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 d’ADHEOS

Un rapport de SOS Homophobie révèle une hausse de 20 % des insultes ou violences signalées. Face aux mouvements réacs comme Sens commun qui ravivent les haines, les injuriés osent davantage témoigner.
 
«Frappe-le ce travelo, lui et sa pute !» «La vie de ma mère, faites pas ça à côté de moi, sales PD !» «T’aimes ça lécher, hein, sale gouine»… Grosse gêne à la lecture du 21e rapport de SOS Homophobie, qui a dévoilé mercredi un état des lieux chiffré de la lesbophobie, la gayphobie, la biphobie et la transphobie en France. Sur quelque 170 pages – le rapport est aussi épais que le malaise – défilent des témoignages de femmes et d’hommes insultés, rejetés, parfois même violentés physiquement dans un pays devenu il y a quatre ans (le 17 mai 2013 précisément) le quatorzième Etat à ouvrir le mariage et l’adoption à tous. Les chiffres en apportent la confirmation : en 2016, après deux années consécutives de baisse, les témoignages de LGBTphobie ont connu une augmentation de 19,5 % (1 575 signalements à SOS Homophobie).
 
Les trans sont parmi les premières victimes de cette inflation de la surenchère (+ 76 % de témoignages), la biphobie a presque doublé, tandis que l’homophobie quotidienne subie dans la famille, l’entourage proche, les lieux publics, à l’école ou au travail demeure très importante. Mises bout à bout, les insultes (et autres) proférées à l’encontre des LGBT dans des contextes de proximité représentent près de 60 % des cas signalés. Dans le même temps, Internet demeure le principal canal de la LGBTphobie. Certes, le rapport annuel de SOS Homophobie n’est pas une radiographie scientifique avec échantillons représentatifs, puisqu’il ne s’appuie que sur des témoignages de LGBT qui ont décidé de contacter l’association. Mais en l’absence de statistiques officielles, et dans l’attente que la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah, qui a vu son champ élargi aux LGBT l’an passé) ne rende publiques les plaintes déposées auprès de la gendarmerie et de la police, il permet de prendre le pouls. Pourquoi est-il si fort ?
 
Le terreau anti-LGBT a-t-il vraiment fait des pousses ? Joël Deumier, président de SOS Homophobie : «Le discours LGBTphobe a toujours existé. Il a connu une flambée lors du débat sur le mariage pour tous. Et il a retrouvé de la puissance en 2016, quand la Manif pour tous a tenté de se restructurer pour mieux réexister. Il y a également eu une porosité avec le mouvement Sens commun qui soutenait le candidat Fillon. Certes, il s’agit d’une minorité. Mais d’une minorité bruyante qui pèse, notamment via les réseaux sociaux. A l’arrivée, leurs propos ravivent la haine. Et encouragent aussi des gens qui ne sont pas forcément homophobes à embrayer.»
 
A l’inverse, les lois en faveur des LGBT, telle la récente possibilité pour les trans de changer plus facilement de sexe à l’état civil, n’incitent-elles pas les insultés à témoigner davantage, dans un élan de «vous n’avez plus le droit» ? «Effectivement, acquiesce Joël Deumier. Quand le législateur fait montre de considération, les gens s’autorisent davantage à parler, à franchir le cap.»
 
Joël Deumier réfute cependant l’idée d’une France dramatiquement encrassée dans la LGBTphobie. Et de citer moult sondages dans lesquels les Français se disent favorables à l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux lesbiennes (et aux célibataires) ou de plus en plus à l’aise avec les familles homoparentales, et toutes les sortes de familles. Les réacs n’ayant pas, loin de là, le monopole de ce cocon chéri des Français.
 
Ainsi, de nombreuses personnes ont assisté, émues, au discours bouleversant d’un homme rendant hommage en direct des Invalides à son compagnon, le policier Xavier Jugelé, tué le 20 avril lors de l’attentat des Champs-Elysées. Seul Jean-Marie Le Pen a alors osé se déclarer publiquement «un peu choqué» par cet «hommage à l’homosexuel».
 
 
Transphobie : Déchaînement en ligne et quotidien sali
 
A en croire SOS Homophobie, de nombreux «trolls», profitant de l’anonymat d’Internet, se sont particulièrement déchaînés en 2016 contre les transsexuels. Exemple : «Attends, t’as une bite ou pas ? Je sais pas si t’es un travelo, mais beurk, être fier d’une maladie mentale…» Mais nul besoin d’aller surfer davantage sur le Web pour constater la transphobie. Elle se retrouve dans le quotidien des trans (qui sont 121 à avoir contacté SOS Homophobie en 2016 contre 63 en 2015, près du double). Le témoignage de Daniel est, à ce titre, affligeant.
 
A l’occasion d’une formation, ce dernier se retrouve en compagnie d’autres personnes qu’il ne connaît pas. On lui demande : «Etes-vous une fille ou un garçon ?» Il ne répond pas. Rebelote : «Alors, fille ou garçon ?» Ou encore : «Mais t’es une fille, toi.» Ce à quoi Daniel répond : «Vous n’en savez rien, vous ne m’avez jamais vu nu.» Il entend alors : «Quelqu’un est volontaire pour vérifier ?» Rire des autres. Le groupe va jusqu’à demander : «T’es attiré par qui ? Les animaux, pas vrai ?»
 
Au milieu de ce sombre tableau, une éclaircie : la loi du 18 novembre 2016, dite de «modernisation de la justice du XXIe siècle», qui facilite le changement de sexe des trans à l’état civil. Il n’est plus soumis à aucune condition médicale (ni stérilisation ni certificats médicaux à fournir). Mais le feu vert reste cependant entre les mains d’un juge. Pour nombre de transsexuels, «le législateur n’est pas allé jusqu’à consacrer le principe d’autodétermination en admettant un changement d’état civil sur simple déclaration».
 
A l’école élèves et enseignants face au harcèlement
 
Chloé, 16 ans, a été convoquée par son proviseur. Elle a embrassé sa petite amie au sein de l’établissement. «Il a menacé de m’exclure si je continuais à répandre des idées «contre-nature».» En milieu scolaire, dans la majorité des cas, la victime est agressée par un camarade. Mais les comportements LGBTphobes ne sont pas le seul fait des élèves (44 %). «En contradiction complète» avec la loi du 8 juillet 2013 pour lutter contre le harcèlement à l’école, il arrive que les agresseurs soient issus du corps enseignant et du personnel de l’établissement, rapporte SOS Homophobie.
 
Noémie, 4 ans, rencontre des difficultés scolaires et se fait souvent punir par l’institutrice. Ses mères s’inquiètent et sollicitent le corps enseignant pour des explications. «Vous avez fait le choix d’avoir des enfants, vous devez vous débrouiller, leur répond-on. En tout cas, elle semble équilibrée malgré le fait d’avoir deux mamans.» Si dans 59 % des cas l’homophobie à l’école concernent des personnes mineures, des enseignants aussi peuvent trinquer. Ainsi Mamadou, professeur des écoles et homosexuel, qui a croisé un de ses élèves de CM1 dans la rue. Le jeune garçon l’a traité de «gros PD» et de «fils de pute». Il l’avait déjà fait en classe. Mamadou se demande encore si déposer une plainte est approprié. Comme lui, 15 % des victimes d’actes LBGTphobes sont des enseignants.
 
Au travail : des insultes et menaces qui pèsent sur la santé
 
C’est une progression inquiétante. Les cas d’homophobie au travail augmentent de 17 %. L’association nationale a recueilli 167 témoignages cette année. Il y a Caroline, qui se sent «exclue physiquement» par ses collègues «qui ne veulent pas lui serrer la main». Hélène, qui «a été mise au placard» par sa hiérarchie à l’annonce de sa transidentité. Le patron de Hervé, au courant de son homosexualité, qui «l’oblige à avoir des relations avec lui en échange de son silence».
 
Si, en 2016, SOS Homophobie voit les cas de licenciements et d’agressions – sexuelles ou physiques – globalement stables et constate un recul de 16 points concernant les cas de harcèlement, le rapport indique dans le même temps une hausse des cas d’insultes, de diffamations et de menaces. Régulières voire quotidiennes, ces violences «pèsent sur la santé des personnes LGBT» et génèrent grand nombre d’arrêts de travail, de dépressions et de démissions.
 
Autre fait marquant, le nombre de victimes femmes a augmenté de huit points, même si les hommes, cibles quotidiennes d’insultes récurrentes («pédale», «tarlouze», «tapette») demeurent plus représentés. Problème majeur : lorsque la victime a le courage de dénoncer son mal-être au travail, «l’appui des supérieurs est loin d’être toujours assuré». Et pour cause, les supérieurs hiérarchiques représentent 43 % des auteurs de violences LGBTphobes.
 
Biphobie : double incompréhension
 
«Non mais t’es sérieux, t’es gay (ou lesbienne) ou hétéro ?» ou «t’es soit l’un soit l’autre mais pas les deux». Les voilà, les invectives les plus courantes à l’encontre des bisexuels qui, en 2016, ont deux fois plus contacté l’association SOS Homophobie qu’en 2015. Total : 42 témoignages qui disent l’embarras, voire le rejet, que cette orientation sexuelle suscite encore. «La biphobie ne bouge désespérément pas. Au contraire, elle augmente et fait particulièrement l’objet de stéréotypes», assure Joël Deumier, président de l’association. Cliché le plus répandu : les «bi» seraient des obsédés sexuels. Sonia, 38 ans, explique ainsi que sa bisexualité est assimilée à de «l’hypersexualité» et qu’il n’est pas rare qu’on lui propose des «plans à plusieurs» ou qu’on la considère comme une «pute».
 
S’ajoutent d’autres idées reçues. Beaucoup considèrent encore la bisexualité comme une «phase transitoire», voire une «mode», ou une incongruité. Laura, la vingtaine, lors d’une conversation familiale sur David Bowie, s’est ainsi ramassé : «On aime soit les hommes, soit les femmes, ce n’est pas possible d’être à 50-50.» Anne, bisexuelle, a grandi dans une famille catholique de cinq enfants. L’une de ses sœurs a révélé son homosexualité à sa mère qui a très mal réagi. Lorsqu’à son tour, elle se dévoile, sa mère demande aussitôt à son fils ce qui est le pire : «Etre lesbienne ou bisexuelle ?» A tout ce ramassis d’ignorance, s’ajoute chez nombre de «bi» le sentiment d’être incompris tant par les hétéros que par les homos. «Il y a double incompréhension et double peine», conclut Joël Deumier.
 
Sur Internet : défouloir virtuel, souffrance réelle
 
Lorsque Diego se connecte en ligne à son jeu vidéo, il n’y échappe pas. De l’autre côté de l’écran de l’ordinateur, un joueur de l’équipe adverse, qui vient manifestement de deviner son orientation sexuelle, balance : «Sache, petit PD, que j’ai toujours ignoré que t’aimais te faire dilater le cul.» Un cas loin d’être isolé selon SOS Homophobie, qui réaffirme que le Web est «le lieu le plus propice» (22,5 % des cas) aux manifestations de LGBTphobie. En 2016, cette parole homophobe et transphobe sur Internet a augmenté de 31 %. Si l’homophobie y ressurgit souvent à propos de l’actualité – drame d’Orlando (Floride), polémiques sur les affiches contre le VIH, début du débat sur l’ouverture du don du sang aux personnes homosexuelles – l’association pointe également le manque d’encadrement législatif qui protège cet espace d’expression anonymisé et «banalise les insultes». Il y a bien un «code de bonne conduite» créé par la Commission européenne et signé par Google, Facebook et Twitter pour les encourager à supprimer les messages haineux dans un délai de vingt-quatre heures, mais «ce système de modération demeure inefficace», dénonce le rapport de SOS Homophobie.
 
En France, si les tribunaux commencent doucement à condamner les auteurs d’insultes homophobes sur le Net, le délai de prescription – de trois mois à partir de la publication du message – freine considérablement les compétences de la justice. Insultes sur Facebook, commentaires discriminants sur Snapchat, sites de désinformation alimentant les préjugés, les variantes d’une même haine s’infiltrent partout sur la Toile. Mais avec des hashtags homophobes et décomplexés comme #EnsembleLuttonsContreLesPD ou #SiTuVoisUnHomoDansTaFamille, Twitter continue à être, en 2016, le réseau social dont les contenus ont été le plus souvent signalés (49 %).