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 d’ADHEOS

Île paradisiaque et berceau du reggae, la Jamaïque a un point commun avec l’Iran et l’Arabie Saoudite. Ces trois pays sont considérés comme les plus homophobes au monde. En France, c’est à l’annulation de certains concerts que ce fléau fait écho. Une fatalité sur place, où un consensus anti-gay semble enraciné, au détriment des centaines d’homosexuels qui vivent un enfer.
 
En Jamaïque, être un homme et porter une mini-robe rose relève d’un état suicidaire. Macy, 1,85 mètres, faux ongles fluos et perruque extravagante, se tient dans cette boutique du centre-ville de Kingston. Son ami vient d’’être retrouvé poignardé à l’arrière d’un immeuble. « J’en ai marre d’avoir peur ! », lance-t-elle. Alors, elle a décidé de venir ici, choisir des chaussures mixtes. En quelques minutes, une foule l’attend, certains sont munis d’armes blanches.
L’audace de Macy passe mal dans ce pays considéré comme le plus homophobe d’occident. En retrait, la police observe et attend le dénouement de cet épisode qui s’annonce macabre. Pour sauver sa peau, elle saccage la boutique afin de se faire escorter au commissariat et d’échapper à la foule.
 
Batty boy, Chi Chi man, Fish, Cat ou encore Boogie man… La communauté homosexuelle est la plus marginalisée et persécutée en Jamaïque. Elle serait composée d’environ 300 homosexuels sur le territoire et sur les soixante répertoriés dans la capitale, la moitié serait sans abri. À les entendre demander si en France, ils pourraient marcher librement dans la rue, il est difficile de répondre à ces jeunes, parfois âgés d’à peine 13 ans et aux corps déjà mutilés.
 
Pour échapper aux agressions, la seule solution reste de se terrer chez soi. « Je ne sors qu’en cas d’extrême nécessité », raconte Dwayne, 22 ans et sept points de suture suite à une agression dans un supermarché. « Bien sûr parfois je m’ennuie, j’écoute de la musique, je regarde la télévision, comme une femme au foyer ! »
 
Quatre lois anti-gay
De jour comme de nuit, que le quartier soit riche ou pauvre, l’homophobie fait rage sur l’île. La Jamaïque a d’ailleurs été classée en 2010 parmi les cinq pays les plus homophobes au monde par Amnesty International, aux côtés de l’Iran et de l’Arabie Saoudite.
 
Si aucune loi ne vise spécifiquement la communauté homosexuelle, les pratiques sexuelles entre hommes sont criminalisées. « Quiconque est jugé coupable du crime abominable qu’est la sodomie risque une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans », stipule l’article 76 de la loi sur les infractions contre les personnes. En tout, quatre lois punissent les relations sexuelles entre hommes, même consentants.
Présente dans la loi, les mœurs et sur les ondes, il est difficile de définir la cause, selon le directeur de J-Flag, principale organisation de défense des homosexuels du pays. Pour beaucoup, la religion joue un rôle principal, la Jamaïque concentrant le plus grand nombre de lieux de culte au mètre carré. S’ajoutent à cela la politique, l’éducation et la musique.
 
 
Dancehall, reflet ou influence ?
« J-Flag soutient la liberté d’expression mais les artistes doivent prendre leur responsabilité et assumer leur influence sur les auditeurs », explique le directeur de l’organisation, pointant les chansons qui appellent au meurtre des homosexuels. Il nuance: « La Jamaïque n’est pas homophobe à cause des artistes dancehall. C’est parce que l’île est homophobe que les paroles le sont aussi ». Selon un artiste dancehall et un producteur, soutenir la cause homosexuelle signerait la mort de l’artiste. « Un suicide pour ta carrière, le compromis serait de te la fermer ! »
 
Les scènes internationales annulées n’empêchent pas Kartel, Bounty Killer ou Sizzla de faire des émules parmi les homosexuels. « Sur quoi d’autre veux-tu que je danse ? Du Charleston ? » plaisante Gabriella. « J’ai 23 ans, et comme tous les Jamaïcains de mon âge, j’écoute du dancehall. Si je boycottais les homophobes, je ne pourrais strictement rien faire ici », insiste ce jeune travesti. Pas question pourtant d’aller les écouter sur la plage. « Non, les beach party, pour nous, c’est proscrit, à moins de vouloir être retrouvé en train de flotter le lendemain. »
 
Pour les sortir de leur quotidien, J-Flag organise, en collaboration avec la clinique Jamaica Aids Support (JAS) des soirées à thème chaque mardi soir. Autour d’un thé et d’une corbeille de préservatifs gratuits, ils discutent. Ce soir-là, le cœur n’est pas à la fête à en voir la boîte de dominos délaissée. Entre deux gorgées de thé, tout tourne autour des absents. Jamie, brûlé vif, Ashann, retrouvé poignardé ou encore Dwayne, battu à mort en plein jour.
C’est Yvonne Artis, responsable de la clinique JAS, qui est appelée pour reconnaître les corps. L’adresse de ces jeunes sans-abris étant le clinique où ils se douchent et mangent trois fois par semaine. « La situation a empiré », assure-t-elle. « De toute façon même s’ils ont très peur, ils sont condamnés à risquer leur vie et venir car nous leur fournissons la seule aide sur le territoire. »
 
Pour ceux prêts à assumer leur homosexualité au grand jour, l’avenir est tout tracé : « la mort ou l’exil pour les plus chanceux », lâche-t-elle, comme un couperet.