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 d’ADHEOS

Société à la pointe de la modernité mais politiquement très traditionaliste, le Japon voit peu à peu évoluer les mentalités. Ainsi, les personnes LGBT – lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres – s’émancipent et le pays se dirige, doucement, vers le mariage pour tous.
 
La fête bat son plein au Eagle Tokyo, l’un des bars de Shinjuku Ni-chome, le quartier gay de la capitale nippone. Situées non loin du jardin impérial, ces ruelles abritent quelque 300 établissements destinés aux homosexuels, japonais et étrangers. « Est-ce que Tokyo est accueillant avec les gays ? Eh bien, regardez- moi ! témoigne en riant un Norvégien d’origine irakienne en kimono, les yeux cernés de khôl. Ce n’est pas à Oslo que j’oserais sortir comme ça, on m’attaquerait tout de suite. »
 
Devant le bar, quelques drag-queens japonaises hautes en couleur passent tranquillement, suivies d’un groupe d’employés de bureau que rien ne semble étonner. « A l’époque d’Edo (ère japonaise, de 1603 à 1868, NDLR), Shinjuku Ni-chome était un bordel. Puis, en 1945, quand la prostitution a été interdite au Japon, c’est devenu un quartier secret où les gays se retrouvaient », raconte Vivienne, transgenre en pantalon léopard, coiffée d’un gigantesque ruban décoré de roses.
 
Havre de tolérance, le quartier tokyoïte n’en reste pas moins une enclave clandestine dans un pays qui a toujours prôné l’uniformité identitaire. « Tokyo est l’une des villes les plus sûres au monde, y compris pour les gays, acquiesce Yuta Furukawa, le patron du Eagle Tokyo. Mais, être accepté dans la société, c’est autre chose ! »
 
Les manches du tee-shirt retroussées sur ses larges épaules, il ressemble à l’une des effigies body-buildées peintes sur le mur de son bar. Pourtant, à 42 ans, Yuta, manager de quatre bars gays, n’a toujours pas fait son coming out à ses proches. « Ma famille n’arrête pas de me demander quand je vais me marier, mes parents ne savent rien sur mes bars… Je n’ai pas eu le courage de le leur dire, et je suis mieux comme ça. En Occident, l’homosexualité est interdite dans la Bible mais, au Japon, ce mot n’existait même pas ! » ajoute Yuta.
 
Une plateforme de recrutement pour LGBT
 
Son cas est révélateur d’un pays où l’homosexualité ne souffre pas du carcan religieux, mais plutôt d’un conservatisme rigoureux qui empêche la sortie du placard. Dans une étude de 2016, plus d’un tiers des 1 000 Japonais interrogés se déclaraient opposés à la présence de personnes LGBT sur leur lieu de travail.
 
« Les cas de maltraitance dans les écoles sont aussi monnaie courante », s’insurge Takeru Shimodaira, qui a caché son homosexualité jusqu’à ses 19 ans. Ce jeune homme au look de businessman a créé, en 2015, la coalition pour le droit des LGBT, qui regroupe aujourd’hui 75 associations oeuvrant pour l’adoption d’une loi anti-discrimination à l’échelle nationale. Car, depuis peu, le soleil se lève doucement pour les gays au Japon.
 
« L’attribution des JO 2020 à Tokyo et l’adoption, en 2014, d’une charte du comité olympique sur la non-discrimination selon l’orientation sexuelle ont fait bouger les choses », atteste M. Shimodaira. Fin 2018, dans un sondage du géant de la publicité Dentsu, 8,9 % des hommes et femmes interrogés se déclarent LGBT, contre 7,6 % en 2015. Ces chiffres ont obligé certaines entreprises à reconsidérer cette minorité.
 
Costard-cravate et cheveux blonds évanescents, Kento Hoshi, homo assumé de 25 ans, a tenté de se faire embaucher dans diverses entreprises avant de créer, en 2016, la plateforme de recrutement Job Rainbow. « Les LGBT sont toujours cantonnés aux boulots de nuit, hôtesse par exemple, ou, pire, à la pornographie. A la télé, on voit beaucoup de vedettes gays ou trans, mais elles sont là uniquement pour amuser la galerie », estime-t-il.
 
Sa start-up rassemble désormais 92 entreprises « LGBT friendly », dont l’opérateur téléphonique Softbank, qui a participé à la Tokyo Rainbow Pride en mai 2018 avec une gamme d’accessoires aux couleurs arc-en-ciel, symbole de la diversité. « Il est vrai que, jusqu’à maintenant, nous passions plus pour des drag-queens échevelées que pour des gens sérieux ! » s’amuse Taro Okabe, manager dans une filiale de Dentsu, qui a fait son coming out en 2012, à 49 ans, de manière radicale : ce père de famille a avoué par mail à 200 collègues qu’il était transgenre et qu’il voulait désormais être appelé Madame Rin Okabe. Son aveu a déclenché un électrochoc, mais tous ont accepté finalement la « nouvelle » Okabe. « Ils m’ont encouragée, j’en avais les larmes aux yeux », dit-elle, encore émue, en rajustant sa jupe.
 
Une avancée incontestable
 
Son cas reste cependant exceptionnel. « Au Japon, les hommes qui se déguisent en femme existent depuis toujours dans le théâtre kabuki, ce qui explique une certaine tolérance. Mais il reste extrêmement difficile en dehors du monde artistique de s’intégrer dans la société japonaise », dit Rin. « Accepter les gays dans les entreprises aide à combattre la discrimination, mais aussi à donner une image moderne du pays en vue des JO de 2020», estime Ken Hasebe, le maire de Shibuya.
 
L’arrondissement le plus dynamique de Tokyo s’est distingué en proposant depuis 2015 à ses habitants un « pacte d’union homosexuelle », à l’initiative de Ken Hasebe. « Quand j’avais 20 ans, j’ai voyagé aux Etats-Unis et j’ai vu tous ces gays qui se montraient librement dans la rue, alors qu’au Japon, ils vivent cachés. Ça m’a frappé », explique ce quadragénaire qui se présente comme un « allié » des LGBT.
 
Le Japon reste le seul pays du G7 qui ne reconnaît pas le mariage pour tous, mais le pacte est tout de même une avancée incontestable. « Des couples de même sexe peuvent louer un appartement plus facilement ou avoir un droit de visite à l’hôpital au même titre qu’un membre de la famille », explique Ryutaro Nagata, qui dirige l’antenne « diversité et équité de genres » au sein de la mairie.
 
L’assemblée de la ville Tokyo a par ailleurs adopté, le 5 octobre dernier, une loi anti-discrimination des LGBT. Une victoire de la communauté après les propos de Mio Sugita, députée du parti au pouvoir, qui avait qualifié, en août 2018, les personnes LGBT de « non- productives » car « ne pouvant pas se reproduire », ce qui avait fait descendre plusieurs milliers de Japonais dans la rue. « Cette manifestation a rassemblé toutes les minorités sexuelles, mais aussi des familles. C’était une première », se félicite Higashi Koyuki, une militante lesbienne. Briseuse de tabous, la jeune femme de 33 ans s’est unie sym bo liquement en 2013 à sa partenaire de l’époque lors d’une cérémonie très médiatisée.
 
Yoshiki Nakamura, un pasteur homosexuel aux yeux verts et cheveux de jais de 50 ans, bénit, lui, sur demande des mariages homosexuels symboliques depuis dix ans. Nakamura a été ordonné pasteur par l’église catholique avant de créer en 2004 l’église communautaire de Shinjuku dans un immeuble du quartier gay.
 
« J’ai eu l’occasion d’expérimenter la discrimination des LGBT au sein de l’Eglise. Et j’ai ressenti la nécessité de créer une maison de Dieu qui accepte tout le monde. Bizarrement, l’homosexualité a toujours été tolérée depuis l’époque des samouraïs mais l’arrivée des missionnaires chrétiens a tout chamboulé », rappelle-t-il. Par manque de fidèles, son église a dû fermer mais le père Nakamura compte toujours apporter des paroles de paix et de tolérance à ses frères et soeurs LGBT. « L’amour de Dieu n’a pas de frontières », murmure- t-il en bénissant un couple de lesbiennes de sa croix aux couleurs arc-en-ciel.
 
« LE PAYS EST PRÊT À DÉBATTRE DU MARIAGE GAY »
 
Aline Henninger, maître de conférences en études japonaises à l’Université d’Orléans, spécialiste des questions de genre au Japon.
Au Japon, le coming out est-il perçu différemment qu’en Occident ?
 
Oui, de très nombreux gays vivent célibataires ou mariés avec une femme, et mènent une double vie. De même pour les femmes lesbiennes, en couple avec un homme. Dès lors, pourquoi revendiquer le coming out comme l’unique solution ou l’obligation pour trouver son bonheur ?
 
Même si, sur le plan légal, le pays est en retard, la société japonaise fait preuve de tolérance envers l’homosexualité. Est-ce lié à un moindre poids des religions ?
 
En effet, les religions au Japon n’ont pas cherché à moraliser ou réglementer les sexualités. Avant l’ère Meiji (période historique du Japon entre 1868 et 1912, NDLR), les milieux guerriers présentaient un fort degré d’homo-érotisme. Par ailleurs, la médecine ne portait pas non plus de jugement moral sur les pratiques sexuelles avant l’apparition de la psychiatrie japonaise, qui émerge à la toute fin du XIXe siècle, et s’inspire du corpus médical allemand et anglais.
 
Pensez-vous que le Japon soit prêt à légaliser le mariage homosexuel ?
 
Depuis 2015, beaucoup de villes reconnaissent un partenariat entre personnes du même sexe et le Premier ministre Shinzo Abe a aussi déclaré qu’il fallait examiner la question. Tout indique que le Japon est prêt à porter des débats juridiques sur ce sujet.