Dans un rapport publié mercredi, la FIDH dénonce les persécutions et les menaces contre les défenseurs des gays au Cameroun. Dans ce pays, l’homosexualité est un délit passible de six mois à cinq ans de prison.
Après les retentissantes affaires Éric Lembembe et Roger Jean-Claude Mbédé, on savait les homosexuels en danger au Cameroun. Avec la publication d’un alarmant rapport de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), mercredi 25 février, on apprend désormais que leurs défenseurs le sont également.
Dans ce pays où avoir un rapport sexuel avec une personne du même sexe est un délit – puni de six mois à cinq ans d’emprisonnement -, les activistes qui osent défendre les droits des homosexuels sont pris pour cibles. Locaux incendiés, cambriolages, arrestations arbitraires ou encore "mort violente" : plusieurs membres d’associations de défense des droits des homosexuels et des droits de l’Homme, cités par la FIDH, se disent en danger et assurent ne pas pouvoir compter sur la police, qui ne semble pas tenir compte de leurs plaintes.
Condamnation pour "tentative d’acte homosexuel"
"Les militants de l’association Affirmative Action se font régulièrement insulter ("sales tchélés [pédés], vous allez quitter le quartier"], y compris par sms sur leur portable", indique le rapport. L’ancien président de l’association Cameroonian Foundation for Aids, Dominique Menoga, a, lui, dû quitter le pays pour des raisons de sécurité. Un membre de l’association Acodevo, qui vient en aide aux "communautés démunies et vulnérables", a pour sa part été victime d’un guet-apens en 2013 : après avoir reçu des sms de la part d’un homme, il s’est rendu à un rendez-vous qui s’est révélé être un piège et a été condamné à un an de prison avec sursis pour "tentative d’acte homosexuel".
Plus grave, la directrice de l’association de défense des droits humains Redhac, Maximilienne Ngo Mbe, a reçu des menaces de mort tandis que sa nièce, qui habite avec elle, a été agressée sexuellement et torturée par des hommes armés. Auparavant, des agresseurs non identifiés avaient tenté d’enlever le fils de Mme Ngo Mbe à l’école.
Mais les membres d’associations ne sont pas les seuls à être dans le collimateur des homophobes radicaux. Les avocats qui acceptent de défendre des clients LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées) sont, ces dernières années, de plus en plus harcelés, au point que certains d’entre eux ont dû créer des associations pour renforcer leurs moyens d’action. Et l’intimidation porte ses fruits : parmi les 2 500 avocats inscrits au barreau du Cameroun, seuls quatre à cinq montent désormais au créneau pour défendre les homosexuels. Ces derniers sont, à leur tour, stigmatisés par leurs confrères et par la société, constate l’ONG.
"La maman des pédés"
Dans cette atmosphère délétère, se dressent ainsi quelques militants qui continuent le combat, à l’image d’Alice Nkom, avocate et fondatrice de l’Association de défense des homosexuel-les.
"Je suis en permanence sous sécurité", annonce d’emblée Alice Nkom à France 24. Cette militante de 70 ans indique ne plus prendre le risque de marcher dans la rue, mais n’entend pas quitter son pays pour autant. "J’ai pris des dispositions, j’ai un contrat de sécurité avec une entreprise, car l’État n’assure pas ma sécurité", explique-t-elle, précisant que les plaintes qu’elle a déposées à la police n’ont jamais connu de suites. Malgré les menaces, cette grand-mère assure ne pas être intimidée. "Si j’avais eu peur, j’aurais arrêté", affirme-t-elle, déterminée. "Je me suis engagée dans ce combat en connaissant bien les risques […] Je défends l’indéfendable."
Alice Nkom a notamment eu pour client Roger Jean-Claude Mbédé, condamné à 3 ans de prison pour homosexualité avant de mourir séquestré chez lui. "Récemment, dans une émission de télévision, on m’a accusée d’être ‘la maman des pédés’. On dit que je suis envoyée par les Occidentaux pour piller l’Afrique", raconte-t-elle à France 24, entre deux éclats de rire.
Cette première femme noire à avoir réussi l’examen du barreau au Cameroun dénonce l’hypocrisie de son gouvernement. "En 47 ans de carrière, j’ai défendu plusieurs criminels mais n’ai jamais été menacée pour cela."
"Si il n’y avait pas la communauté internationale, ils m’auraient déjà tuée"
Alice Nkom ne perd pas espoir et reste persuadée qu’elle va "gagner le combat", grâce à l’aide de la communauté internationale. "Si je n’avais pas d’aides de l’extérieur, ils m’auraient déjà tuée", lance Alice Nkom. En 2013, elle a remporté le prix Amnesty international des droits de l’Homme.
D’autres militants valorisent cette "aide de l’extérieur". Dans le rapport de la FIDH, l’accent est mis sur les médias internationaux qui véhiculent des informations que les journalistes nationaux, réduits à relayer le discours homophobe des autorités, ne traitent pas. Ainsi, le journaliste camerounais Alex Gustave Azebaze affirme avoir appris l’assassinat d’Éric Ohena Lembembe, retrouvé le cou et les pieds brisés dans son appartement en 2013, "par le buzz venu de l’extérieur" par RFI, France 24 et les communiqués des organisations internationales de défense des droits de l’Homme : "Ici la presse n’a écrit que peu d’articles car les médias camerounais sont dans une position ambivalente ; si le sujet irrite le pouvoir, ils ne vont pas oser intervenir."
De son côté, Alice Nkom affiche être plus soutenue que ce que les autorités veulent bien croire. "Tout le monde dans ma famille est derrière moi. La nouvelle génération est sensible à ces questions-là. Mon petit-fils veut prendre ma relève et il a commencé à suivre des cours d’aïkido pour être capable de se défendre", explique-t-elle, pleine de fierté.
- SOURCE FRANCE24