Deux mois après le feu vert de la Chambre des députés britannique au mariage homosexuel, l’Irlande du Nord a refusé de lui emboîter le pas. Une motion déposée à l’Assemblée d’Irlande du Nord par le parti républicain Sinn Fein demandant à l’exécutif d’autoriser le mariage entre personnes du même sexe a été rejetée, lundi 29 avril, par 53 votes contre 42, rapporte la BBC. La motion s’est heurtée principalement au refus des députés unionistes.
Une motion similaire, déposée par le Sinn Fein et les Verts, avait déjà été rejetée en octobre 2012 par l’Assemblée, rapporte le Guardian. La nouvelle motion a été présentée par le Sinn Fein dans la foulée d’une décision prise par la République d’Irlande de tenir un référendum sur la redéfinition du mariage. Dans sa motion, le Sinn Fein (catholique, favorable au rattachement avec l’Irlande) a fait référence au vote à 79 % de la Convention irlandaise sur la Constitution en faveur de l’égalité dans le mariage. La référence à cette Convention, établie en décembre 2012 en République d’Irlande pour proposer à titre consultatif des amendements à la Constitution, n’a fait que cristalliser davantage l’opposition du camp unioniste, favorable au maintien de l’Irlande du Nord au sein de la Couronne britannique.
Pour le député unionistes d’Ulster, Roy Beggs junior, le Sinn Fein a pu perdre certains votes d’unionistes à cause de cette référence "délibérément provocante" à une législation adoptée par le voisin du Sud, rapporte The Irish Times. "Je suis citoyen britannique. Il n’existe pas de convention constitutionnelle et son inclusion même dans le texte, bien que je sois d’accord avec tout le reste, fait que je voterai contre", a-t-il dit.
L’OPPOSITION DES ÉGLISES D’IRLANDE DU NORD
Mais sur le fond, la principale opposition dans ce pays traditionnellement religieux est venue des Eglises. Les chrétiens d’Irlande du Nord ont vigoureusement protesté contre le mariage gay et encouragé les députés à voter contre. Le frère Tim Bartlett, du Conseil catholique pour les affaires sociales, a ainsi rappelé, le 26 avril, sur les antennes de la BBC, que le mariage entre un homme et une femme "restait important dans la société".
En octobre, l’Eglise presbytérienne (protestante) avait ainsi adressé une lettre aux députés arguant qu’"il n’est pas seulement question de la conscience du peuple et des Eglises chrétiennes, mais d’une question importante pour l’ensemble de la société", indique le Guardian. L’Eglise presbytérienne assure que le principe d’égalité n’est pas en jeu "dès lors que tous les droits et avantages juridiques que permettent le mariage sont déjà acquis sous le régime de l’union civile". En 2005, la ville de Belfast avait été la première du Royaume-Uni à organiser une union civile entre un couple de lesbiennes.
Cette ligne a été reprise par une majorité des unionistes et notamment défendue par le ministre des finances, Sammy Wilson, du parti des Unionistes démocrates (DUP). Ce dernier avait estimé en octobre qu’"il n’existe pas un large soutien public pour une rédéfinition du mariage en Irlande du Nord", indique CBN News. Selon lui, les divergences d’opinion n’ont pas trouvé place à s’exprimer dans le débat qui a cours depuis plusieurs mois dans le pays.
LAISSER LE CHOIX AUX ÉGLISES
Les partis favorables à l’introduction du mariage gay ont multiplié les arguments afin de convaincre les segments les plus traditionalistes et les plus religieux de la société nord-irlandaise. Une députée du Sinn Fein, Caitriona Ruane, a ainsi dit, lundi 29 avril, que les "attitudes en Irlande ont changé car les gens ne veulent plus voir d’autres personnes discriminées", rapporte le quotidien irlandais The Independent. Brandissant l’argument du suicide des jeunes en proie aux railleries, la députée a présenté cette motion comme un outil de "défense des droits de nos enfants". "S’ils n’ont pas d’alternative aux propos au vitriol anti-gay, ils vont internaliser cela", a-t-elle argué.
"Telle que la loi est faite en ce moment, un couple sans foi peut se marier à l’église tandis qu’un couple de même sexe croyant ne peut pas", avait pour sa part défendu en octobre le représentant des Verts, Steven Agnew, cité par le Guardian. Steven Agnew a ainsi plaidé en faveur d’une législation qui laisserait aux Eglises le choix de procéder ou non à des mariages entre couples du même sexe.
UN REJET INCONSTITUTIONNEL ?
Le rejet de l’Assemblée d’Irlande du Nord pourrait toutefois ne pas passer l’épreuve du droit. Patrick Corrigan, directeur de programme d’Amnesty International en Irlande du Nord, a averti que l’Irlande du Nord étant un territoire du Royaume-Uni, elle se devait de reconnaître la loi de l’Etat. "Cette obligation est claire en droit international, a-t-il affirmé. Cela suppose que le mariage doit être autorisé aux couples du même sexe en Irlande du Nord dès qu’il sera autorisé aux couples dans les autres parties du Royaume-Uni." Les députés britanniques se sont prononcés en faveur du projet de loi autorisant le mariage entre personnes du même sexe en Angleterre et au Pays de Galles, en février 2013. Une proposition de loi est également en projet en Ecosse.
Au lendemain du rejet de la motion, Amnesty International a réitéré sa menace faite en mars de porter un cas devant les juridictions britannique et européenne, rapporte le Guardian. Une démarche ayant déjà fait ses preuves par le passé. En 1982, alors que l’Irlande du Nord considérait encore une relation homosexuelle comme un acte criminel, en contradiction avec les lois en vigueur depuis les années soixante dans le reste du royaume, le militant pour la cause homosexuelle Jeff Dudgeon avait porté un cas devant la Cour européenne des droits de l’homme. Et avait forcé le gouvernement britannique, malgré l’opposition des dirigeants unionistes, à décriminaliser l’homosexualité en Irlande du Nord.
- source LE MONDE