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 d’ADHEOS

Etre homosexuel en Tunisie n’a jamais été simple. Mais depuis la révolution, on assiste à un regain d’homophobie qui oblige les gays à vivre leur sexualité en quasi-clandestinité. Témoignages.
 
"Pédés", "monstres", "créatures de satan"… Des insultes de ce genre, les gays tunisiens ne les comptent plus. Depuis la révolution, les islamistes usent de discours homophobes pour attaquer leurs adversaires et tenter de les décrédibiliser. Et l’opposition emploie désormais cette même arme. Les homosexuels en sont les premières victimes. Les rapports amoureux et sexuels entre partenaires du même sexe ont toujours été considérés en Tunisie comme mauvais et malsains. C’est un des plus grands tabous sociaux. Depuis l’an dernier, la situation a empiré. « Sous Ben Ali, on était invisibles mais tolérés. Depuis la chute de la dictature, les islamistes nous montrent du doigt pour faire peur. Les agressions, surtout verbales, sont de plus en plus fréquentes », raconte Farid*, un Tunisois de 38 ans.
 
Une tension post-révolution
 
01-copie-1Il ne fait pas bon être gay en Tunisie. En mars dernier, le site tunisien Gay Day a subi un piratage de sa messagerie, de ses comptes Facebook et Twitter. Le titre a été remplacé par « Garbage Day Magazine », comprenez « le jour des ordures ». Un acte d’homophobie qui a eu lieu quelques semaines après la déclaration de Samir Dilou, le ministre… des Droits de l’homme ! Lors d’un entretien télévisé, il a comparé l’homosexualité à une perversion sexuelle et une maladie mentale nécessitant un traitement médical. Des propos tout de suite lourdement condamnés par nombre d’ONG comme Amnesty International. Les défenseurs des homosexuels se font très rares. C’est le cas d’Olfa Youssef, une intellectuelle, psychanalyste et directrice de la Bibliothèque nationale de Tunisie. Elle a publié récemment un ouvrage très polémique, désormais introuvable, Confusions d’une musulmane, où elle aborde plusieurs tabous de la société musulmane dont l’homosexualité. Ce qui lui a valu d’être qualifiée d’amie des « putes et des pédés » par certains commentateurs. Avant la révolution, les gays jouissaient d’une certaine tolérance malgré la loi qui prévoit trois ans de prison pour acte de sodomie. « Cette loi était très peu appliquée. Rien n’a changé depuis la révolution pour moi mais ce n’est pas le moment de parler des droits des gays. La société n’y est pas du tout préparée», explique Ahmed*, un jeune étudiant en histoire de 25 ans.
 
Internet : un outil devenu indispensable
 
Avec le regain des violences verbales, les gays se font discrets. Derrière les écrans, c’est sur des sites et des chats la plupart du temps qu’ils se rencontrent. Il existe aussi trois ou quatre bars gay-friendly à Tunis, mais qui ne sont fréquentés que par une petite communauté : « Je n’y mets jamais les pieds. Je ne veux pas qu’on m’y voit. S’y montrer c’est assumer au grand jour. Ce qui est très difficile. Ma vie privée ne regarde que moi. C’est mon secret», explique Ahmed. La majorité des gays et lesbiennes tunisiens mène une double vie. Sous la pression sociale, beaucoup se marient, ont des enfants, et continuent à avoir des relations avec des partenaires du même sexe. Il existe aussi ce qu’on appelle les « colocataires », à savoir deux hommes qui vivent ensemble pour des raisons officiellement économiques ou amicales. Nihel*, 21 ans, est étudiante en droit à Tunis. Un basculement s’est fait dans sa vie, il y a huit mois : « J’ai compris qui j’étais et j’ai décidé de m’assumer telle que je suis. Sans talons ni robe". Depuis, elle tente de contribuer à une autre révolution, celle des mentalités, sur Internet. " Sur notre page Facebook (dédiée aux lesbiennes, ndlr) où nous travaillions à plusieurs, les insultes pleuvent. On ne supprime rien, on répond pour essayer de faire changer les opinions », raconte-t-elle.
 
Partir ou rester
 
Une envie chevillée au cœur de Nihel : tout quitter. « J’aimerais partir en France, faire du journalisme. Depuis que ma mère sait pour moi, c’est plus dur et j’ai du mal à mentir. Je regrette le grand manque de tolérance des Tunisiens. Les salafistes me font très peur, pour les femmes en général. Ils sont en contradiction totale avec l’islam que je chéris». Pour d’autres, quitter famille, pays et amis est un prix trop cher à payer. Même si rester signifie mener une double vie. Ahmed est de ceux-là : « Je suis bien ici. Je vis heureux car je suis discret. Je ne pense pas le dire un jour. Mais il y a des clichés qu’il faut détruire. Je suis viril, j’ai des valeurs, je suis croyant, je suis un être comme les autres. Capable d’aimer et de chérir, d’être fidèle. Je ne bois pas, je ne me drogue pas, j’ai un métier respectable, j’aime ma famille au-delà de tout. Et, oui, j’ai déjà eu des relations amoureuses avec d’autres hommes », lance-t-il d’une traite. Les gays tunisiens se font désormais à l’idée qu’un long combat pour leur acceptation les attend Et cette révolution-là prendra du temps.
 
*Les prénoms ont été changés