fantasy, la science-fiction… Et puis désormais, avec Internet et les réseaux sociaux, les ados peuvent partager leurs découvertes de lecture, en discuter plus facilement.
 
Et l’influence des églises fondamentalistes ? Est-ce un danger pour les jeunes Américains aujourd’hui ?
 
Je pense qu’il y a vraiment un fossé culturel et géographique : les classes supérieures urbaines, notamment sur la côte Est, n’ont aucune idée de ces choses-là : c’était mon cas ! Mais il y a toute une frange de la population très conservatrice, notamment dans les petites villes du Vieux Sud, très imprégnée de ces croyances-là. Ce qui est le plus dangereux, c’est que ce sont des églises très fragmentées, avec de petites chapelles sectaires et des figures de pasteurs comme le « pasteur Bob » du livre, très influents sur les jeunes. Mais cette influence reste minoritaire. Il n’y a qu’à voir les enquêtes d’opinion, par exemple sur le mariage gay : une majorité de jeunes se positionne pour. Ce sont les gens âgés qui sont les plus conservateurs. Le Tea party, les fondamentalistes… Ils font du bruit parce qu’ils savent qu’ils perdent du terrain !
 
Votre prochain roman abordera-t-il un thème de société, ou celui de la jeunesse ?
 
Pas vraiment. Je prépare actuellement un recueil de nouvelles qui n’est pas aussi ancré dans l’Amérique contemporaine. C’est plus divers, et plus porté sur la mémoire, le passé. Mais je songe à un second roman plus engagé… Je ne peux pas y échapper : même quand je veux éviter le sujet politique, je finis toujours par tomber dedans !
  •  Gallimard, 21 euros. En librairies le 15 septembre.
  • Source www.lavie.fr