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 d’ADHEOS

Saint-Étienne, comme Rome, est entourée de sept collines. Gaël Perdriau, le maire LR, et ses sbires prolongent de la pire des manières ce mimétisme avec la Ville éternelle dans un épisode que l’on croirait tout droit sorti de la série italienne Suburra, mettant en scène les rapports corrompus et “no limit” entre la municipalité de Rome, la Cité du Vatican et la mafia.

L’enquête sourcée et précise d’Antton Rouget publiée par Mediapart depuis le 26 août dernier nous apprend que le maire Gaël Perdriau (LR) et son entourage très proche – son directeur de cabinet, un adjoint au maire et son compagnon, au moins – auraient organisé un chantage homophobe sordide à base de vidéo pirate pour faire chanter leur colistier Gilles Artigues. Il semble qu’ils aient également détourné des fonds publics pour financer leur kompromat. Ah, et inutile de recourir à l’écriture inclusive pour évoquer leur pratique prédatrice du pouvoir, cette histoire est une affaire d’hommes…

La justice est désormais saisie, huit ans après le début des faits présumés à l’hiver 2014. Elle fera la part des choses parmi les versions changeantes des mis en cause qui passent, au fur et à mesure de la publication des révélations étayées de Mediapart, du déni à une confusion d’excuses en tentant, au passage, de se déguiser eux-mêmes en victimes.

Le droit à la vie privée est un des piliers de l’État de droit

On pourrait sourire de ce règlement de comptes carrément trash chez les réacs. Mais on aurait tort, car cette affaire traduit un manquement extrêmement grave aux règles élémentaires de notre République.

L’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme indique que “nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation”. L’article 9 de notre Code civil consacre également cette protection depuis plus d’un demi-siècle en ces termes : “Toute personne a droit au respect de sa vie privée.”

Si le droit à la vie privée ne doit pas être invoqué à tort et à travers – pour dissimuler des violences sexistes ou du harcèlement, par exemple –, il doit en revanche être considéré comme un droit essentiel. D’autant plus à une époque ou les moyens techniques de filmer, d’enregistrer et de diffuser sont d’usage courant, et où le harcèlement en ligne prend des proportions préoccupantes. L’intime est au coeur de notre condition humaine. L’intimité n’est pas un besoin de dissimuler l’inavouable mais celui de préserver ce qui est profondément constitutif de chacun·e d’entre nous : orientation sexuelle, identité de genre, vie affective, croyance, philosophie, histoire personnelle ou familiale, état de santé…

Seul·e l’intéressé·e est fondé·e à dévoiler ce que bon lui semble de sa propre intimité. C’est, par exemple, le ressort du coming out, acte volontaire mais complexe – chacun·e peut le mesurer – qui consiste à dévoiler une petite part de l’intime, en l’espèce l’homosexualité, afin de la vivre au grand jour, plus sereinement, pour soi-même, et face à la société, qui l’a longtemps ensevelie dans un épais déni.

Le droit à la vie privée est une des conditions des libertés individuelles et l’un des piliers de l’État de droit. C’est ce pilier que messieurs Perdriau, Gauttieri, Kefi-Jérôme et Rossary-Langlet ont manifestement ébranlé. Près d’un mois après les premières révélations de Mediapart, si le maire se défausse en limogeant son directeur de cabinet, lui reste en fonction, tout comme son maire-adjoint.

Seul le gouvernement peut remettre de l’ordre dans le capharnaüm stéphanois

La loi ne permet pas à un conseil municipal de démettre un maire ou un adjoint au maire qu’il a élu. Seul le gouvernement peut donc intervenir pour remettre de l’ordre dans le capharnaüm qui tient lieu de municipalité à Saint-Étienne, en révoquant le maire et son adjoint, comme le suggère l’association HES dans un communiqué. Le Conseil d’État a récemment précisé que cette sanction disciplinaire “est indépendante de la procédure pénale”.

La pratique en la matière, depuis 1946, une fois soldée l’épisode de la collaboration, a varié avec le temps. Sur la vingtaine de maires révoqués dont on trouve trace dans la presse, les motifs varient : dans les années 1940, 1950 et 1960, l’opposition d’un maire aux guerres coloniales ou l’appel à la désobéissance pouvaient valoir révocation. En 1952, le maire communiste de Lorient (Morbihan) Charles Le Samedy, a, lui, été révoqué pour avoir porté son écharpe tricolore lors d’une manifestation. Si telle sanction avait lieu aujourd’hui, on aurait assisté à un fameux carnage dans les rangs des élus “Les Républicains” qui se pressaient toutes écharpes dehors aux “Manifs pour tous” entre 2012 et 2014 ! Passons. Depuis la fin des années 1960, c’est généralement pour des manquements graves aux obligations qui s’attachent aux fonctions municipales que des maires sont ainsi sanctionnés.

En révoquant le maire de Saint-Étienne et son adjoint, le gouvernement enverrait un signal clair sur le nécessaire respect de la vie privée de chacune et de chacun. Reste alors une question : Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales, choisiront-ils de défendre l’État de droit ou de protéger leur ex-“camarade” de parti, un temps approché pour intégrer le gouvernement Borne ?