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 d’ADHEOS

Les premiers travaux scientifiques sur les enfants élevés par des parents homosexuels datent des années 1970. En 1997, date de l’invention du néologisme "homoparentalité", il n’existait en France aucun travail universitaire, aucune étude sur ce qu’on ne désignait pas encore par ce terme, alors qu’étaient recensées plus de deux cents références bibliographiques d’études menées principalement aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, mais aussi en Belgique et aux Pays-Bas.
 
Les toutes premières études nord-américaines ont été réalisées à la demande de tribunaux qui devaient décider de la résidence d’un enfant avec un parent homosexuel à la suite d’une séparation ou d’un divorce. Elles ont continué par la suite de répondre aux inquiétudes exprimées par les travailleurs sociaux et le public en général concernant le devenir psychologique des enfants élevés par des parents homosexuels.
 
Par exemple, est-ce que les enfants seraient stigmatisés par leurs camarades et ne développeraient-ils pas par conséquent des problèmes psychologiques, ou ne manifesteraient-ils pas des troubles de l’identité ou du comportement de genre. Jusqu’aux années 2000, tous les travaux scientifiques sur ces thématiques étaient des études comparatives. Le développement des enfants élevés par des mères lesbiennes ou par des pères gays était comparé à celui des enfants élevés dans les familles hétéro-parentales. Différents aspects ont fait l’objet d’une attention soutenue : identité sexuelle, développement émotionnel, relations sociales avec les pairs et avec les adultes, et risque d’abus sexuels, réussite académique, risque de psychopathologie.
 
De très nombreuses études se sont d’abord ainsi attachées à démontrer l’innocuité de l’homoparentalité face aux préjugés homophobes et aux présupposés hétéro-normatifs. Malgré l’étonnement que cela peut susciter, leurs résultats concordent. Le développement des enfants de familles homoparentales ne diffère pas notablement de celui des enfants élevés dans un contexte hétéro-parental, sur les divers aspects étudiés. Peu à peu, les études, à côté de ces premiers thèmes, se sont moins focalisées sur la réponse à apporter aux inquiétudes quant au bien-être et au développement des enfants élevés par des parents de même sexe.
 
De nombreuses questions méritent l’attention des chercheurs et ont commencé à faire l’objet d’études : le choix de ne pas afficher son homosexualité et ses effets sur les relations conjugales et parentales, la gestion du stress, les effets de l’homophobie et les stratégies pour en protéger les enfants, le fonctionnement familial, les relations intergénérationnelles, le désir d’enfant et les conditions de son émergence chez les homosexuels, le caractère individuel ou conjugal des projets parentaux, les relations avec les tiers qui ont aidé à mettre au monde un enfant sans être parent eux-mêmes (donneur de sperme, donneuse d’ovocyte, gestatrice), l’appréhension de l’anonymat du donneur, la transmission des valeurs et des identités religieuses, la mise en commun ou la séparation des revenus, l’impact de l’asymétrie du statut parental. Les chercheurs se sont emparés de l’objet "homoparentalité" pour éclairer l’évolution de la famille, de la filiation, des rôles parentaux.
 
En France, le désert scientifique est total jusqu’à la fin des années 1990 sur cette question. Probablement parce que la législation ne permet pas, comme dans les pays plus en pointe dans ce domaine, d’adopter des enfants ou de recourir à une procréation médicalement assistée.
 
Les premiers travaux français apparaîtront lorsque les débats à propos du pacs feront rage. On parlait là d’ordre symbolique, de filiation, de parenté et de différence des sexes beaucoup plus que de famille et de psychologie de l’enfant.
 
Et pour cause, l’homoparentalité, réalité invisible démographiquement, commençait tout juste à l’époque à susciter de l’intérêt. Un intérêt que vont s’efforcer de stimuler les militants pour faire basculer les a priori vers une connaissance a posteriori. Constatant que les propos homophobes et les affirmations des politiques sur la parentalité homosexuelle ne s’appuyaient sur aucune base scientifique, constatant l’absence totale de travaux en France et cherchant à faire advenir un peu de savoir concret sur les réalités vécues par ses adhérents et leurs enfants, l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) a interrogé en 1997 les unités de recherche du CNRS et des universités sur leurs intentions de se pencher sur les familles homoparentales, et s’est offerte en terrain aux chercheurs.
 
Cependant, pendant plusieurs années, les étudiants en sciences sociales ne sont pas encouragés à poursuivre des travaux sur ce thème. Malgré cela, les travaux sur l’homoparentalité qui ont vu le jour en France ces dernières années proviennent plutôt des sciences sociales que de la psychologie du développement ou de la clinique, ce n’est que depuis une dizaine d’années que les psychologues cliniciens ont commencé à s’intéresser à la question. Pourquoi cet intérêt des anthropologues et des sociologues, et cette relative indifférence des psychologues jusqu’à il y a peu ? Difficile de faire des hypothèses pour expliquer l’indifférence ou le désintérêt des premières années de la part des psychologues.
 
Reconnaissons à la sociologie et à l’anthropologie leur rôle de pionnières en la matière. Toutefois, ce sont des disciplines qui décrivent, qui montrent sans démontrer. Les travaux sociologiques vont s’emparer de la réalité homoparentale comme une autre manière de faire famille, comme c’est le cas des recompositions familiales à la suite d’une union féconde défaite, des adoptions plénières et des assistances médicalisées à la procréation avec tiers donneur. Et si l’homoparentalité ne manque pas d’intéresser les anthropologues et les sociologues, c’est qu’elle recouvre dans sa diversité ces différentes situations familiales et permet d’explorer l’impact des nouvelles techniques de reproduction.
 
Autre spécificité française, l’omniprésence de la psychanalyse dans le débat sur le pacs et l’homoparentalité et, de manière générale, dans le champ de l’éducation, de la petite enfance et de la famille. Signalons encore le recours à l’anthropologie dans l’arène politique. Ainsi les travaux français ont abandonné la thématique de la construction psychique et du devenir des enfants aux psychanalystes et se sont davantage penchés sur les différents modes de constitution des familles homoparentales, leur fonctionnement, et la manière dont ces modes de constitution contestent le système de parenté euro-américain, en particulier la primauté du lien de sang, le caractère bisexué de la parentalité et l’exclusivité de la filiation. Apportant ainsi une réponse aux craintes des politiques d’un ébranlement de l’ordre social.
 
La thèse de pédopsychiatrie de Stéphane Nadaud en 2000, l’une des seules thèses avec celle d’Olivier Vécho à se pencher avec les outils de la psychologie du développement sur le devenir des enfants de familles homoparentales, comme les études américaines ont été assez mal accueillies en France. La plupart des psychanalystes qui se sont exprimés publiquement au sujet de l’homoparentalité n’accordent aucun crédit à toutes ces études. Ils en critiquent la méthodologie (échelle, statistiques, questionnaires validés par la communauté scientifique), leur prêtent une intention d’instrumentalisation des enfants dans le but de prouver la compétence parentale des parents.
 
Selon eux, il serait inutile d’étudier les enfants, car ce qui importe, c’est la portée sociétale de lois favorables à l’homoparentalité, ou bien les études ne prouveraient rien, puisqu’il faudrait attendre trois générations pour constater les effets néfastes de l’homoparentalité. De nombreux psychanalystes utilisent la théorie psychanalytique comme un dogme pour émettre des prédictions. Toutefois, à côté des psychanalystes qui, prétendant parler au nom de la psychanalyse, sont convaincus des menaces que l’homoparenté ferait planer sur les fondements anthropologiques de la société, commencent à se faire entendre d’autres discours et d’autres pratiques. Certains, tels Michel Tort, Serge Hefez, Claude Rabant, Elisabeth Roudinesco, Sabine Prokhoris ou Geneviève Delaisi, critiquent la position normative de leurs collègues.
 
Des psychanalystes de plus en plus nombreux, tels qu’Alain Ducousso-Lacaze, Despina Naziri, Eliane Feld-Ezon, Salvatore d’Amore ou Susann Heenen-Wolff, commencent à revisiter la théorie freudienne à l’aune des nouvelles parentalités. Plutôt que de prédire un avenir funeste à ces familles et à leurs enfants, ils se penchent sur la réalité de ces familles et mènent des recherches cliniques. Des colloques consacrés aux nouvelles parentalités se multiplient à destinations des cliniciens et autres professionnels de la famille. La question de l’homoparentalité commence à émerger dans l’univers des cliniciens francophones.
 
En 1999, l’APGL organisait une conférence internationale avec les chercheurs qui avaient commencé à travailler sur la question. Le député Bernard Accoyer avait demandé à Claude Allègre, ministre de l’éducation, s’il avait l’intention de condamner les chercheurs et les universitaires qui avaient accepté de soutenir une association militante en participant à cette conférence. Il est vrai que l’APGL n’a eu de cesse de stimuler le monde de la recherche et de faire advenir la connaissance.
 
Les temps ont changé. L’homoparentalité est devenue un objet légitime de recherche en sciences humaines et sociales. Olivier Vécho a obtenu un poste de maître de conférences en psychologie à l’université Paris-X. Emmanuel Gratton, grâce à ou malgré sa thèse sur les pères gays, a été engagé à l’université d’Angers. L’Institut national d’études démographiques (INED) et l’Insee appréhendent l’homoparentalité dans leur enquête "Famille et logements" dont les résultats sont encore à venir. L’Etude longitudinale française depuis l’enfance (ELFE) dont l’objectif est de suivre 18 000 enfants nés en 2011 en France dans un échantillon de 345 maternités, menée par l’INED et l’Insee, comprendra un volet sur les enfants des familles homoparentales.
 
Enfin, pour la première fois, l’Agence nationale de la recherche a alloué un financement conséquent pour une recherche internationale portant sur les pères gays et la relation père-enfant pendant la première année de vie. Ce sera la première étude portant sur les enfants élevés dès le plus jeune âge par des pères gays.
 
Ingénieure de recherche en sciences sociales au CEIFR (CNRS) et présidente d’honneur de l’Association 
des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL).
 
Elle a consacré plusieurs ouvrages à l’homoparentalité dont "Qu’est-ce que l’homoparentalité" (Payot, 206 pages, 7,65 €) et "Choisir la paternité gay" (Erès, 290 pages, 23,50 €)
Martine Gross