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 d’ADHEOS

Il y a des choses qui ne passent pas.
 
Vendredi 3 juin dernier, le grand rabbin Sitruk, ancien grand rabbin de France, commentait l’actualité et la Gay Pride qui se déroulait à Jérusalem. Mû, sans doute, par une profonde compassion et la hauteur de vue propre à la fonction du Grand rabbinat, il a affirmé que "La Torah qualifie l’homosexualité d’abomination et la considère comme un échec de l’humanité." Le grand rabbin Sitruk a ainsi appelé, en une vigoureuse conclusion humaniste, à réagir "de façon radicale à une telle abomination".
 
Cruel contrepoint de l’actualité récente: l’assassinat commis il y a un an lors de cette même Gay Pride de Jérusalem, où Shira Banki, 16 ans, mourrait poignardée par un extrémiste. La fusillade d’Orlando où la communauté homosexuelle paye l’horrible tribu de l’homophobie combinée au terrorisme. Mais même sans cette actualité, le scandale de ces propos subsiste.
 
Notre malaise s’accroît encore après la tentative de clarification de l’actuel grand rabbin de France, Haïm Korsia. Naturellement, il comprend que les paroles "aient pu choquer". Mais tempère aussitôt en précisant que "ses propos ont largement dépassé sa pensée". Et de rappeler, au nom de sa proximité avec son prédécesseur, que "le grand rabbin Sitruk a toujours été à l’avant-garde de tous les combats menés par la société française au cours des trente dernières années." Il semble à tout le moins que la lutte contre l’homophobie n’en faisait pas partie…
 
En tant que citoyen je ne puis accepter un vocabulaire aussi peu en phase avec les évolutions naturelles de la société, qui cible de manière choquante une partie significative de sa population. En tant que juif je ne me sens absolument pas représenté par la position du grand rabbin actuel, inquiet de son absence de condamnation ferme qui, dès lors, laisse accroire la légitimité des propos. En tant que rabbin, enfin, je suis atterré par la version du judaïsme qui, volens nolens, nous est présenté en filigrane: un judaïsme manquant cruellement de compassion, déconnecté de son époque.
 
Il est temps que la société civile sache que telles ne sont pas les positions de la tradition juive. Il existe une sensibilité libérale du judaïsme, solidement représentée en France par des communautés ouvertes, tolérantes, inclusives. La société civile doit savoir que seuls quelques obscurantistes -toujours trop nombreux- prônent l’interprétation littérale des textes, dont celle du fameux verset Lev. 18, 22: "Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination." Est-ce cela, la tradition? Le littéralisme est ce qu’il y a de plus éloigné de l’interprétation juive des textes ! Le "c’est marqué dans la Bible" constitue, de l’aveu même des rabbins du Talmud, la pire compréhension de la Révélation!
 
Il est temps que la société civile sache que l’érudition juive actuelle considère que ce verset renvoie à l’homosexualité rituelle, ou aux relations violentes entre non-égaux, à l’humiliation et au dénigrement, autrement dit, qu’il concerne tout sauf l’homosexualité telle que nous l’entendons. Et quand bien même… Mieux que la chirurgie érudite et la compresse interprétative, je crois, tout simplement, qu’il nous faut prendre nos responsabilités face au texte.
 
Telle est, telle a toujours été la responsabilité des rabbins. Ceux du Talmud, ceux de la tradition, ceux qui ont constamment argumenté de leur courage en faisant jouer la clause de Deut. 30, 12: "[Cette Torah] n’est pas dans le ciel, pour que tu dises: ‘Qui montera pour nous au ciel et nous l’ira quérir, et nous la fera entendre afin que nous l’observions?’".
 
Reconnaître, en l’occurrence, que le verset cité réprouve peut-être l’homosexualité. Mais qu’il exprime un état de connaissance, une mentalité que nous ne reconnaissons plus comme les nôtres. Entendons bien: que nous ne souhaitons pas reconnaître comme la nôtre.
 
Il est temps, oui, que la société civile sache que cette responsabilité rabbinique a toujours été la norme des maîtres du Talmud; certains, venus un peu plus tard, semblent l’avoir oublié. La "lecture CQFD", celle qui dit "désolé, camarade homosexuel, c’est marqué dans la Bible!", cette lecture ne peut absolument pas prétendre à l’authenticité.
 
La parole du grand rabbin Sitruk et sa tentative de défense par le Grand Rabbin de France actuel ne sont en rien plus traditionnelles, plus authentiques qu’une parole ouverte, intelligente et en prise avec notre temps -cette parole que portent aujourd’hui les communautés du judaïsme libéral.
 
Ces communautés juives libérales en France peuvent sans doute faire mieux, et davantage en termes d’inclusivité, d’accueil et de rituel disponible envers les personnes homosexuelles. Elles y travaillent.
 
En attendant, nous savons qu’une majorité de personnes partage cette évidence, celle qu’une authentique tradition juive affirme haut et fort: c’est l’homophobie -et non pas l’homosexualité- qui est une abomination!