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 d’ADHEOS

Au moins six condamnations ont été prononcées en France depuis vendredi 9 janvier, au surlendemain de l’attaque contre Charlie Hebdo, pour « apologie publique d’actes de terrorisme ». Les peines ont été prononcées en comparution immédiate à Valenciennes, Toulouse, Toulon et Reims – trois condamnations dans cette ville. Elles vont de trois mois à quatre ans de prison ferme.
 
C’est la première fois qu’est ainsi appliquée la loi du 14 novembre 2014 sur « la lutte contre le terrorisme », la deuxième en deux ans après celle de décembre 2012. Cette loi inscrit le délit d’apologie d’un acte de terrorisme (déjà sanctionné par la loi de 1881 sur la liberté de la presse) au code pénal, avec la possibilité de passer en comparution immédiate devant la justice. Les procureurs ont insisté sur la nécessité de montrer la « sévérité » de la République après les attentats des derniers jours. L’accusation a été retenue contre des hommes au casier judiciaire chargé, en sursis ou en récidive.
 
La loi « antiterroriste » de 2014 appliquée pour la première fois
 
Jusqu’au mois de novembre, la provocation et l’apologie des actes de terrorisme étaient considérées comme de simples délits de presse, relevant de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 (article 24). La loi de « lutte contre le terrorisme » voulue par le gouvernement Valls a fait passer ce délit au code pénal (article 421-4-5). La loi sur la presse s’applique cependant toujours pour des publications dans des supports de presse traditionnels.
Sept ans de prison, 100 000 euros d’amende
 
Ainsi, l’usage de ce chef d’accusation a été grandement facilité. Il a permis ces derniers jours aux tribunaux de prononcer des condamnations rapides, « pour l’exemple », en comparution immédiate (une procédure exclue pour les délits de presse). La plupart des condamnés avaient été placés en détention provisoire, une procédure simplifiée par la loi de novembre, même si la précédente loi « antiterroriste » de décembre 2012 avait prévu de telles mesures en cas d’apologie d’acte de terrorisme. Enfin, la nouvelle loi permet le placement sous contrôle judiciaire et les saisies.
 
La loi sur le terrorisme de 2014 a également alourdi les peines prévues : de cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende au maximum, elles ont été portées à sept ans et 100 000 euros lorsque les faits sont commis sur Internet.
 
Les principales condamnations
 
Quatre ans ferme à Valenciennes (Nord)
 
La condamnation a été prononcée contre un homme de 34 ans, arrêté en état d’ivresse après un accident de voiture, dans lequel il avait blessé légèrement un père et sa fille de 12 ans, samedi à Haulchin (Nord). Il avait été jugé en comparution immédiate pour conduite sous l’emprise d’un état d’ivresse manifeste, refus de se soumettre aux vérifications en état de récidive, blessures involontaires et apologie d’actes de terrorisme. C’est ce dernier chef qui explique la sévérité de la sentence, a expliqué le procureur, François Pérain.
 
Aux policiers venus l’arrêter, il avait lancé : « Il devrait y en avoir plus des Kouachi. J’espère que vous serez les prochains (…). Vous êtes du pain bénit pour les terroristes », selon le procureur. Selon La Voix du Nord, l’homme était déjà passé en jugement pour quatre outrages à personnes dépositaires de l’autorité publique et trois rébellions. La récidive a été prise en compte par le juge. Outre les quatre ans d’emprisonnement, il a été condamné à une annulation de son permis de conduire pendant deux ans et d’une interdiction de ses droits civils et de famille pendant trois ans.
 
Dix mois ferme à Toulouse
 
Le jeune homme de 21 ans voyageait vendredi dans un tramway sans titre de transport. Il s’en était pris aux contrôleurs en criant : « Les frères Kouachi, c’est que le début, j’aurais dû être avec eux pour tuer plus de monde. » Sa peine de dix mois, prononcée mardi, a été alourdie de deux mois par révocation d’un sursis accompagnant une précédente peine. L’homme avait déjà été condamné à trois reprises par la justice et faisait l’objet d’un sursis avec mise à l’épreuve qu’il ne respectait pas, précise La Dépêche. Il a été incarcéré le soir même.
 
Un an ferme à Reims
 
Le jeune homme de 21 ans, sans emploi, avait été arrêté dimanche matin après un accident de la route sans gravité. Passager, un lendemain de fête, il s’était échauffé contre les policiers, décrit L’Union, jusqu’à lancer : « Je suis bien content que vos collègues se soient fait rafaler à Paris. »
 
Peu après avoir été informé par le magistrat de permanence qu’il serait jugé le lendemain en comparution immédiate pour apologie de faits de terrorisme, il s’était évadé du commissariat. Il sera retrouvé dans les toilettes d’un bar. Sur son casier judiciaire figuraient huit mentions, notamment pour dégradation par incendie et vol aggravé. Il était sorti de prison le 10 novembre. A sa peine d’un an ferme s’ajoutent quatre mois de révocation d’un sursis.
 
Trois mois ferme à Toulon
 
L’homme de 27 ans, habitant de La-Valette-du-Var, avait publié sur sa page Facebook des photos de djihadistes et notamment la phrase « On a bien tapé, mettez la djellaba, on ne va pas se rendre, il y a d’autres frères à Marseille. » Arrêté dans la nuit de vendredi à samedi par des policiers agissant sur dénonciation, il a été condamné lundi par le tribunal correctionnel de Toulon à un an de prison, dont trois mois ferme pour apologie d’un acte terroriste. Le juge n’a pas prononcé de mandat de dépôt et l’homme est ressorti libre, sa peine devant être aménagée.
 
Huit mois ferme à Vesoul
 
Fortement alcoolisé, l’homme de 49 ans avait appelé dimanche les gendarmes depuis une cabine téléphonique de Marnay, en menaçant de faire sauter au lance-roquette la gendarmerie de cette ville, celle de Vesoul et la préfecture de Haute-Saône. Cet éboueur intérimaire a été condamné à huit mois de prison ferme mardi par le tribunal de Vesoul, sans mandat de dépôt. Il s’est excusé sans pouvoir réellement expliquer ces menaces qu’il n’avait pas l’intention de mettre à exécution.
 
Les enquêteurs ont découvert deux fusils et deux carabines de chasse non déclarées à son domicile. Plus de 50 gendarmes ont été mobilisés pour sécuriser les lieux menacés et les logements des militaires où demeurent leurs familles ont été évacués jusqu’à 19 heures dimanche.
 
L’apologie du terrorisme pas systématiquement retenue
 
Dans la totalité des cas que nous avons pu recenser, les procureurs ont systématiquement insisté sur la nécessité de condamnations sévères, en réaction aux attentats contre Charlie Hebdo, des policiers et un supermarché casher. Mais les juges n’ont pas systématiquement retenu l’accusation.
 
simples « menaces »
 
Ainsi, un Palestinien de 24 ans, jugé lundi à Toulouse, a été condamné à trois mois ferme avec mandat de dépôt pour « violences » volontaires sur fonctionnaire de police et « menaces ». Ce sans-domicile-fixe avait été arrêté, ivre à la sortie d’une boîte de nuit, dimanche à 7 heures du matin, à la suite d’une dispute. Il était notamment accusé d’avoir crié qu’il voulait « faire le djihad » et tuer les agents « à la kalach ». L’homme avait un casier vierge, était arrêté pour la première fois de sa vie. « Si Dieudonné faisait l’apologie du terrorisme, ce n’est pas le cas de mon client ! Des outrages, une rébellion mais rien d’autre. Si, de la bêtise ! » avait su convaincre son avocat, selon La Dépêche.
 
Et avant « Charlie » ?
 
La pénalisation de l’apologie d’un acte de terrorisme a été adoptée, en novembre, en réponse à la hausse de départs de Français pour le djihad en Syrie et en Irak depuis deux ans. Cette loi s’applique pour la première fois ces derniers jours, non comme un outil de répression contre une filière de recrutement djihadiste, mais de façon assez large au lendemain d’une série d’attentats, pour rappel au droit républicain.
 
Le précédent Merah
 
En 2012 le gouvernement Sarkozy – en fin de mandat – avait déjà tenté d’engager cette pénalisation après l’affaire Merah. La loi présentée, après le changement de majorité, par Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, n’avait pas retenu cette idée. A l’époque, le ministère expliquait qu’un délit de consultation de sites djihadistes soulevait des problèmes de constitutionnalité et risquait d’« encombrer les services de renseignement ». La surveillance administrative avait été jugée suffisante.
 
Ce délit restait jugé dans les chambres de presse, pour des cas symboliques et néanmoins plus graves. Ainsi, il avait été retenu en mars contre Romain Letellier, modérateur du forum Ansar-alhaqq.net, considéré à l’époque comme le deuxième plus important site de propagande djihadiste francophone (4 000 inscrits, dont 680 actifs).
 
Letellier avait été condamné à un an de prison ferme, plus deux avec sursis. Il avait publié la traduction en français de deux numéros de la revue en ligne « Inspire », émanation d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA, Yémen). Cette revue, qui souhaite notamment inspirer les « loups solitaires » non affiliés à des cellules djihadistes constituées, encourage les Occidentaux à commettre des attentats dans leur pays d’origine. C’est elle qui avait désigné le directeur de la publication de Charlie Hebdo, Charb, parmi 12 cibles prioritaires en 2013.