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 d’ADHEOS

Le Cinema City, un multiplexe de Sarajevo, projette un film sur le combat des gays et lesbiennes en Albanie. Dans le hall pop et multicolore, c’est l’affluence, dimanche 17 août, vers 15 heures : des militants LGBT (lesbien, gay, bi, trans) viennent assister à la « première mondiale » de SkaNdal, sélectionné en compétition au 20e Festival du film de Sarajevo, dans la section documentaire.
 
Elton Baxhaku et Eriona Cami, les deux jeunes réalisateurs, sont dans la salle, ainsi que deux porte-parole du mouvement LGBT albanais, un homme, Kristi Pinderi, et une femme, Xheni Karaj. En quelques années, tous deux sont sortis du « placard » et leurs sourires en disent long sur le chemin qu’ils ont dû parcourir avant de se retrouver devant les photographes. Avant que les lumières ne s’éteignent, deux spectatrices venues de Serbie nous expliquent qu’un festival gay et lesbien existe à Belgrade, le Merlinka Queer Festival, « en hommage à une femme transgenre assassinée il y a quelques années ».
 
Le film commence par une succession de plans séquences en noir et blanc : on suit de dos des hommes et des femmes qui vivent leur homosexualité dans l’isolement le plus total. C’était encore le cas pour la plupart d’entre eux, au milieu des années 2000, y compris dans les grandes villes d’Albanie. Des premiers contacts ont été noués dans des cafés, ou lors de soirées, en 2005. Un couple de lesbiennes américaines installées à Tirana, la capitale, a découvert la petite communauté : elles n’étaient plus seules, et leur appartement est devenu le quartier général.
 
DES TÉMOIGNAGES À VISAGE DÉCOUVERT
 
Dans le film, la parole est largement donnée à ces hommes et à ces femmes qui ont accepté de témoigner à visage découvert. Les réalisateurs les ont suivis depuis leurs premières virées nocturnes à Tirana, lorsqu’ils faisaient dans la hâte, et dans la crainte d’être surpris, de l’affichage sauvage, ou lorsqu’ils écrivaient des messages sur les murs de bâtiments officiels – « Je suis une femme, j’aime les femmes », « Je suis un homme, j’aime les hommes ». Il fallait faire simple. Un beau matin, les habitants de Tirana ont découvert les bancs publics situés en face du palais présidentiel repeints aux couleurs du drapeau arc-en-ciel, emblème du mouvement LGBT.
 
Puis, une journaliste de la télévision albanaise a fini par convaincre les dirigeants de Klan TV, l’une des principales chaînes du pays, d’organiser un débat sur les droits des homosexuels. C’était en 2012, et l’émission politique « Opinion », l’une des plus regardées, restera gravée dans la mémoire des militants. Sur le plateau, ceux-ci font face à leurs détracteurs, comme cette religieuse portant le foulard, ou ce dirigeant du parti royaliste, issu de la droite qui était alors au pouvoir. Ce dernier s’appelle Murat Basha et se montre le plus violent : il tuerait son propre fils s’il apprenait qu’il était gay, jure-t-il et répète-t-il, provocateur. Ces images d’archives, qui s’ajoutent à de nombreux témoignages, font de SkaNdal un document passionnant, qui montre l’éclosion d’un mouvement, et surtout de personnalités qui ne peuvent plus s’arrêter de parler.
 
RENCONTRE ENTRE MILITANTS D’ALBANIE ET DE BOSNIE
 
Il y a un moment jubilatoire dans le film, lorsque les militants albanais organisent non pas une « gay pride », mais une « gay ride » : il suffit d’enlever la lettre -p-, et cela donne un défilé à bicyclette. Car les Albanais ne voulaient pas se contenter de copier leurs homologues occidentaux. Le vélo a aussi permis de créer des liens avec le mouvement écologiste. Enfin, sur deux roues, on peut détaler plus vite en cas de problème : ce fut le cas lors de la première virée, en 2011, quand il a fallu fuir la police. L’année suivante, en 2012, Xheni était rayonnante avec son drapeau arc-en-ciel nouée autour des épaules. Cette fois-ci, elle était coursée par une caméra de la télévision.
 
« C’est un message d’espoir pour les militants LGBT. Et lorsqu’on est réalisateur, et que l’on prend des risques à se lancer dans une telle aventure, on a la récompense de ce long travail », a déclaré Elton Baxhaku, lors d’un point presse, lundi 18 août, sous les tentes blanches du Festival du film de Sarajevo. Xheni Karaj s’est emparée du micro pour annoncer les prochaines étapes : à la rentrée, les parlementaires seraient prêts à examiner un projet de partenariat pour les personnes de même sexe, pudiquement inclus dans une loi sur la famille. L’arrivée de la gauche au pouvoir a changé la donne, complète son alter ego, Kristi Pinderi. Il y a aussi la volonté du gouvernement albanais d’adhérer à l’Union européenne. Et la non-discrimination des minorités sexuelles est un point de passage obligé, sourit-il.
 
Les militants albanais sont aussi désormais connectés à ceux de Bosnie. Pendant le festival, Kheni et Kristi ont longuement rencontré Lejla Huremovic, coordinatrice du Sarajevo Open Centre, lequel défend les droits des homosexuels, et des femmes. En Bosnie-Herzégovine aussi, il reste du chemin à parcourir, dit la jeune femme. En février dernier, un festival gay et lesbien a été organisé, sur le modèle du Merlinka Queer Festival de Belgrade. « Mais des extrêmistes, incluant des supporteurs de foot, ont fait irruption lors d’un débat sur la situation des personnes transgenres, et nous ont frappés ». La police avait pourtant été sensibilisée depuis deux ans, dit-elle. « Deux des agresseurs ont été arrêtés, mais le jugement n’a pas encore été rendu ».