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 d’ADHEOS

Elle est la première – et la seule – sénatrice ouvertement lesbienne. Pour TÊTU, l’élue du Maine-et-Loire revient sur sa visibilité, la méconnaissance des parlementaires concernant les questions LGBT et sa volonté de faire bouger les choses.
 
Cet article est la version longue de l’interview qu’a accordé Corinne Bouchoux à TÊTU, à retrouver dans le numéro 178, avec Olivier Giroud en couverture, en kiosque jusqu’au 25 juin.
 
Si, en France, les coming out d’hommes politiques restent encore peu nombreux, du côté des femmes, c’est carrément le désert… ou presque. Car, en décembre 2011, Corinne ­Bouchoux a fait une sortie remarquée dans Le Parisien, en expliquant que le Sénat, «c’est hétéroland». La sénatrice écologiste du Maine-et-Loire, ouvertement lesbienne, a le sens de la formule. Depuis, elle a refusé toutes les demandes des journalistes français, intrigués par ce profil atypique, et n’a concédé qu’une exception, pour TÊTU -«un journal que je lis et que j’apprécie», dit-elle. Le rendez-vous est fixé dans un café parisien, à deux pas du Conseil d’État, où elle a ensuite une réunion. Un Coca à la main, elle nous accueille, tout à fait à l’aise. Avec visiblement l’envie de «secouer le cocotier», selon son expression.
 
Vous êtes la première -et la seule- sénatrice ouvertement lesbienne en France. Étiez-vous consciente, lors de votre élection, que votre situation était sans précédent?
Des amis me l’avaient signalé. Il y avait tout de même deux femmes politiques d’envergure nationale dont l’homosexualité m’était connue. Tout d’abord la socialiste Françoise Gaspard, qui a été maire, députée, députée européenne et qui, après avoir quitté la vie politique, a clairement assumé sa vie personnelle. Il y a également l’avocate Caroline Mécary, conseillère régionale en Ile-de-France sous l’étiquette Europe Écologie-Les Verts. C’est une combattante pour qui j’ai énormément d’estime.
 
Ma difficulté est maintenant que l’on ne me réduise pas à cette caractéristique. Je suis une ardente militante des droits des homosexuels, mais je ne voudrais pas que tout mon mandat soit résumé par cela. Je dois donc trouver un juste milieu entre le fait d’en parler, auprès du bon média, et de ne pas parler que de ça.
 
Quand avez-vous publiquement évoqué votre homosexualité pour la première fois?
Je l’assume publiquement depuis mon pacs, en 2001. Ma compagne, Christine Bard, est une universitaire brillante, moi j’étais à l’époque une illustre inconnue. Nous avons publié un faire-part dans Le Monde. Ainsi, les choses étaient posées et il n’en a plus été question, jusqu’aux élections sénatoriales, en septembre 2011. J’ai dit ma situation à un journaliste du Courrier de l’Ouest qui l’a mentionnée dans un article. Puis en décembre dernier, dans Le ­Parisien, j’ai résumé le Sénat par une boutade en déclarant : « C’est hétéroland. » C’est seulement après coup, en étant contactée par de nombreux journalistes français et étrangers, que je me suis rendu compte que j’avais dit quelque chose d’un peu étonnant dans le paysage politique.
 
L’article du Parisien a révélé votre homosexualité à beaucoup de monde. Quelles ont été les réactions après sa parution?
Je vais peut-être vous étonner: quasiment aucun commentaire négatif, juste une lettre d’une élue de droite de Maine-et-Loire qui découvrait la chose et qui était courroucée. En revanche, j’ai eu beaucoup de retours positifs de femmes touchées par ce que j’avais fait. Au Sénat, ça a été plus feutré. Il y a quelques sénatrices qui sont venues me voir en disant «c’est très courageux, bravo».
 
Le fait de ne pas cacher votre orientation sexuelle, était-ce un geste militant ?
Complètement. Surtout vis-à-vis des jeunes. Ils n’ont pas assez de représentations positives de l’homosexualité. C’est important qu’ils puissent se dire «on peut être homo et arriver à faire de la politique». Il y a un second aspect, politique. Nous sommes encore dans une situation où nous n’avons pas l’égalité des droits, où les femmes n’ont pas la parité au Sénat. C’est aussi un combat militant que de dire: il faut que cela change. En tant que femme et en tant que lesbienne.
 
Est-ce qu’il y a des femmes politiques qui vous ont fait comprendre qu’elles étaient lesbiennes?
Non. Il y a un sénateur qui est venu me demander si mon interview au ­Parisien avait posé problème, je lui ai répondu que non. À mots couverts, il m’a laissé entendre qu’il avait un compagnon, mais que lui ne souhaitait pas communiquer sur le sujet. De temps en temps, on se fait un sourire, quand on se croise dans l’hémicycle.
 
Quand on vous écoute, on a l’impression que, pour une femme politique, il n’y a pas de problème à dire son homosexualité. Comment expliquer qu’il y ait aussi peu de femmes out dans ce milieu?
Je pense que la culture politique française est très masculine, très traditionnelle. Et puis, honnêtement, c’est déjà tellement compliqué quand vous êtes une femme! Je comprends très bien qu’elles ne veuillent pas prendre le risque de le dire.
 
Comment faire pour que la diversité soit mieux représentée au Sénat?
C’est quelque chose qui me taraude depuis mon premier jour dans l’hémicycle. Nous ne sommes que 22 % de femmes! Ça a été un choc, une expérience initiatique, de se vivre à ce point minoritaire! On se dit: il faut que les choses évoluent. Je suis opposée au système tel qu’il est, où le pouvoir est concentré dans les mains de quelques-uns. Les diversités -au pluriel- doivent être représentées. Cela doit passer par un changement des modes de scrutin. Selon les circonscriptions, les sénateurs sont élus au scrutin uninominal -on vote alors pour une personne- ou au scrutin plurinominal -et on vote pour une liste de personnes. Tant que l’on conserve ce scrutin uninominal, ce sera très compliqué pour les femmes. C’est un scrutin machiste en soi, qui favorise ceux qui ont déjà le pouvoir. Alors qu’une élection par liste laisse plus de marges de manœuvre. Un parti peut, par exemple, alterner un homme et une femme.
 
Est-ce que vous allez travailler sur les questions LGBT au cours de votre mandat?
Ce n’est pas moi qui suis en charge des questions de discrimination, mais j’en discute avec mes collègues, quand on me demande mon avis. J’aimerais beaucoup organiser au Sénat un colloque sur les enjeux de l’égalité pour les personnes homos, la reconnaissance des personnes trans… Il y a une grande méconnaissance de la part de certains de mes collègues sur ces questions. Ce n’est pas de la mauvaise volonté: ils n’y ont simplement jamais été confrontés. Si davantage de parlementaires étaient prêts à discuter des thématiques LGBT, je pense que la République y gagnerait. Et cela ne serait pas du communautarisme, mais simplement la prise en compte de toutes les sensibilités humaines.
 
Vous pensez que votre geste pourra contribuer à libérer la parole des femmes politiques?
Pour l’avenir, je ne sais pas. Par contre, on peut déjà regarder le passé. Comme je suis historienne, j’ai décidé de me saisir de ce sujet et d’écrire un livre sur les lesbiennes en politique. J’ai trouvé quelques exemples de Françaises qui ont fait de la politique et qui étaient probablement lesbiennes. Comme Marie-Thérèse Eyquem, une socialiste du milieu du XXe siècle, à qui cela a été reproché. Je voudrais également m’entretenir avec des femmes politiques out. Voir pourquoi dans certains autres pays on le dit davantage. Qu’est ce que ça veut dire être lesbienne et faire de la politique ? Est-ce que ce sont des réseaux de solidarité différents? Une caractéristique comme une autre? Alors évidemment l’échantillon en France est assez limité! Mais ça me permet de travailler en faisant des comparaisons internationales.
 
Vous avez été professeure puis chef d’établissement en lycée et collège. Est-ce que vous vous êtes intéressée à la manière de sensibiliser à l’homophobie dans les classes?
En tant que personnel de direction, je me suis rendue compte que parmi les élèves qui avaient des problèmes, pour une fraction non négligeable d’entre eux, c’était relié à des questionnements sur l’identité sexuelle, l’identité de genre… Des thématiques qui n’étaient prises en charge par personne. Ces jeunes étaient en souffrance car ils ne voyaient pas de place pour eux à l’école. A niveau scolaire équivalent, on constate un décrochage plus fort pour les jeunes gays et lesbiennes. J’ai donc demandé au Planning familial de faire des interventions. Ça s’est fait dans mon établissement sans aucun problème.
 
On devrait pouvoir parler de l’orientation sexuelle dans les classes de manière ponctuelle, apaisée, non dramatique. Et pas que lorsqu’on étudie l’appareil reproducteur en SVT! On pourrait donner un document avec des éléments pédagogiques pour chacune des disciplines. Histoire, géographie, littérature… Les enseignants pourraient l’intégrer là où ça peut être fait, dans la limite de leurs compétences.
 
De chef d’établissement, comment vous êtes-vous retrouvée à être candidate pour Europe Écologie-Les Verts lors des sénatoriales?
J’ai toujours milité. Je suis passée par un syndicat étudiant, la Ligue des droits de l’homme, le Planning familial et le Gisti, c’est à dire le Groupe d’information et de soutien des immigrés, qui m’a beaucoup appris. Avec mon travail dans une école d’agronomie, j’ai été convaincue que l’écologie était un combat essentiel et j’ai adhéré aux Verts en 2003. J’ai participé à toutes les campagnes sur le terrain, jusqu’à ce qu’un ami me suggère que je pourrais «être une excellente sénatrice». L’idée a fait son chemin.
 
Dans votre ville, vous faites également partie d’une association LGBT, Quazar.
J’ai adhéré dès mon arrivée à Angers, en 2001. Je suis militante de base. Il y a trois types d’activités: l’accueil des personnes qui se découvrent homos ou qui se sentent esseulées, des évènements festifs et enfin une dimension militante. J’essaie, lorsque Quazar organise des conférences, de faire venir des amis parisiens: Daniel Borrillo a fait le déplacement plusieurs fois, Louis-Georges Tin… Je défends une vie homo en région. Il n’y a pas que Paris! Si on veut endiguer l’exode des gays et des lesbiennes vers les grandes villes, il faut aussi en parler, montrer qu’il y a une vie en dehors de la capitale. J’y tiens beaucoup.
 
Est-ce que vous avez hésité à parler de votre homosexualité pendant votre campagne pour les sénatoriales?
Pour moi il y a avait une espèce d’évidence à le dire. J’habite quand même une ville qui n’est pas immense. On m’a vue avec ma compagne aux spectacles, à des manifestations, je vais tous les ans à la gaypride… L’idée ne me serait pas venu un instant de ne pas reconnaître la situation telle qu’elle est. Quand les grands électeurs, qui ont la charge de voter pour les sénatoriales, nous demandaient si nous avions des enfants, je disais la vérité: j’ai élevé mon beau-fils, j’ai une fille, je suis pacsée. Si certains me demandaient ce que faisait mon compagnon je disais «ah non, ce n’est pas un compagnon, c’est une compagne». J’étais dans une communication discrète mais assumée.
 
Lors des campagnes électorales, les candidats participent souvent à des événements avec leur conjoint. Comment avez-vous choisi de procéder?
Ma compagne m’a soutenue, elle était là à certains de mes meetings ainsi que le jour de la victoire dans la cour de la préfecture. Par contre c’est aussi quelqu’un de très libre, qui voyage beaucoup, et je comprends très bien qu’elle n’ait pas envie de m’accompagner à toutes mes obligations. Par exemple, elle n’est pas venue à un dîner chez le préfet. J’ai été touchée qu’il me demande si je venais avec elle, il a beaucoup insisté, c’était aimable à lui. Mais il n’y a pas de raison qu’elle soit obligée de toujours me suivre. C’est à nous d’inventer un autre mode de vie qui s’adapte à la longue durée, qui soit plus inventif. Si c’est pour copier les inconvénients du mariage, ce n’est pas la peine.