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 d’ADHEOS

Salariée d’un groupe de restauration collective EUREST, Karine a vécu l’enfer au travail. Après 5 ans de procédure, la justice l’a reconnue victime de harcèlement moral et d’homophobie.

« Le pot de terre contre le pot de fer. » C’est l’image que choisit souvent Karine pour résumer ce bras de fer judiciaire qui a duré cinq longues années. Avec une victoire à la clé pour cette femme de 50 ans résidant à Châteaugiron, près de Rennes (Ille-et-Vilaine).

D’abord au Conseil de Prud’hommes, puis à la Cour d’appel de Rennes, elle a été reconnue, par sept juges, victime d’homophobie et de harcèlement moral au sein de la société Ansamble, filiale du groupe Elior basée à Vannes (Morbihan).

« Ils m’ont humiliée », s’indigne encore Karine en évoquant son histoire, qu’elle a souhaité médiatiser pour « montrer aux autres victimes de harcèlement au travail qu’on peut gagner ». Nous l’avons rencontrée chez elle avec son épouse, qui se prénomme également Karine, et qui l’a toujours soutenue dans son combat.

Des reproches tous les jours

Salariée du groupe Eurest depuis 1993, Karine travaille dans un grand restaurant d’entreprises de Chantepie, dans la banlieue rennaise, lorsqu’en 2015, l’établissement est repris par Ansamble. Ce changement va entraîner l’arrivée d’un nouveau responsable. Et très vite, c’est le début du calvaire.

« Tous les jours, il me faisait des reproches sur ma façon de travailler. Chaque semaine, j’étais convoquée au moins deux fois dans son bureau. Mais la situation s’est aggravée quand j’ai dit que je me mariais avec ma compagne », rembobine Karine.

« Des gens comme cela, ils étaient juste bons à être fusillés »

Un jour, en présence de collègues, dans son bureau, son supérieur lâche cette phrase à caractère homophobe : « Des gens comme cela, en temps de guerre, ils étaient juste bons à être fusillés. » Choquée, Karine alerte ses supérieurs.

« La violence de ces propos a beaucoup marqué les juges », commente de son côté Me Kellig Le Roux, l’avocate du cabinet rennais Breizh Lex qui a défendu la Castelgironnaise. Spécialiste du harcèlement et des discriminations au travail, elle n’a pas hésité une seconde à s’investir dans cette affaire.

« Absence totale de réaction de l’employeur »

« Quand elle (Karine) raconte son histoire, on voit tout de suite qu’on ne peut pas inventer ça. C’est un dossier marquant, qui m’a touchée, aussi par l’absence totale de réaction de l’employeur », poursuit son avocate. En effet, les supérieurs et les ressources humaines de la société ne vont pas lever le petit doigt, allant même jusqu’à « minimiser les faits » selon Karine.

Elle poursuit : « Pour vous protéger, imaginez-vous dans une pièce de théâtre, mettez-vous dans votre bulle pour prendre la distance nécessaire », m’a dit ma DRH de l’époque ! ».

En arrêt pour burn-out

Quelques mois plus tard, en décembre 2016, l’employée finit par « lâcher prise » après une énième convocation dans le bureau de son harceleur « pour m’humilier en présence de la déléguée du personnel, du chef de cuisine et une élue du CHSCT à l’époque, pour des raisons que j’ignore encore aujourd’hui. Devant eux, il a tenu ces propos : ‘Elle est con ou elle le fait exprès ?’. Ils n’ont strictement rien fait. »

Mise en arrêt de travail pour burn-out ce jour-là, elle le restera plusieurs semaines. Son supérieur, lui, n’a jamais été inquiété. Pourquoi ? « Ça restera un mystère », s’interrogent encore les deux Karine.

« Ils ont voulu me détruire »

Mars 2017. Elle tente de reprendre le travail en mettant les choses au point : « Je leur ai dit que je ne voulais pas reprendre si mes conditions restaient identiques et si une explication avec mon gérant n’avait pas lieu au regard des risques psychosociaux que j’encourais. Au lieu de cela, j’ai été mise au placard dans un autre établissement. » Un traumatisme de plus.

Après plus de 20 ans d’ancienneté, elle se sent humiliée. « Mes responsables hiérarchiques ont clairement voulu me détruire, me broyer et m’épuiser psychologiquement. » Pour son épouse, le but de la direction était « de la faire craquer pour qu’elle démissionne, mais ils l’ont sous-estimée en la prenant pour quelqu’un de faible ».

Contactée par Le Journal de Vitré, la direction d’Ansamble a répondu qu’elle n’avait « pas de commentaire officiel à faire ».

Résiliation judiciaire du contrat de travail

Une amie de Karine lui conseille d’aller voir un avocat. Ce qu’elle fait. L’avocat commence par demander une rupture du contrat à l’amiable. Sans retour de l’entreprise. En octobre 2017, la décision est prise de saisir le conseil des Prud’hommes. « Et là, ils ont commencé à réagir un peu. »

Plus d’un an plus tard, le 28 décembre 2018, le jugement prononce « la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs exclusifs de la société Ansamble Breiz Restauration, pour des faits de harcèlement moral ».

Il a aussi condamné l’entreprise à verser à Karine des dommages et intérêts « pour harcèlement moral« , mais aussi pour « rupture abusive du contrat de travail ».

« J’ai eu la chance de gagner parce que j’avais des preuves »

Témoignages de collègues, captures de conversations écrites (mails, textos), violence des propos du harceleur… « J’ai eu la chance de gagner parce que j’avais des preuves », reconnaît-elle. Me Le Roux précise : « C’était un dossier d’autant plus facile que lorsqu’il s’agit d’homophobie, il suffit d’un fait pour que le dossier de harcèlement soit constitué. Alors que pour le harcèlement moral, en général, il faut présenter des faits répétés. C’est une exception à la règle. »

Pour elle aussi, c’est une belle victoire.

Cependant, un nouvel obstacle se dresse en janvier 2019, lorsque la société Ansamble décide de faire appel de cette décision. « Ce qui continuait à me maintenir sous contrat de travail, pieds et mains liés avec cette société, dans l’impossibilité de pouvoir travailler ailleurs et d’avoir à nouveau des revenus », déplore Karine.

Nouvelle victoire en appel

Aucune solution amiable ne sera trouvée. C’est reparti pour une longue, très longue attente. En raison du Covid et de délais incompressibles propres à l’appareil judiciaire, le jugement sera rendu -et confirmé- trois ans plus tard, en avril 2022, par la Cour d’appel de Rennes.

À un détail près : la somme des dommages et intérêts a été diminuée de moitié. Une aberration pour Me Kelling Le Roux. « Ce n’est pas cohérent, car son préjudice s’est aggravé entre temps, elle a perdu de l’argent. On n’a jamais d’explication dans ces cas-là, mais c’est dommage. »

Tenir avec un seul salaire

L’aspect financier a été le nerf de la guerre pendant ces cinq années. Le couple dépendait d’un seul salaire. « Il a fallu tenir, on avait un prêt à rembourser. On se demandait quand ça allait se terminer », se souvient Karine, l’épouse, qui travaille dans l’enseignement.

Finalement, le vrai point final de l’histoire est intervenu en juillet 2022, avec la réception du document officiel de non-pourvoi en cassation de la société Ansamble.

« Que mon cas donne de la force et de l’espoir à d’autres »

Soulagée et fière, Karine va pouvoir se reconstruire. Elle a d’ailleurs déjà retrouvé un emploi dans une chocolaterie.

« Pendant ces cinq années, j’ai réussi à tenir psychologiquement et financièrement avec l’aide de ma compagne au prix de beaucoup de sacrifices personnels. J’aimerais que mon cas donne de la force et de l’espoir à d’autres. Il ne faut pas avoir peur d’y aller. J’y suis arrivée, alors pourquoi pas d’autres. »