Les associations Mousse, Stop Homophobie, Inter-LGBT, ADHEOS, SOS Homophobie et Quazar s’unissent pour porter plainte contre Éric Zemmour pour négationnisme après qu’il a nié dans son livre, La France n’a pas dit son dernier mot, la déportation d’homosexuels français en raison de leur orientation sexuelle, qu’il qualifie de “légende”. Elles rappellent ici que ces propos sont faux, comme la recherche historique l’a établi.
Dans son ouvrage intitulé La France n’a pas dit son dernier mot, Éric Zemmour affirme que “la déportation en France d’homosexuels en raison de leur ‘orientation sexuelle’ est une ‘légende'”, reprenant à son compte les propos tenus le député de droite Christian Vanneste en 2012. Cette affirmation est fausse : en France, quelque 500 hommes accusés d’homosexualité ont été arrêtés dont près de 200 furent déportés pendant l’occupation allemande. Les associations Mousse, Stop Homophobie, Inter-LGBT, Adheos, SOS Homophobie et Quazar s’unissent pour porter plainte ce mercredi 23 mars contre Éric Zemmour pour négationnisme. C’est la première fois que des poursuites sont engagées contre les propos niant la réalité de la déportation des homosexuels en France pendant la Seconde Guerre mondiale.
Des recherches historiques récentes
La question de la déportation des homosexuels a longtemps été délaissée par les historiens français. Les premières recherches parcellaires sur le sujet ont été publiées en 2001 par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Mais ce n’est qu’en 2018, dans un livre intitulé Les homosexuel.le.s en France, du bûcher aux camps de la mort, que sont publiés les résultats de recherches historiques approfondies, issues des travaux d’Arnaud Boulligny, Jean-Luc Schwab et Frédéric Stroh.
Ces investigations s’appuient sur l’exploitation systématique de fonds conservés au Service historique de la Défense, aux Archives nationales, à la Préfecture de police de Paris, ainsi que dans plusieurs Centres d’archives départementales ou communales. Les Mémoriaux des camps de concentration et le Service international de recherches d’Arolsen ont aussi fréquemment été sollicités par les chercheurs. Ces recherches portent sur l’ensemble des répressions observées en France, qui ont non seulement touché une minorité d’étrangers, dont quelques Allemands résidant sur le territoire métropolitain, mais surtout une grande majorité de Français.
Malgré un travail colossal, les résultats des recherches historiques demeurent lacunaires, comme le notent eux-mêmes les historiens, qui préconisent de poursuivre les recherches pour mieux mesurer l’ampleur véritable des arrestations et déportations subies par les homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale.
Une réalité historique indéniable
Entre 1940 et 1945, la France était divisée en trois zones, où la répression et la déportation ont pris des formes différentes.
Dans la zone annexée, la répression a commencé immédiatement après la défaite militaire de la France. Une série de mesures expéditives ont alors été prises par la police allemande, en dehors de tout contrôle des tribunaux. L’introduction progressive du droit allemand a ensuite rendu applicable le § 175 (paragraphe 175), article du code pénal allemand qui sanctionnait les relations homosexuelles masculines. Cette loi a ainsi trouvé à s’appliquer aux Français et servi à justifier les poursuites d’habitants homosexuels de cette zone devant les tribunaux allemands qui avaient supplanté les juridictions françaises. Au moins 413 hommes au moins, accusés ou suspectés d’homosexualité, y ont été arrêtés, et au moins 150 d’entre eux ont été déportés entre 1941 et 1945.
Dans la zone occupée, le droit français demeurait en vigueur. Cependant, en vertu des ordonnances du Commandement militaire allemand en France, les tribunaux militaires allemands de campagne ont jugé des Français au titre des paragraphes 175 et 175a, notamment lorsque les magistrats militaires estimaient que leurs actes homosexuels portaient “atteinte au prestige ou à la sécurité de l’Allemagne”. Il s’agissait principalement de Français ayant eu ou tenté d’avoir des relations sexuelles avec des soldats ou des civils allemands. Dans ce cadre particulier, 44 arrestations d’homosexuels, dont 21 déportations, ont été documentées pour la zone occupée. Après 1942, la Gestapo a en outre procédé à des arrestations et déportations en dehors de tout cadre légal, portant à 21 le nombre total de déportations avérées depuis la zone occupée.
Dans la zone libre, les préfets avaient le pouvoir d’envoyer en centres de rétention administrative, sans jugement ni condamnation, les individus considérés comme dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. Les préfets ont utilisé ces prérogatives pour faire enfermer des individus connus des services de police comme homosexuels et qualifiés d’indésirables. Les recherches historiques dans six départements de l’ancienne zone sud ont permis de recenser à ce jour une cinquantaine d’ordonnances d’internement administratif visant des “invertis”, majoritairement dans les Alpes-Maritimes, avec 7 déportations effectuées en conséquence de ces procédures administratives.
Une reconnaissance officielle tardive
Entre 1975 et 1994, les autorités françaises ont refusé de laisser les militants homosexuels participer aux cérémonies organisées à l’occasion de la Journée du souvenir de la déportation. Lors de certaines cérémonies, les gerbes de fleurs qu’ils transportaient étaient interceptées et détruites par les forces de l’ordre. Ce n’est qu’en 1995 que des militants homosexuels furent autorisés pour la première fois à participer à la cérémonie officielle. C’est le début d’une lente normalisation qui demeure émaillée localement d’oppositions, voire de heurts entre militants et autorités, jusque dans les années 2010.
Cette première reconnaissance étatique est suivie par une déclaration officielle de Lionel Jospin, alors Premier ministre, en 2001, puis de Jacques Chirac, alors Président de la République, en 2005, tous deux évoquant explicitement dans leur discours la déportation des homosexuels français. En 2011, une note du ministère de la Défense insiste sur l’inclusion des associations de mémoire de la déportation homosexuelle dans le dispositif protocolaire de la Journée nationale du Souvenir des victimes et héros de la Déportation.
Sur le plan individuel, Pierre Seel (1923-2005), seul Français revendiquant son homosexualité comme motif de déportation, a obtenu en 1994 le titre de déporté politique pour avoir été incarcéré arbitrairement à la prison de Mulhouse, puis au camp de sûreté de Vorbruck-Schirmeck. En 2011, Rudolf Brazda (1913-2011), dernier survivant des « triangles roses » (déportés pour motif d’homosexualité en camps de concentration), est fait chevalier de la Légion d’honneur en reconnaissance de son engagement comme témoin.
Dans une affaire opposant Eva Joly à Christian Vanneste, la Cour d’appel de Paris avait également reconnu en 2015 la « réalité des persécutions subies par les homosexuels » pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit à ce jour de la seule reconnaissance judiciaire en France de la réalité de la déportation des homosexuels.
Le négationnisme d’Eric Zemmour est une forme déguisée d’appel à la haine. En niant les crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale contre les homosexuels, Eric Zemmour minimise les violences homophobes actuelles. Or, pour comprendre et lutter contre l’homophobie, il faut savoir la regarder en face, dans sa réalité historique et quotidienne.
Signataires :
Etienne Deshoulières, avocat
Arnaud Boulligny, historien
Terrence Katchadourian, secrétaire général de Stop Homophobie
Damien Sartran, président de Mousse
James Lony, délégué Justice de l’Inter-LGBT
Frédéric Hay, président d’ADHEOS
Stéphane Corbin, président de Quazar