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 d’ADHEOS

En Iran comme en Tchétchénie – où une violente répression l’a rappelé récemment –, vivre son homosexualité est impossible. Entre 2014 et 2016, Laurence Rasti a rencontré, en Turquie, des lesbiennes et des gays iraniens qui posent avec pudeur et humour.
 
C’était il y a bientôt dix ans, en septembre 2007, à l’université américaine de Columbia, à New York. Le président iranien, le populiste et réactionnaire Mahmoud Ahmadinejad, qui s’apprête à prendre part à l’Assemblée générale des Nations unies, affirme que l’homosexualité n’existe pas en Iran. Aux Etats-Unis, certainement, mais dans son pays, non, dit-il : « Nous n’avons pas ce phénomène, je ne sais pas qui vous a dit que cela existait chez nous. »
 
Encore passible de la peine de mort
 
Depuis, le modéré Hassan Rohani, qui a succédé à M. Ahmadinejad en 2013 et vient d’être réélu dès le premier tour le 19 mai, a conclu un pacte républicain tacite avec la société civile iranienne : l’Etat respecte mieux la vie privée de chacun, tant que l’on ne se mêle pas trop de politique. Les homosexuels vivent davantage à leur aise en Iran aujourd’hui, même si, en droit, l’homosexualité masculine demeure passible de la peine de mort (une telle peine est très rare dans les faits). Les lesbiennes risquent, quant à elles, la flagellation. Si une fatwa publiée en 1987 par le fondateur de la République islamique, l’ayatollah Khomeyni, a légalisé la transsexualité, l’homosexualité suscite encore, dans cette société conservatrice, une profonde incompréhension et des violences, poussant nombre d’homosexuels à fuir leur pays.
 
Prenant au pied de la lettre l’affirmation de l’ex-président Ahmadinejad qui niait l’existence même de l’homosexualité en Iran, Laurence Rasti a photographié des homosexuels iraniens exilés en Turquie.
 
Ces exilés, la photographe suisse d’origine iranienne Laurence Rasti, 27 ans, les a rencontrés en Turquie, où les Iraniens se rendent aisément sans visa, pour quelques jours de vacances. Elle a effectué une dizaine de voyages, entre 2014 et 2016, dans la ville de Denizli, 500 000 habitants, dans le sud-ouest du pays. Elle s’est mêlée à ces jeunes gens qui attendent, durant deux ou trois ans, d’obtenir l’asile ailleurs : principalement au Canada et aux Etats-Unis.
 
Leur attente se fait plus longue aujourd’hui : Toronto accueille désormais principalement des réfugiés syriens ; et l’accès à Washington est devenu plus difficile depuis que le président Donald Trump a adopté, en mars, un nouveau décret anti-immigration, suspendu en justice, qui interdit la délivrance de nouveaux visas aux ressortissants de six pays musulmans, dont l’Iran.
 
Il existe de nombreux angles dans les images de Laurence Rasti : des coins de mur où l’on s’enfonce, des perspectives que l’on n’aperçoit que tronquées à travers les fenêtres, des pentes de collines en forêt où l’on s’assoit pour quelques heures. Ses prises de vue, pour certaines en plongée, maintiennent une distance pudique avec leur sujet. Les visages sont rares, si ce n’est cet homme qui se montre à l’objectif mais cache le visage de son ami. La plupart des hommes et des femmes photographiés par Laurence Rasti ne veulent pas être identifiés. Leurs familles, souvent, ignorent la raison de leur fuite. Certains entretiennent l’espoir de revenir un jour en Iran.
 
Ces portraits comportent un aspect ludique : on se déguise, on gonfle des ballons. « Je voulais me focaliser sur leur situation actuelle et l’espoir de liberté qu’elle évoque. Les images sont construites avec des éléments simples, légers, parfois même festifs, pour créer un paradoxe avec la gravité du sujet et la précarité de leurs situations », raconte la photographe. La Turquie où ses sujets patientent n’est pas un Eden pour les homosexuels iraniens. A Denizli, la police ne les harcèle pas, mais elle ne leur vient pas forcément en aide en cas de coup dur. Ils y vivent dans la discrétion, en attendant un nouvel exil. 

Les images de sa série, baptisée « Il n’y a pas d’homosexuels en Iran », seront rassemblées dans un livre publié aux éditions Patrick Frey, à paraître en septembre.