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 d’ADHEOS

Le Premier ministre assistera dimanche à la canonisation de Jean XXIII et de Jean Paul II. Un déplacement qui participe d’une volonté de réconciliation avec les catholiques français.
 
La présence de Manuel Valls à la messe de canonisation de Jean XXIII et Jean Paul II, dimanche au Vatican, est-elle compatible avec la laïcité à la française ? Certaines personnalités politiques ne le pensent pas. Jeudi, le leader du Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, a jugé que ce n’était «pas une bonne idée» que le Premier ministre «aille représenter la République française dans une circonstance qui ne la concerne pas». Quelques jours plus tôt, le député et président du MRC Jean-Luc Laurent estimait que cette présence est «indéfendable sur le plan des principes républicains et constitue une grosse ficelle de communication politique […] destinée aux Français de confession catholique».
 
Pour justifier ce déplacement de Manuel Valls, on invoque l’importance historique de l’événement et de ses protagonistes : «C’est relatif à la qualité des personnalités, explique une source diplomatique. Ces papes ont eu des responsabilités politiques. Ils ont joué un rôle important sur la scène mondiale, et pas seulement sur le plan religieux». On avance aussi la présence de «110 délégations officielles du monde entier, dont le tiers mené par un chef d’Etat ou de gouvernement». Avec, cependant, peu de personnalités de premier plan.
 
Une autre raison motive ce déplacement. Du côté de Matignon, on indique que «le Premier ministre est conscient que cette cérémonie a une importance particulière pour les catholiques de France», et que «sa présence s’inscrit dans une démarche d’apaisement». Apaisement vis-à-vis de quoi ? «Ministre de l’Intérieur et laïc intransigeant, Valls avait été en première ligne lors de manifestations anti-mariage homosexuel, explique Jérôme Fourquet, directeur du Département opinion publique à l’Ifop. Il est très impopulaire parmi les catholiques qui s’étaient mobilisés à cette occasion. Son déplacement participe d’une volonté de réconciliation».
 
Mais ce n’est peut-être pas tout : «Ce déplacement de prestige, qu’aurait pu effectuer le président lui-même, illustre le rôle important de Manuel Valls dans le dispositif institutionnel. Cela montre la place qui sera la sienne. Il est vrai que François Hollande a déjà vu le pape récemment, et qu’un nouveau voyage aurait peut-être été mal perçu par une partie de la gauche.»
 
La France, «fille aînée de l’Eglise»
 
Si les circonstances de cette visite sont très particulières, elle s’inscrit cependant dans les relations serrées qu’entretiennent la France et l’Etat papal. Ainsi, selon l’ambassade de France au Vatican, il est d’usage que le gouvernement français soit représenté aux cérémonies de canonisation ou de béatification concernant un Français. En effet, explique l’ambassade, cet événement est considéré «comme une marque d’intérêt portée par le Souverain Pontife à la tradition spirituelle d’un pays». Depuis 2000, cinq occasions de ce genre se sont présentées. La dernière en date remonte à octobre 2012 : c’est déjà Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur et des Cultes, qui représentait le gouvernement lors de la canonisation du jésuite français Jacques Berthieu.
 
L’ambassade précise même qu’il est «de tradition» que le gouvernement soit représenté «lors des consistoires au cours desquels sont créés des cardinaux français» – ce fut le cas en 2007, avec la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie.
 
Dimanche, cependant, ce sont un Italien (Jean XXIII) et un polonais (Jean Paul II) qui entreront en sainteté. Mais là aussi, la présence du chef du gouvernement en une telle occasion ne serait pas sans précédent : en 2011, le Premier ministre François Fillon avait assisté à la cérémonie de béatification de Jean Paul II. Le porte-parole du gouvernement, François Baroin, avait défendu cette décision : «La France est la fille aînée de l’Eglise. Il semble normal, même dans un Etat laïque, que l’Etat soit représenté à un événement aussi important, aussi essentiel, et pour une personnalité qui aura marqué l’après-guerre dans le monde.»
 
«Héritage chrétien»
 
Plus simples à justifier -et beaucoup plus fréquentes- sont les visites «politiques» de dirigeants français au Vatican. En effet, siège de l’Eglise catholique, ce dernier est aussi un pays souverain. Il dispose d’un dirigeant (le pape), d’un gouvernement et d’un statut d’Etat observateur à l’ONU. Tous les présidents de la Ve République, sauf Georges Pompidou, s’y sont déplacés, rencontrant le pontife de chef d’Etat à chef d’Etat et s’entretenant notamment de politique internationale – comme François Hollande, début 2014. En 2013, c’est l’ex-Premier ministre Jean-Marc Ayrault qui s’était déplacé pour l’entrée en fonction du pape François, s’attirant déjà les critiques de Jean-Luc Mélenchon. Sans compter les déplacements de simples ministres et secrétaires d’Etat.
 
S’agissant du Vatican, toutefois, la frontière entre politique et religion est évidemment très fine. En 1996, lors de sa venue, Jacques Chirac avait ainsi voulu «témoigner de la fidélité de la France à son héritage chrétien». Par ailleurs, plusieurs présidents se sont rendus au Vatican pour recueillir du pape le titre de chanoine honoraire de la basilique Saint-Jean-de-Latran, qui revient de droit aux chefs d’Etat français depuis Henri IV. Nicolas Sarkozy avait, à cette occasion, assisté à une «messe pour la France». Et qualifié de «déterminante» la part du christianisme dans l’identité nationale, jugeant que «l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur» – propos qui, eux aussi, avaient fait polémique en France.
 
«Sarkozy a été très loin sur les racines chrétiennes, estime Jérôme Fourquet. Il avait très largement franchi la ligne jaune. Et pourtant, une partie de sa défaite en 2012 est due à la défection des catholiques pratiquants, qui représentent 10 à 15% de l’électorat. On a attribué cette perte au discours de Grenoble, qui faisait le lien entre immigration et délinquance. Il semble plutôt que ce soit son rapport à l’argent qui a choqué les croyants.»