L’homosexualité, punie de 5 ans de prison au Sénégal, est rejetée par les familles, les communautés et les confréries religieuses du pays. Afin de survivre, de continuer à avoir une vie sociale, familiale, et même professionnelle, les membres de la communauté LGBTI sont contraints au silence.
Se cacher. C’est la vie qu’a choisi de mener Samir, 28 ans. Le jeune homme habite à Thiès, à une centaine de kilomètres de Dakar. Il vit chez sa famille qui ne sait pas qu’il est homosexuel. "En tout cas, je fais tout pour qu’il ne l’apprennent pas. Je mène une double vie" explique l’étudiant, qui participe aussi à des actions de sensibilisation contre le VIH auprès de la communauté LGBTI.
Une chemise bleue, un pantalon clair, Samir s’installe dans le café discret de la ville où il a souhaité nous rejoindre pour témoigner. Loin de la maison de ses parents, située dans un quartier populaire de la ville. "Je dois éviter de parler au téléphone avec des amis… Je ne peux pas non plus les recevoir chez moi, ça c’est logique" s’amuse-t-il.
Mais le plus dur est d’entendre les mots blessants au quotidien, quand il y a un fait d’actualité qui parle des homosexuels, à la télé ou à la radio, j’entends tout et n’importe quoi de la part de ma mère… ‘Ils vont nous contaminer’, c’est ce qu’elle dit parfois avant de les injurier. Je ne sais pas quoi faire dans ces moments là : je monte dans ma chambre pour ne pas avoir à entendre ça.
L’affaire de la découverte d’homosexuels par une bande de jeunes à deux pas de chez lui a particulièrement marqué Samir. "Deux homosexuels surpris en pleins ébats dans un taxi !" avait alors titré la presse en ligne et certains quotidiens privés. Ce jour là, en mars, il prend leur défense devant ses parents. "J’étais suspect. J’ai dû arrêter de défendre les LGBT en famille car cela m’a attiré des ennuis" se souvient l’étudiant. Le sujet est tabou, et Samir sait qu’il doit se taire pour continuer à vivre dans le foyer.
"La société n’est pas prête"
Depuis les années 1960, l’article 319 du code pénal sénégalais est formel : "Sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe.” Une dépénalisation n’est pas à l’ordre du jour : aux côtés de Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, interpellé par la presse, le président Macky Sall avait écarté une nouvelle fois toute modification de la loi.
On ne peut pas non plus demander au Sénégal de dire : Demain, on légalise l’homosexualité, et, demain, c’est la gay pride, etc.
Macky Sall, le président Sénégalais, février 2020.
La raison est simple pour les autorités. "La société n’est pas prête. Elle n’accepterait pas une telle légalisation" explique le ministre de la Justice, Malick Sall. Le rejet provient effectivement des familles, des communautés et des confréries religieuses du pays. Un tel sentiment est entretenu par des associations religieuses très écoutées au Sénégal, comme l’ONG Islamique Jamra, qui a accès à d’influents médias pour rappeler ce que sont les "valeurs morales" du pays. "Dans le pays, il y a 95% de musulmans et 4% de catholiques. 99% de croyants ! s’exclame Mame Mactar Gueye, vice président de l’ONG. Il est normal qu’on rejette l’homosexualité. C’est contre-nature, un homme va avec une femme, il ne faut pas être égoïste"
Privés de moyens depuis une dizaine d’années, le milieu militant LGBTI sénégalais vit lui aussi caché, mène des actions sans bruit, de prévention et d’aide pour les "populations clés" – le mot utilisé par les autorités et les associations pour désigner les homosexuels, notamment dans la lutte contre le VIH. Mais a abandonné le terrain de la revendication des droits.
Dans le passé, des dépouilles d’homosexuels n’ont pas pu être enterrées dans des cimetières musulmans face à des manifestations de riverains. Des épisodes que n’oubliera pas Djamil Bangoura, président de l’association prudence-plus, qui lutte contre le VIH. L’homme a dû s’exiler à de nombreuses reprises à la suite des persécutions. Par téléphone, il raconte : "Notre local a été saccagé, plus d’une fois, j’ai moi même été obliger de fuir, poussé par des amis qui ont estimé que j’étais en danger". Il constate aujourd’hui la léthargie du milieu militant "la société civile ne fait pas non plus son travail" constate-t-il, amer.
Rejet massif
Certains n’ont pas eu d’autre choix que celui de quitter le Sénégal, après la découverte de leur orientation sexuelle par leurs proches. C’est ce que raconte Babacar, aujourd’hui à Argenton-sur-Creuse, dans l’Indre, au sud de Châteauroux. Pour rejoindre l’hexagone, il est passé par un pays européen. Objectif : demander l’asile. L’homme est hébergé par un centre d’accueil d’urgence. Une situation stable après des mois où il a été sans domicile fixe. Son exil du Sénégal a été précipité par une "catastrophe", il y a un peu moins d’un an. Babacar était alors un homme marié.
Ce jour là, sa femme quitte l’appartement, dans une grande ville sénégalaise. Une sortie pour la nuit. "Elle me dit qu’elle va s’absenter pour aller chez une amie. Pas de problème pour moi. J’appelle alors un pote à moi, détaille Babacar, assis sur un banc public d’Argenton. Il vient, on s’est dit qu’on allait se faire plaisir… Tout se passe bien, quand j’entends un bruit dans le salon." Sa femme n’a jamais prévu de passer la nuit à l’extérieur : elle avait tout préparé afin de pouvoir surprendre son époux. "Cela a été terrible. Elle est entrée dans la chambre, et nous a vu dans une position inconfortable. J’étais déshonoré. Je n’ai pas su quoi dire. Elle a crié, crié, et prévenu tout le quartier, toute la famille."
Le lendemain, Babacar doit quitter le quartier, face aux questions, aux insultes de ses proches, son frère, qui est aussi son employeur, le licencie. Son beau père lui ordonne de divorcer. Aujourd’hui, Babacar laisse trois enfants au Sénégal.
Je sais que ce n’est pas facile d’avoir un papa gay au Sénégal. Un jour, ils sauront que je suis un père qui les aime et que je peux faire de grandes choses pour eux.
Toutes les identités des témoins dans ce reportage ont été modifiées, afin de préserver leur sécurité.
- SOURCE FRANCE CULTURE