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 d’ADHEOS

Le Grand Orient de France s’est positionné en faveur de l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. Laurent Kupferman, essayiste spécialiste de la maçonnerie, explique les raisons de cet engagement.
 
En marge des prises de positions tonitruantes de l’Eglise et des autres cultes contre le projet de loi de mariage pour tous, le Grand Orient de France, première obédience franc-maçonne de l’Hexagone, a soutenu officiellement cette réforme dans un communiqué publié en novembre (à lire ici). Un appui discret mais renouvelé dans les rangs de la marche pour l’égalité du 16 décembre, à Paris. Laurent Kupferman, auteurs de plusieurs livres sur la maçonnerie, décrypte les origines et les enjeux de ce soutien.
 
Lors de la Marche pour l’égalité du 16 décembre, des francs-maçons ont ouvertement défilé pour défendre le projet de loi pour le mariage et l’adoption pour tous. Quelle est la position de la maçonnerie dans ce débat?
Laurent Kupferman : C’est à la fois un engagement pour le respect de la laïcité, et en faveur du projet de loi sur le mariage et l’adoption pour tous. Le communiqué du Grand Orient de France en novembre est sans ambiguïté sur ces points. D’un côté il condamne au nom de la laïcité les propos du Cardinal Jean Vingt-Trois, en parlant d’«imprécations stigmatisantes» et en rappelant que les églises doivent se restreindre à la seule sphère spirituelle. De l’autre, il affirme son soutien à ce projet de loi «qui vise à assurer une reconnaissance républicaine du libre choix matrimonial, au nom de l’égalité des droits».
 
Une prise de position aussi explicite pour un projet de loi est-elle rare de la part du Grand Orient?
Les obédiences ne sont pas là pour commenter l’actualité politique d’une manière générale, et lorsqu’elle le font, elles ont tendance à produire de l’eau tiède. En l’occurrence, l’engagement du Grand Orient est sans ambiguïté. C’est remarquable, et en même temps ce n’est pas surprenant. Tout ce qui contribue à l’égalité entre les citoyens est un principe absolu de la maçonnerie. Ouvrir le mariage et l’adoption à tous, ce n’est pas satisfaire la revendication d’une communauté, c’est au contraire ouvrir la communauté nationale à tous. Moins il y a de clivages et plus on va vers une société universelle; et c’est une ambition qui anime la maçonnerie.
 
Que vous inspire le retour du discours religieux dans le débat politique?
L’église a le droit d’intervenir, c’est un corps social légitime. Mais son discours est déraisonnable. On peut être contre le mariage ou contre l’adoption pour tous, mais pas en évoquant l’inceste, la zoophilie, la polygamie… Ce sont des mots extrêmement violents pour ceux qui sont évoqués, et destructeurs pour de jeunes adolescents qui se découvrent homosexuels.
 
Dans le chapitre de votre livre consacré à la laïcité, vous rappelez qu’il s’agit d’un combat qu’il faut sans cesse réengager, même si la séparation de l’Eglise et de l’Etat est inscrite dans la loi depuis 1905. Est-ce à nouveau le cas aujourd’hui?
Un des mérites du débat actuel aura été de rappeler la pertinence de cette loi de 1905. On a peut-être un peu oublié à quoi servait la laïcité, mais aujourd’hui lorsqu’on entend les propos stigmatisants et dégradants qu’utilise l’église contre ce projet de loi, on comprend pourquoi il est bon de laisser le discours religieux hors du champ politique. De leur côté, les homos s’étaient peut-être un peu endormis depuis la dépénalisation de l’homosexualité et le pacs, en pensant que le reste passerait tout seul. Or il ne faut pas être naïf: tout ce qui sort du modèle blanc, masculin, hétérosexuel doit toujours être arraché, et doit toujours être défendu. Il ne faut jamais baisser la garde, et cela vaut pour le droits des homos comme pour le droit des femmes par exemple.
 
La prise de position de la maçonnerie peut-elle avoir la même influence que celle de l’Eglise dans le débat public?
La maçonnerie a toujours joué un rôle de vigie, qui se fait entendre lorsque les principes fondamentaux de la République sont menacés. Lorsque cela arrive, elle sait s’engager et se mobiliser, et donc cet appel aura sans doute une influence. Mais il ne faut pas fantasmer sur le rôle des francs-maçons qui pourraient intervenir au gouvernement ou au Parlement, les choses ne se passent plus comme sous la 3e République!