Anouar Rhamani est militant des droits de l’homme et des droits LGBT en Algérie. Pour cela, il est menacé de mort. TÊTU a souhaité lui donner la parole.
Anouar Rhamani a 22 ans et étudie à l’Université algérienne de Tipaza. Il alimente également le blog Journal d’un Algérien hors du commun. À travers ses publications, il réclame plus de liberté d’expression et de conscience ainsi que le respect des droits fondamentaux dans son pays. C’est aussi l’un des premiers à oser réclamer plus de droits pour les personnes LGBT, notamment le droit de se marier entre personne du même sexe. Dans un pays contrôlé par l’armée et la religion, où la presse est muselée, où les personnes LGBT sont victimes de discriminations et de persécutions au quotidien, ces positions relèvent de l’acte de bravoure. Car Anouar Rhamani tente de moderniser l’Algérie et d’ouvrir les consciences sur la nécessité d’un changement au péril de sa vie.
En effet, ce dernier est menacé par les intégristes religieux mais également par des membres de sa propre université. Les médias jouent aussi un rôle actif dans la propagation des calomnies et des menaces dont il fait l’objet. Une situation dénoncée par l’ONG irlandaise Front Line Defenders, qui cherche à protéger les militants des droits de l’homme menacés à travers le monde. TÊTU a pu interviewer Anouar Rhamani pour mieux connaître son combat et mieux comprendre les menaces qui pèsent sur lui.
Pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs ?
Je suis Anouar Rahmani, écrivain, blogueur, et militant pour les droits humains en l’Algérie. Je me bats pour des valeurs de coexistence, d’acceptation de la différence dans la société, et je lutte contre toute sorte de discrimination. Je me bats pour un projet social moderne pour la société algérienne en publiant des articles analytiques sur ce que les Algériens traversent. Le but étant de faire bouger les lignes intellectuelles et ainsi de construire une Algérie plus grande, un pays de valeurs telles que la tolérance et la coexistence, des valeurs dont nous manquons considérablement aujourd’hui.
Quelle est la situation quotidienne des personnes LGBT en Algérie ? Comment vit-on son homosexualité dans le pays ?
La majorité des LGBT algériens vivent dans une situation d’hypocrisie, mais en même temps l’homosexuel algérien limite sa situation seulement à l’acte sexuel, il ne voit pas le sujet en tant qu’une question d’existence et en tant que droit humain, et donc ce qui est hilarant par exemple c’est que quand on demande à un gay algérien de se battre pour ses droits, il refuse puisqu’il ne s’accepte pas… Pourtant il est le seul perdant ! Avec une telle situation, le gay algérien fait le déni de son identité et de ses droits pour plaire à la société.
D’un autre côté, les homosexuels algériens reçoivent une sorte d’acceptation bizarre auprès de la société. Par exemple, les chanteurs gays en Algérie ont connu beaucoup de succès avec leurs chansons qui parlent de l’amour entre personnes de même sexe, des chanson qu’on entend dans des mariages et des cérémonies algériennes, ce qui nous situe face à une problématique sociale profonde. D’un côté je pense que la société algérienne fait preuve d’une acceptation potentielle pour de tels droits. De l’autre côté, je pense qu’il y a aussi des courants idéologiques dangereux qui se dégagent notamment dans l’école, l’université, et les médias. Ces courants incitent à la haine contre la différence et la coexistence, en se fondant sur des valeurs religieuses extrémistes sans qu’il y ait de réaction des progressistes. Cette partie ne réagit plus depuis les années 90 en Algérie, et la peur règne toujours, ce qui empêche la liberté d’expression. Dans ce cadre, je vois que les homosexuels algériens vivent dans une liberté déguisée qui ne dure pas longtemps puisque tous les indicateurs montrent que le pouvoir du courant vient des islamistes obscurantistes qui incitent d’une manière explicite à l’extermination et l’exécution des homosexuels.
Pourquoi avoir décidé de prendre la parole pour réclamer plus d’égalité et de tolérance dans ce contexte extrêmement difficile voire dangereux ?
Parce que j’ai trouvé tout le monde dans un état de silence. Je n’ai pas pu attendre les autres. J’ai voulu prendre cette initiative depuis des années malgré mon jeune âge. Je ne peux pas accepter ce mépris, ce qui devrait être le cas de tout humain qui n’a pas perdu son humanisme. Je crois en des valeurs avec lesquelles je vis et que donc je défends. Mon projet est un projet d’une vraie coexistence sociale, un projet qui permet à tous les Algériens de vivre leurs différences dans leur immense pays. Ce pays aujourd’hui, et ce malgré sa grande surface, continue d’être une grande prison. Personne ne peut vivre de la manière qu’il veut. Tout ce qui est beau a été détruit dans ce pays, les obscurantistes ont envahi toutes ses articulations. Aujourd’hui, nous sommes face à un virus qui transforme toutes cellules différentes en cellules semblables en imposant un pouvoir d’obscurantisme, d’ignorance, et de rejet de l’autre dans l’éducation scolaire et universitaire et même dans les médias.
Y-a-t’il des association/ONG qui défendent les droits LGBT en Algérie ? Êtes-vous aidé dans votre combat par des personnes extérieures à l’Algérie ?
On dit qu’il y a des organisations non-légales qui défendent les droits des LGBT en Algérie, mais pour être honnête, je ne vois pas du tout ça de cette manière, puisque on ne connait pas leur nom et on ne connait pas leurs travaux. Tout ce qu’on connait c’est le nom de leurs slogan « Alouen ». On ne voit pas l’impact de cette association sur le terrain. Je voudrais au moins que cette dernière offre l’opportunité aux autres de lutter avec eux, ce qui n’a jamais eu lieu. Preuve en est, c’est que moi – en tant que militant – je n’ai jamais reçu de la part de cette organisation quelconque aide ou proposition. Donc ce qu’ils font est une sorte de militantisme déguisé, je pense qu’ils ont des intérêts personnels derrière cette organisation. Ils ne montrent aucun sacrifice sur le terrain. D’ailleurs, autre preuve, je reçois en ce moment des menaces et ils ne m’ont même pas appelé pour me proposer de l’aide.
Et donc j’ai essayé d’ouvrir la voie pour les homosexuels algériens le 20 août de l’année passée en leurs proposant de voter sur une plateforme internet pour créer un genre de parlement de défense des droits LGBT avec l’élection d’un représentant. J’ai ainsi découvert des nouvelles personnes qui luttent pour les droits des homos mais en même temps l’association Alwane a refusé de participer à ce vote sur internet. Je leur ai dit que s’ils voulaient vraiment le changement il fallait d’abord commencer par eux-mêmes c’est-à-dire être franc et dire clairement qu’ils sont une association qui lutte pour les droits. Et qu’on aimerait les voir sur le terrain et qu’ils nous présentent leur porte-parole.
Êtes-vous aidé depuis l’étranger ?
Durant mon parcours et jusqu’à aujourd’hui, je n’ai eu aucun soutien de la part de quelconque organisme que ce soit à en Algérie ou à l’étranger. Mon travail est individuel. Je m’exprime à travers ma plume ou via d’autres moyens comme le terrain.
L’Obs vous consacrait récemment un article, l’ONG Front Line Defenders demande aux autorités algériennes de vous protéger, que se passe-t-il concrètement ? Comment vivez-vous cette situation ? Pensez-vous devoir quitter le pays pour votre sécurité ?
Ce qui s’est réellement passé, c’est que l’Union des étudiants – dont ceux de l’université de Tipaza où je fais mes études – a décidé d’une façon arbitraire de m’attaquer pour promotion de l’athéisme et de l’homosexualité. Cela a été transmis à un imam de la ville de Cherchell. Cet imam m’a déjà attaqué auparavant parce que j’ai voulu relancé le Festival El Manara qu’il avait interdit car je cherche à défendre notre héritage culturel. Ensuite, l’info a atteint des journaux nationaux – comme Alchourk – qui ont publié des calomnies à mon sujet disant que j’ai déformé le coran, et que j’ai insulté le prophète, etc. Imaginez le poids de ces calomnies dans une société comme la nôtre ou le prisme religieux est très fort. J’ai reçu des menaces de mort à cause de ces informations diffamatoires, mais aussi sur des pages gérées par des étudiant de l’université de Tipaza. J’ai reçu des menaces de mort à cause de ces informations diffamatoires. Malgré les informations disant que ces menaces ont cessé, il en demeure pas moins car je reste toujours la cible de ces attaques.
Pensez-vous devoir quitter votre pays ?
De façon objective et libre je ne veux pas lâcher mon pays mais, en toute franchise, si je dois le quitter je le ferai surtout si j’ai un soutien. Je veux faire circuler de nouvelles idées et des analyses dans la société algérienne qui rassemblerait la notion du vivre ensemble. D’une façon ou d’une autre j’encourage la société algérienne à se délaisser des codes sociétales qui ont conduit à l’emprisonnement intellectuel. La dictature sociétale que nous subissons à fait perdre à l’individu ses capacités intellectuelles. Des codes injustes, bâtis sur le machisme et le sexisme, dont on doit se débarrasser pour le bien des générations futures. Nous devons œuvrer à instaurer des valeurs citoyennes et des libertés individuelles. J’invite l’État algérien à appliquer les principes inscrits dans la Constitution et en prime le principe d’égalité entre les citoyens au-delà de leur sexe, religion, pensées, orientation sexuelle, ou autres…
Quel message souhaiteriez-vous faire passer dans TÊTU ? La communauté algérienne en France peut-elle vous aider ?
À travers TÊTU j’appelle la société civile française et francophone à mieux relayer les événements qui se passent chez nous. J’appelle à ne pas être tolérant avec les intégristes. Comme j’appelle les homosexuels en Algérie à fournir plus d’efforts pour légitimer ce qui leur revient de droit. À savoir, vivre dans la dignité sans avoir peur comme tout citoyen algérien à part entière. Je leur dis qu’il faut lutter aujourd’hui pour vivre demain la vie à laquelle nous avons le droit. J’appelle aussi l’élite algérienne à ne pas marginaliser cette tranche de citoyens. Il faut privilégier la pensée avant les traditions. J’appelle aussi l’État algérien à bâtir des ponts d’amour entre les citoyens en respectant la Constitution et d’élargir le champ des libertés individuelles. J’appelle les citoyens algériens résidant en France à profiter de leur statut pour propager l’esprit du vivre ensemble à travers les réseaux sociaux. L’Algérie est témoin d’un combat intellectuel extrême ; les expatriés algériens doivent œuvrer à faire triompher les valeurs universelles contre l’intégrisme et le fanatisme.
- SOURCE TETU