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 d’ADHEOS

La Cour européenne des droits de l’homme se penchait ce jeudi sur deux nouvelles requêtes de Français qui contestent le refus des autorités de transcrire à l’état civil les actes de naissance de leurs enfants nés par une gestation pour autrui à l’étranger.
 
C’est une «victoire», un «coup de semonce pour la France, qui doit s’incliner et accepter enfin la jurisprudence de la CEDH, pour qu’enfin ces enfants puissent vivre une vie sereine». Me Caroline Mécary, avocate au barreau de Paris et spécialiste des droits des homosexuel(le)s, ne cache pas sa joie pour ses clients : ce jeudi, la France a de nouveau été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour son refus de transcrire à l’état civil les actes de naissance d’enfants nés par GPA (gestation pour autrui) à l’étranger. La justice européenne a considéré qu’il s’agissait d’une violation du droit des enfants à leur vie privée et condamné Paris à verser 5 000 euros à chacun des enfants au titre des dommages et intérêts et 15 000 euros à chaque famille au titre des frais de procédure. C’est donc la deuxième fois que la France fait l’objet d’une condamnation pour ce motif. Pourquoi la question est-elle revenue devant la justice européenne ? Que peut-on attendre de cette nouvelle condamnation ? Décryptage.
 
Quels étaient les cas examinés par la CEDH ?
 
Ce sont deux histoires aux allures de parcours parallèles. Il y a d’abord celle de Didier. A 45 ans, ce Français est le père biologique d’une petite fille née d’une mère porteuse le 31 juillet 2009 à Bombay. Tout se corse quand l’homme cherche à faire transcrire à l’état civil français l’acte de naissance établi en Inde : le procureur de la République de Nantes, compétent en la matière, s’y oppose, car il soupçonne que l’homme ait eu recours à la gestation pour autrui, interdite en vertu de l’article 16-7 du Code civil, selon lequel «toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle.» Didier saisit alors le tribunal de grande instance de Nantes, qui accède à sa demande. Mais le parquet fait appel, et la cour d’appel de Rennes annule cette décision. Didier en appelle alors à la Cour de cassation, qui le déboute.
 
Et puis il y a Philippe, 51 ans, papa de jumeaux âgés de six ans, eux aussi nés dans la même métropole indienne. Lui a d’abord entamé des démarches auprès du consulat français en Inde pour que ses fils soient inscrits à l’état civil français. Mais il s’est heurté peu ou prou aux mêmes obstacles que son compatriote. D’abord, l’opposition du procureur de la République de Nantes, puis le tribunal de grande instance de cette même ville qui accède à sa demande, avant un appel du parquet, puis une confirmation de la décision en appel, et en fin de marathon judiciaire : une fin de non-recevoir de la Cour de cassation, en septembre 2013. «Il s’agit tout bonnement d’une violation du droit à la vie privée», s’agaçait mercredi leur avocate, Me Mécary, pour qui «on essaie de faire payer aux enfants leur mode de conception». Dernier recours : la CEDH, saisie dans la foulée, soit avant la première condamnation de la France sur le sujet.

Un goût de déjà vu
 
La France a en effet déjà fait l’objet d’une double condamnation en juin 2014 pour deux cas similaires. Dans les arrêts Mennesson et Labassé, du nom des requérants, la justice européenne s’était déjà penchée, non pas sur l’interdiction de la GPA en France, en vigueur depuis plus de 25 ans et aucunement remise en cause, mais sur l’impact du refus des autorités de transcrire à l’état civil les actes de naissance des enfants nés de GPA à l’étranger. Résultat : la France avait été condamnée au nom de «l’intérêt supérieur de l’enfant». La justice européenne avait estimé que les autorités françaises ne pouvaient porter atteinte à «l’identité» des bébés nés de mères porteuses à l’étranger en refusant de les reconnaître, ce qui devait théoriquement ouvrir la voie à une évolution de la législation dans l’Hexagone.

Et depuis ?
 
«En réalité, cette question de l’état civil en implique deux autres : la nationalité et la filiation», explique Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’Etat, à la Cour de cassation, et conseil des époux Mennesson. «Pour ce qui est de la nationalité, avant même la condamnation de la France par la CEDH, la circulaire dite Taubira [envoyée en janvier 2013 aux greffiers et aux procureurs, NDLR] validait déjà la délivrance de certificats de nationalité aux enfants ainsi conçus». Reste toutefois l’épineuse question de la filiation. Un pas considérable a été franchi en juillet 2015 : alors qu’elle déboutait systématiquement les requérants en raison de la «fraude» à la loi française, la Cour de cassation a rendu l’été dernier un arrêt favorable à la transcription à l’état civil de l’acte de naissance de deux enfants conçus par GPA à l’étranger, bouleversant la jurisprudence.
 
Les parents d’intention toujours dans l’incertitude
 
«Cet arrêt de la Cour de cassation reconnaît un droit à la filiation entre l’enfant et le parent biologique, mais la question du parent d’intention (par exemple le conjoint du parent biologique, dans un couple homo comme hétéro), n’est pas réglée», souligne Me Spinosi, pour qui les requérants se heurtent souvent à «des positions idéologiques et à une volonté politique de limiter les effets de la première décision de la CEDH, qui prévoit en principe l’établissement d’un lien de filiation à l’égard du parent d’intention, mais où demeure une ambiguïté alimentée par les opposants à une application maximaliste de cette décision». Un sentiment que partage Me Caroline Mécary, qui écrit ce jeudi dans un communiqué : «Une fois de plus et malheureusement – pourrait-on dire – c’est la CEDH qui rappelle à la France le nécessaire respect de la Convention européenne des droits de l’Homme. Les familles sont très satisfaites de la décision rendue, ce jour. Elles en appellent au Garde des Sceaux (supérieur hiérarchique du parquet de Nantes) pour que sans attendre la transcription des actes de naissance de leurs enfants soit ordonnée et effectuée afin de rendre effective la décision de la CEDH et mettre ainsi un terme à 7 ans d’indignité et de souffrance inutiles.» Jointe par Libération, l’avocate précise que la France aurait la possibilité de faire appel de cette décision, ce qui lui semble «peu probable vu qu’elle ne l’a pas fait la première fois. La seule motivation d’un appel serait d’ordre politique», analyse-t-elle.
 
Tous deux espèrent que cette nouvelle condamnation de la France évite toute «interprétation restrictive», et s’applique aussi aux parents d’intention. «On ne peut dans tous les cas pas laisser la législation en l’état, il faut que soit reconnu le droit légitime d’un enfant à voir sa filiation avec ses deux parents validée, que ce soit par la transcription à l’état civil, ou par l’adoption. C’est un élément essentiel, par exemple en cas de décès, pour que l’enfant puisse bénéficier des mêmes droits de succession que les autres ou pour les questions de garde», souligne Me Spinosi, qui rappelle que la Cour de cassation a été saisie de la question de la filiation des parents d’intention et devrait se prononcer d’ici à l’année prochaine. Une autre requête similaire est également en suspens devant la Cour européenne des droits de l’homme. La condamnation de ce jeudi pourrait en tout cas peser pour clarifier le quotidien de ceux que les associations appellent les «fantômes de la République». Ils seraient environ 2 000 à vivre en France.