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 d’ADHEOS

Le film "Boy Erased", qui sort le 27 mars, met en lumière les thérapies de conversion à l’hétérosexualité aux États-Unis. Un problème peu connu mais bien présent en France, où un vide juridique empêche de lutter efficacement contre ces pratiques.
 
Un coming-out qui tourne au cauchemar. Le film "Boy Erased" qui sort le mercredi 27 mars en France est basé sur l’histoire vraie d’un adolescent, fils de pasteur baptiste de l’Arkansas à qui on a fait suivre un programme de masculinisation pour "guérir" de son homosexualité. Une thérapie de groupe en centre fermé où il va vivre un enfer.
 
Aux États-Unis, on estime que 700 000 jeunes sont passés par ce type de centres, qui ont pignon sur rue dans beaucoup d’États. Mais si les thérapies de conversion sont plus connues outre-Atlantique, elles existent aussi en Europe et notamment en France.
 
Selon la député La République en Marche (LREM) Laurence Vanceunebrock-Mialon, qui travaille sur cette question, deux tendances principales se dégagent : des cercles religieux qui enrôlent de jeunes victimes dans des "stages" de réorientation sexuelle et des médecins qui "soignent" l’homosexualité avec des traitements anxiolytiques. Depuis quelques années, des militants tirent la sonnette d’alarme pour dénoncer une pratique insidieuse en expansion dans l’Hexagone.
 
J’ai rendez-vous avec un exorciste
 
Une jeune fille appelle la permanence téléphonique de l’association Le Refuge, qui vient en aide aux jeunes homosexuels en détresse : "Bonjour, mes parents ont pris rendez-vous avec un exorciste pour moi. J’ai fait mon coming-out la semaine dernière et depuis je vis l’enfer. Ils sont cathos pratiquants et ils pensent que ce sont les démons qui sont entrés en moi et que je suis en perdition… ". Comme des dizaines d’autres de ce type, cet appel a été répertorié par Véronique Lesage, coordinatrice responsable d’écoute. De jeunes hommes et femmes dont l’homosexualité provoque de véritables drames familiaux au point que la "guérison" devient la seule issue possible pour les parents.
 
En France, ces "réorientations sexuelles" sont pratiquées notamment par des groupes chrétiens et protestants évangélistes d’inspiration américaine et par certains prédicateurs musulmans. Les jeunes doivent suivre des "stages" mêlant prières, lectures, séances d’exorcisme allant parfois jusqu’à l’isolation totale. "Nous avons eu le cas d’un témoin de Jéhovah mineur dont l’homosexualité avait été révélée publiquement au sein de la communauté. Il lui avait été retiré téléphone et ordinateur, on l’accompagnait aux portes de l’école et il lui avait été interdit toute interaction avec l’extérieur", explique Véronique Lesage.
 
"Ce type de mises à l’écart, nous l’observons également parfois au sein de certaines familles de gens du voyage où l’on marie les jeunes gens de force et où on les surveille en permanence". Chez STOP Homophobie un cas récent a marqué les esprits : "Nous avons sollicité l’aide d’un généraliste pour un jeune de 19 ans. Lorsque le sujet de l’homosexualité a été abordé, il a affirmé que ces personnes étaient des pédophiles en puissance, vecteurs du SIDA et qu’il fallait traiter médicalement. Nous étions extrêmement choqués", raconte Terrence Katchadourian, cofondateur de l’association.
 
Un phénomène bien présent dans l’Hexagone
 
Si ces thérapies de conversion représentent aujourd’hui une part très minoritaire des actes homophobes, certaines associations affirment qu’elles ont tendance à augmenter. Au Refuge, on estime que 3,5 % des appels LGBT concernent ces pratiques. Ce qui revient à deux à trois appels par mois. "Il y a eu un changement assez net au moment de la Manif pour tous, une libération de la parole homophobe qui a donné lieu à de nombreuses dérives", explique Véronique Lesage. "Certaines églises à l’époque sont allées jusqu’à organiser des sessions de prières pour empêcher la loi de passer".
 
Anthony Favier, président de l’association LGBT catholique David & Jonathan va dans le même sens, affirmant quele phénomène a pris de l’ampleur avec l’explosion du mouvement évangélique observée en France depuis quelques années : "C’est un mouvement moderne sur la forme mais très conservateur sur le fond, il n’y a pas d’interprétation des textes religieux, on prend la Bible au pied de la lettre, notamment en ce qui concerne la condamnation de l’homosexualité".
 
Il pointe notamment le développement rapide de mouvements religieux comme "Torrents de vie"ou "Courage" qui proposent des "stages" controversés sur la réorientation sexuelle. Anthony Favier incrimine également l’augmentation de la publication d’ouvrages religieux sur la question du genre, souvent critiques envers l’homosexualité, et qui installent un terrain favorable pour le développement de ces thérapies.
 
Pour ce qui est de l’Islam, la tendance est moins affirmée, selon Ludovic Mohamed Zahed, docteur et Imam spécialiste des questions LGBT. "L’homosexualité reste un sujet très tabou dans beaucoup de familles, les imams évitent de s’y confronter de manière frontale, certains vont jusqu’à affirmer qu’elle n’existe pas chez les musulmans. Néanmoins, des cas de thérapies de conversion ont été et sont encore observées, par exorcisme notamment".
 
Globalement il est difficile d’évaluer précisément l’évolution de ces pratiques car les témoignages sont rares : "Les jeunes qui nous contactent veulent parler mais refusent souvent de nous rencontrer, certains sont traumatisés" explique Terrence Katchadourian de STOP homophobie, "des histoires nous reviennent mais de la part de gens plus âgés qui parlent sur le tard et nous disent avoir été victimes".
 
Des "guérisseurs" difficilement attaquables
 
En France, contrairement aux États-Unis, ces thérapies sont souvent pratiquées en toute discrétion au sein des familles, des communautés religieuses ou des cabinets médicaux. Mais certains prédicateurs n’hésitent pas à exorciser en public et même à promouvoir leurs exploits sur les réseaux sociaux.
 
C’est le cas à l’église évangélique ACCR (Assemblée Chrétienne du Christ Ressuscité) de Lille où le pasteur pratique tous types de "délivrances", et notamment celle de l’homosexualité. Contactée par France 24, l’église affirme n’avoir jamais été inquiétée quant aux pratiques du pasteur dont les prêches du week-end sont ouverts à tous et attireraient des gens de toute la France et même de l’étranger, comme on peut le voir sur son site.
 
Cet exemple illustre bien la difficulté de lutter contre ces pratiques, car les personnes participant à ce type d’exercice semblent le faire de leur plein gré. "Souvent les personnes sont dans une volonté de "guérison" et ne se considèrent pas comme victimes" explique Mehdi Aifa, président de l’Amicale des Jeunes du Refuge, qui traque les dérives homophobes sur les réseaux sociaux.
 
"Nous n’avons pas de témoignages en France, ou très peu, de personnes adultes ayant été contraintes de subir ce genre de procédés sans consentement. Les professionnels de santé pratiquent ce type de thérapies avec l’aval du "patient" et ne font pas étalage de leur pratique professionnelle".
 
Le président de SOS Homophobie, Joël Deumier, juge quant à lui que l’arsenal juridique existe, mais que la difficulté est de prouver qu’il y a emprise : "Le taux de suicide est beaucoup plus élevé chez les jeunes LGBT. La question des thérapies de conversion c’est aussi un enjeu de santé publique, notamment lorsque l’on sait que ça débute parfois très tôt, dans les écoles confessionnelles".
 
Du côté de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), on intervient très peu sur ce genre d’actions : "Si des groupes religieux proposent des stages de conversion, il n’est pas dit que ce soit considéré comme une dérive sectaire. Nous sommes intervenus sur une poignée de cas mais nous n’avons une vision que très parcellaire du problème" précise Audrey Keysers, la responsable du pôle parlementaire.
 
Une proposition de loi à l’étude
 
Il existe donc un vide juridique sur les thérapies de conversion. En France, les pratiques consistant à réorienter sexuellement ou ‘"guérir" les homosexuels sont aujourd’hui légales. La députée LREM de l’Allier Laurence Vanceunebrock-Mialon tente de changer la donne avec une proposition de loi. Le texte a notamment pour but d’adresser un signal fort aux familles, qui sont souvent à l’initiative de ces pratiques : "Il faut faire de la pédagogie. Il ne s’agit pas d’interdire l’accompagnement de jeunes homosexuels en souffrance mais de bien distinguer les cas où l’on fait croire qu’ils peuvent être ‘guéris’ car c’est là qu’on tombe dans la violence psychologique".
 
Cela fait plus d’un an que la députée travaille sur sa proposition de loi. Aujourd’hui elle se sent bien seule au sein de son groupe : "Le sujet est très sensible car il touche au religieux. Les parlementaires ont peur de susciter des réactions épidermiques, il y a clairement un manque de courage politique".
 
Si la France traîne des pieds, les choses avancent en Europe. Il y a un an, le Parlement européen a voté un texte demandant aux États membres d’interdire ces thérapies. Pour l’instant, seules Malte et certaines régions autonomes d’Espagne ont voté des lois. Mais plusieurs pays travaillent sur le sujet dont l’Allemagne, la Pologne et le Royaume-Uni, qui s’est déjà engagé officiellement à interdire les thérapies de conversion