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 d’ADHEOS

Seules face aux coûts des soins et opérations de chirurgie nécessaires à leur transition de genre, les personnes trans ne peuvent souvent compter que sur leur débrouillardise et la solidarité de leurs proches et réseaux. Heureusement qu’aujourd’hui les cagnottes en ligne permettent de ne pas s’infliger la vente de madeleines aux voisines transphobes ! Récits et parcours de vie.

C’était la dernière étape de sa transition de genre. Le 19 novembre 2021 – il se souvient de la date comme d’un anniversaire – Sascha, 22 ans, subit une mastectomie dans un centre de chirurgie privé à Paris. Une opération qu’il a financée en partie grâce à une cagnotte en ligne ouverte deux mois avant l’opération via la plateforme Leetchi. Visant 3 800 euros, le jeune homme a pu en récolter près de 1 000. Et pour atteindre ce résultat, tel un entrepreneur, il a dû en faire la promotion, la relayant chaque jour sur son compte Instagram. Une situation qu’il prend avec philosophie : “Dans ma tête, je me disais que même si je ne réunissais pas énormément d’argent, ce serait toujours ça de pris !”.

Olivia Ciappa, artiste photographe de 42 ans, a également opté pour une cagnotte en ligne pour financer sa vaginoplastie, prévue quelques mois plus tard en Thaïlande. Montant estimé de l’opération, aller-retour compris : 15 000 euros. Si les premières semaines, sa cagnotte n’a pas décollé, elle a pu exploser quand elle a proposé des tirages de ses clichés en contrepartie des dons. En 48 heures, la cagnotte a dès lors atteint son objectif. Pour Victoria, graphiste de 29 ans, le but était de financer l’épilation définitive de sa barbe, de son cou et de son torse. En trois mois, elle a réuni 925 euros sur les 2 000 nécessaires. Elle a même pu compter sur le soutien financier de sa famille, pourtant réticente à l’annonce de son coming out, un an plus tôt. À sa grande surprise, le jour de son anniversaire, ses parents et grands-parents ont fini par participer généreusement à sa cagnotte en ligne.

Solidarités et obstacles

Autres précieux donateurs sur lesquels Sascha, Olivia et Victoria ont pu en effet compter : leurs amis, leurs réseaux, d’autres membres solidaires de la communauté LGBTQI+, dont certains ont eu à passer par là, et parfois même des mécènes anonymes. “J’ai reçu 30 euros comme ça, d’un donneur incognito, raconte Sascha. Ça m’a fait chaud au cœur.”. Quid des critiques et insultes transphobes, redoutées par Victoria à la création de son crowdfunding ? “Je n’en ai reçu aucune, finalement”, s’étonne-t-elle presque. Son hypothèse : “D’abord il faut trouver le lien de la cagnotte, ensuite comment contacter ses créateurs… C’est plus technique que d’insulter quelqu’un directement sur les réseaux sociaux…”.

De toute façon, les trois protagonistes sont unanimes : c’était ça ou rien. “Le gros souci, c’est qu’en France, aucun protocole de soin n’existe pour la prise en charge des personnes trans”, résume Théo, membre de l’association OUTrans. Rien. “On est clairement dans la débrouille permanente”, appuie-t-il, ce qui soulève plusieurs problèmes, à plusieurs échelles. Le premier, et pas des moindres : tous les médecins généralistes ne sont pas formés à l’hormonothérapie, première étape des parcours de transition de genre. “Elle n’est même pas prévue dans leur formation de base, c’est nous, à l’aide de médecins et de deux associations, Acceptess-T et Espace Trans Santé, qui au sein du Réseau Santé Trans avons créé la première formation à l’hormonothérapie, qui est ensuite entrée dans les formations continues disponibles pour les médecins”, pointe le militant. Résultat, calcule Béatrice Denaes, co-présidente de Trans Santé France : “Ajouté à la pénurie de médecins généralistes qui touche la France, ça fait très peu de médecins disponibles pour s’occuper des personnes trans”.

Et ce n’est pas tout. La transidentité subit encore les effets de l’époque où elle était perçue comme une maladie mentale – ce n’est plus le cas depuis 2010. Aujourd’hui, aucun certificat psychiatrique n’est plus exigé en théorie, ni pour faire une demande d’affection longue durée (ALD), et ainsi bénéficier d’une exonération du ticket modérateur pour les actes en rapport avec son parcours de transition, ni pour se faire rembourser d’une chirurgie mammaire. Mais en pratique, plusieurs CPAM le demandent encore, déniant de fait la prise en charge. “Et ce malgré les nombreux antécédents de procès qui ont donné raison aux personnes transgenres”, souligne Théo.

Exemple avec le cas d’Evan. En 2018, le jeune homme s’était fait refuser sa mammectomie par la CPAM du Finistère au motif qu’il n’avait pas de justificatif d’un suivi psychiatrique de deux ans, ainsi qu’un certificat co-signé par un psychiatre, un endocrinologue et un chirurgien, le tout sur la base d’un protocole de 1989 qui n’a jamais eu de portée légale. Le tribunal lui a bien sûr donné gain de cause. Mais c’est ce genre de précédent qui peut décourager les personnes trans à se lancer. “Cette suspicion, ce besoin des autorités de santé de vérifier que les personnes trans ne souffrent pas d’un trouble de la personnalité ou d’une dépression, est vécue comme une humiliation”, développe Arnaud Alessandrin, sociologue du genre. Sascha corrobore : “Ce n’est pas à un psy de décider de mon identité de genre !”.

Sans compter que même si la sécurité sociale venait à rembourser ces chirurgies mammaires, dans la grande majorité des cas il faudrait tout de même financer les dépassements d’honoraires pratiqués par les médecins. “Beaucoup de cagnottes servent déjà à ça”, pointe Théo.

Coût des opérations et file d’attente

Du côté des opérations génitales, une loi existe et prévoit deux années de suivi pluridisciplinaire. Le problème est ailleurs : depuis la crise covid, les personnes trans font face à une réduction drastique des jours de blocs disponibles. L’hôpital Tenon à Paris, qui prend en charge le plus de personnes trans, est ainsi passé d’un maximum de 33 opérations par semaine en 2019 à 11 aujourd’hui. La faute à la pénurie d’infirmier-es en réanimation, qui crée des années d’embouteillage avant de pouvoir espérer se faire opérer. “Dans le parcours public, entre le premier coup de téléphone pour prendre rendez-vous et la chirurgie génitale, il peut facilement se passer cinq ans”, regrette Théo. Une échéance impensable pour Olivia : “J’ai attendu presque vingt ans entre le moment où j’ai commencé à me poser des questions sur mon identité de genre et le moment où j’ai commencé ma transition. Cela faisait déjà suffisamment de temps perdu, il fallait que je me fasse opérer au plus vite… Alors cinq ans ? Je serais morte avant.”.

Le privé n’est que d’un maigre secours sur ce point, puisque les opérations génitales ne sont remboursées intégralement qu’à la condition… qu’elles soient réalisées à l’hôpital public. Ces chirurgies ne se sont donc pas développées dans le secteur privé. “À ma connaissance, un seul médecin privé s’occupe de ces chirurgies”, atteste Théo, or sa liste d’attente est longue comme le bras et chacune de ses opérations avoisine les 10 000 euros.

Il faut enfin garder à l’esprit que les dépenses annexes liées à la transition de genre ne sont pas toujours entièrement prises en charge. C’est par exemple le cas de l’épilation de Victoria. Au maximum, elle aurait pu pousser pour se faire rembourser entre 30 et 40 euros de séances, mais dans tous les cas il aurait fallu qu’elle complète, une séance pour le visage pouvant aller de 80 à 120 euros… Les choses pourraient prochainement changer dans le bon sens. La Haute Autorité de santé travaille en effet actuellement sur des recommandations pour la prise en charge des personnes trans, intégrant les critères d’accès à l’hormonothérapie et aux opérations. Lorsqu’elles seront publiées, ces recommandations vaudront protocole.