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 d’ADHEOS

L’Union des étudiants juifs de France organise dimanche 22 février à Paris les Assises de la lutte contre la haine sur Internet. La Commission nationale consultative des droits de l’homme a justement adopté, le 12 février dernier, un avis sur ce sujet brûlant.
 
Cette autorité administrative, qui remplit auprès du gouvernement un rôle consultatif sur la question des droits de l’homme depuis près de soixant-dix ans, formule quinze recommandations à destination des pouvoirs publics. Si elle ne propose pas la création de nouveaux textes de loi, elle préconise en revanche un aménagement et un toilettage de nombreux dispositifs existants.
 
Dès ses premières pages, le document formule une ode à la liberté d’expression, en des termes peu courants dans la littérature officielle. « Si comme l’affirme l’article 11 de la Déclaration de 1789, “la liberté de communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’homme”, alors l’Internet est aujourd’hui l’un des instruments les plus précieux de l’un des droits de l’homme les plus précieux. De plus, si la Convention européenne des droits de l’homme (CESDH) dispose en son article 10-1 que la liberté d’expression doit s’exercer “sans considération de frontière”, c’est l’Internet, et lui seul, qui a permis la levée effective des “frontières” », écrit ainsi la Commission. Le ton est donné.
 
Une double critique contre le gouvernement
 
La commission critique ensuite deux des principales mesures prises récemment par le gouvernement pour lutter contre la propagande djihadiste sur Internet. Le premier, c’est le basculement de l’apologie du terrorisme de la loi de 1881 sur la liberté de la presse vers le droit pénal, plus sévère.
 
« Les incriminations existantes dans la loi de 1881 sont suffisantes, ce champ de la répression ne saurait être élargi sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression », explique d’abord le document. « Les infractions incriminant les discours de haine, abus de la liberté d’expression présentent une spécificité telle qu’il n’est pas permis de les intégrer dans le code pénal », assène ensuite la Commission, qui craint que « le mouvement de sortie de la loi du 29 juillet 1881 d’un certain nombre d’infractions relatives aux abus de la liberté d’expression vide cette grande loi de sa substance, en lui faisant perdre sa cohérence, au risque de la marginaliser et de la voir disparaître à terme ».
 
Autre initiative récente du gouvernement critiquée par la CNCDH, le blocage sans intervention d’un juge de sites terroristes, dont la possibilité a été introduite dans la loi contre le terrorisme adoptée en novembre.
 
La Commission « estime l’intervention d’un juge nécessaire pour ordonner et contrôler le retrait d’un contenu illicite et le blocage d’un site Internet ». Ce faisant, elle ne fait que reformuler le reproche déjà adressé au texte lorsqu’elle s’était autosaisie, en septembre dernier.
 
« Censure privée » et responsabilité accrue pour certains sites
 
Ces critiques formulées et prenant note de la « prolifération inquiétante des discours de haine » sur Internet, la Commission constate l’absence de statistiques fiables et à jour sur le sujet et « recommande aux pouvoirs publics l’amélioration des instruments permettant de connaître l’ampleur de la prolifération des discours de haine ».
 
La Commission propose aussi plusieurs modifications dans la loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN), qui constitue le socle législatif de la régulation des contenus sur Internet en France. Ce texte prévoit qu’un hébergeur (celui qui stocke le contenu sur Internet, un réseau social par exemple) ne devient responsable du contenu illégal qu’à partir du moment où ce dernier lui est signalé.
 
Même si la Commission met en garde contre une « privatisation de la censure » qui interviendrait si on donnait davantage de responsabilités à ces hébergeurs et plus généralement prestataires de l’Internet (réseaux sociaux, fournisseurs d’accès à Internet…) dans la lutte contre les contenus litigieux, cela ne l’empêche pas de considérer que certains d’entre eux devraient être astreints à une « obligation de détection préventive des actes illicites » justifié notamment par leur « outillage technique ». Certains acteurs d’Internet offrent « des services de référencement ou de classement », preuve selon la Commission d’un « rôle actif sur les contenus mis en ligne ». Cela ouvrirait donc la voie à un accroissement considérable de la responsabilité de nombreux acteurs d’Internet, comme les réseaux sociaux, dans la décision de supprimer des contenus sur la Toile. Une responsabilité contre laquelle la CNCDH met justement en garde.
 
La Commission évoque aussi la série de comparutions immédiates pour apologie du terrorisme, appelant le gouvernement à définir « précisément la notion d’apologie du terrorisme », remarquant que « certaines procédures d’urgence ne sont pas adaptées au contentieux des abus de la liberté d’expression, dont la complexité et les valeurs en jeu imposent un traitement ferme, mais mesuré ».
Menaces sur la loi sur la presse de 1881
 
En France, la liberté d’expression est encadrée par la loi de 1881 sur la liberté de la presse (à l’exception de l’apologie de terrorisme, qui a basculé dans le code pénal). La Commission souligne certains aspects dépassés de cette loi, qui malgré ses aménagements au fil des ans, n’a pas pris en compte le nouveau paradigme de « l’expression publique généralisée » rendue possible par Internet.
 
La Commission incite à ce titre le législateur à « améliorer la clarté » de la loi, en précisant notamment les contours des notions « d’espace public et d’espace privé dans le Web 2.0 ». La loi de 1881 étant connue pour ses infinies subtilités procédurales, la Commission en suggère une numérisation et simplification de certains de ses mécanismes.
 
Parallèlement, la CNDH propose d’étendre aux sites la sanction qui existe déjà contre les journaux, à savoir une mesure de suspension judiciaire de trois mois en cas de provocation à la haine raciale.
 
Une proposition de nouvelle autorité centrale
 
La CNCDH esquisse enfin les contours d’un « point de contact unique pour tous les acteurs du Web », qui pourrait être la création ex nihilo d’une autorité administrative ou une extension de l’une des trois déjà concernées par le secteur, l’Hadopi, la Cnil ou le CSA. Se faisant, la Commission fait sienne l‘idée ancienne et controversée de confier au CSA la régulation des contenus sur Internet.
 
La Commission précise que cette nouvelle autorité – qu’elle imagine « flexible, réactive et innovante » – ferait l’objet d’une « composition pluraliste » avec des « représentants de la société civile ». Elle serait chargée de piloter une forme de « corégulation ».
 
Elle pourrait formuler des avertissements, voire des mises en demeure, contre les sites qui ne respectent pas la LCEN, mais aussi avertir l’usager dont les contenus sont supprimés car illégaux. Dans un second temps, l’autorité pourrait demander en référé à un juge de suspendre l’accès Internet de l’usager contrevenant. En contradiction apparente avec ses propres préconisations, l’autorité aurait le pouvoir de procéder au déréférencement provisoire d’un contenu suspect, sans passer par un juge.
 
Cette autorité serait également investie du rôle de maintien hors-ligne d’un contenu dont le retrait a été ordonné par un juge. Elle pourrait également établir une liste de sites à bloquer, validée par l’autorité judiciaire. Elle serait également en position de nouer des partenariats avec les prestataires privés pour l’élaboration de chartes et d’adaptation des conditions générales d’utilisation de certains sites, d’assurer une mission de veille pour assister juridiquement les hébergeurs faisant face à des contenus litigieux, de procéder à une « labellisation » des sites respectueux ou de mettre en œuvre une « médiation » entre sites et internautes, notamment lorsque ces derniers ne parviennent pas à faire retirer un contenu litigieux.