Alors que plusieurs lois restreignant les droits des homosexuels ont été votées, des associations s’inquiètent de l’augmentation des agressions homophobes.
Les premiers étrangers interpellés sont quatre Néerlandais. Ils se trouvaient à Mourmansk, dans le Nord de la Russie, pour tourner un documentaire sur les droits des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres). En début de semaine, ils ont été accusés de violer la récente loi interdisant la « propagande » homosexuelle. Ils ont été relâchés quelques jours plus tard.
Au cours des deux derniers mois, les responsables politiques russes ont radicalisé la campagne menée contre les droits des LGBT en adoptant plusieurs nouvelles mesures législatives les visant – à commencer par l’interdiction d’adoption d’enfants russes par des célibataires ou des couples homosexuels étrangers, par une loi votée en juin.
Deux gays brutalement assassinés
Un virage politique qui semble avoir déclenché des tensions sociales accrues ainsi que des actes de violence et d’agressions homophobes. En moins d’un mois, deux hommes ont été brutalement assassinés en Russie, en raison de leur homosexualité.
Fin juin 2013, la Marche des fiertés de Saint-Pétersbourg a fait l’objet d’attaques de militants anti-gays qui ont lancé des bouteilles, des pierres et des boîtes de conserve sur les manifestants – tandis qu’à Moscou, les autorités refusent chaque année l’organisation de la gay pride.
Aleksandra Lopata, journaliste à Gay.ru, le plus grand site gay russe, explique qu’il a toujours été très difficile pour les homosexuels de vivre en Russie :
« C’est très difficile de faire son coming out. Beaucoup de ces personnes risquent de perdre leur famille et leurs amis ou de se faire licencier, parce qu’il n’existe pas de lois antidiscriminatoires. »
Des jeunes LGBT piégés par les réseaux sociaux
Dans le pays où l’homosexualité était considérée comme un crime jusqu’en 1993, 54% des Russes pensent toujours qu’il faudrait la punir, selon un sondage de l’institut Vtsiom, daté de juin. Aleksandra Lopata évoque une société très « homophobe », mais ajoute que la situation s’est considérablement détériorée ces derniers temps :
« Beaucoup de gays pensent sérieusement à quitter la Russie à cause des attaques contre des militants LGBT, des raids de police dans des bars gays… »
Plusieurs ONG rapportent l’organisation, via les réseaux sociaux, d’attaques de jeunes personnes LGBT par des groupuscules néonazis. Des pièges où ces jeunes, à qui l’on propose un rendez-vous, se feraient sur place menacer, humilier et torturer.
Mikhail Tumasov, du réseau associatif Russian LGBT network, évoque trois cas de jeunes ayant été poussés au suicide cette année : deux adolescentes à Novossibirsk et un jeune homme de 18 ans de Novy Ourengoï.
L’interdiction de la « propagande » homosexuelle
Selon Aleksandra Lopata, de Gay.ru, ces actes sont encouragés par les dernières réformes politiques restreignant les droits des personnes LGBT. Après l’adoption de lois régionales similaires le 30 juin, Poutine a promulgué une loi nationale contre la « propagande » homosexuelle visant les enfants, qui a été adoptée à l’unanimité par la Douma, la chambre des députés du parlement russe, mi-juin.
La loi prévoit notamment des amendes allant de 4 000 à 5 000 roubles (100-125 euros) pour une personne physique et de 800 000 à un million de roubles (19 000-23 500 euros) pour une personne morale.
La loi est formulée de manière si générale que les critiques s’inquiètent de la voir appliquée de manière très arbitraire. « Nous pensons que cette loi a ouvert la voie à des poursuites arbitraires des citoyens pour leurs opinions et à d’autres violations des droits de l’homme », explique Mikhail Tumasov du réseaux LGBT russe.
Interdit de « susciter de l’intérêt » pour l’homosexualité
Galina Arapova, spécialiste en droit des médias au Centre de défense des médias de masse, explique que non seulement cet amendement du code de la défense administrative va à l’encontre des engagements internationaux de la Russie en matière de liberté d’expression et des droits de l’homme, mais qu’ils ne remplissent pas les exigences essentielles de précision et de prévisibilité :
« La loi ne précise pas dans quelles conditions on peut être considéré coupable de faire de la propagande. Elle ne définit pas ce qu’est la propagande. En droit russe, une telle notion n’existe d’ailleurs pas en droit. »
En théorie, explique Galina Arapova, tout type d’information diffusée pourrait ainsi être considérée comme étant de la propagande :
« Le fait de justifier être homosexuel ou transgenre, le simple fait d’informer des jeunes sur l’homosexualité pourraient être considérés comme des actes illégaux ou de parler d’égalité de droits pour les homosexuels. Cette loi menace tout type de discours ou discussion publique sur ces thématiques. »
Selon ces amendements, le seul fait de « diffuser de l’information » visant à susciter des idées sur l’égalité sociale entre des relations hétérosexuelles et homosexuelles est interdit. Y compris le fait de « susciter de l’intérêt » pour des relations dites « non-traditionnelles » en « imposant de l’information pour celles-ci ».
La situation ne changera pas facilement
La loi ne précise pas comment savoir si la diffusion des informations visent ou non des mineurs, explique l’ONG pour la liberté d’expression Article 19, dans une analyse juridique [PDF en anglais] de la loi :
« Cela pourrait signifier le partage d’information là où des enfants sont susceptibles d’y être exposés. Or, des enfants sont susceptibles d’être présents dans tout espace public. »
Selon Galina Arapova, cette loi empiète sur la liberté de la presse. Elle estime cependant que les médias sont mieux protégés que les citoyens :
« Des personnes qui discutent sur des réseaux sociaux sont plus soumis aux risques parce qu’ils n’ont pas d’avocats comme les médias et ils ne connaissent pas les détails de la loi. »
Galina Arapova explique que ces amendements resteront en vigueur encore longtemps :
« Il faudrait qu’un cas russe arrive jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme afin que cette loi soit déclarée non-conforme avec la Convention européenne des droits de l’homme. Mais une telle procédure pourrait prendre jusqu’à sept ans. »
Un outil d’intimidation
Pour Olga Lenkova, du centre LGBT Coming out de Saint-Pétersbourg, la loi sur la « propagande » homosexuelle ne sera sans doute pas appliquée de manière systématique :
« Pendant un an, nous avons eu une loi similaire à Saint-Pétersbourg mais nous avons pourtant organisé différentes activités comme un festival de cinéma et publié un livre sur les familles atypiques. »
Du fait de son ambiguïté, Olga Lenkova voit cette loi davantage comme un outil d’intimidation de la part des autorités. S’organiser pour la cause LGBT en Russie a toujours été difficile. Au centre Coming out, on mesure les conséquences de chaque action avant de la lancer.
La situation est pourtant devenue de plus en plus difficile. Les autorités n’hésitent pas à utiliser d’autres dispositifs légaux pour s’attaquer aux associations LGBT.
Loi sur les « agents de l’étranger »
Le centre LGBT de Saint-Pétersbourg vient d’arrêter toutes ses activités publiques après avoir été poursuivi pour infraction à la loi qualifiant d’« agents de l’étranger » les ONG bénéficiant de financements extérieurs. L’association et sa présidente se sont vu infliger deux amendes pour un total de plus de 18 000 euros. Olga Lenkova explique que le procureur a laissé deux options au centre :
« Soit de nous enregistrer en tant qu’association étrangère, ce que nous ne sommes pas ; ou bien de cesser nos activités publiques. Le centre assure donc aujourd’hui seulement des activités de soutien et aide psychologique et légales. »
La loi sur les agents de l’étranger impose aux associations exerçant une activité politique et recevant des fonds de l’étranger de s’enregistrer en tant qu’organisation étrangère. Le centre LGBT de Saint-Pétersbourg percevait des dons de l’étranger mais ne s’était pas inscrit sur la liste des agents de l’étranger. Pour Olga Lenkova, il est clair que les associations LGBT sont la cible principale :
« Cette loi a été adoptée en novembre dernier. Depuis, cinq organisations ont été poursuivies, dont deux organisations LGBT. »
- Source RUE 89