Convaincue que "les droits sexuels font partie des droits humains", la romancière franco-marocaine Leila Slimani, prix Goncourt 2016, montre dans un livre de témoignages combien cette reconnaissance d’une sexualité libre est toujours un combat pour les Marocaines.
"Sexe et mensonges – La vie sexuelle au Maroc" (Les Arènes), en librairie mercredi, est publié alors qu’il y a moins de trois semaines la diffusion d’une vidéo montrant une agression sexuelle collective d’une effroyable violence à l’encontre d’une jeune femme dans un bus à Casablanca a ému de nombreux Marocains.
Le livre a été retenu mardi dans la première sélection du prix Renaudot dans la catégorie essais.
En lisant les témoignages de femmes marocaines recueillis par Leila Slimani, qui avant d’être romancière a été journaliste pour Jeune Afrique, il apparaît que l’affaire de Casablanca est loin d’être un cas isolé. "Le hasard a voulu que ma première fois soit un viol, par trois hommes, quand j’avais 15 ans", confie ainsi Zhor, une jeune femme de 28 ans, originaire de Rabat que l’on retrouve dans le roman graphique "Paroles d’honneur" (Les Arènes BD), publié parallèlement à "Sexe et mensonges" avec la dessinatrice Laetitia Coryn.
Nour, une trentenaire d’Agadir, se souvient qu’un cousin lui faisait "des attouchements" quand elle avait 5 ans. F., une prostituée, raconte son calvaire, Malika, une médecin célibataire âgée de 40 ans, décrit son avortement (illégal au Maroc sauf en cas de viol, de malformations graves ou d’inceste) et Mouna dit la difficulté d’être lesbienne au Maroc.
Dans un pays qui se veut, selon les discours officiels, chantre d’un islam tolérant et où les femmes n’ont pas l’obligation de porter le voile, les Marocaines subissent fréquemment insultes, remarques désobligeantes et autres agressions sexistes dans les espaces publics, rappelle avec force l’essai de l’écrivaine.
Propos burlesques
Homosexuels, femmes adultères "purgent des peines de prison bien réelles" au Maroc, s’indigne Leila Slimani. "Les femmes doivent retrouver le moyen de peser sur une culture qui est l’otage des religieux et du patriarcat", demande la romancière féministe dont les livres sont librement publiés au Maroc.
"Si l’on s’en tient à la loi telle qu’elle existe et à la morale telle qu’elle est transmise, il faudrait considérer que tous les célibataires du Maroc sont vierges. Que tous les jeunes gens et toutes les jeunes femmes, qui représentent plus de la moitié de la population, n’ont jamais eu de relations sexuelles", pointe l’auteure de "Chanson douce" et "Dans le jardin de l’ogre".
"Les concubins, les homosexuel(le)s, les prostitué(e)s, tous ces gens n’existeraient pas", relève-t-elle avec une ironie amère. De fait, Leila Slimani dénonce l’hypocrisie et "la culture institutionnalisée du mensonge" de la société marocaine où "l’honneur passe avant tout". "Ceux qui détiennent l’autorité -gouvernants, parents, professeurs, tiennent le même discours: ‘Faites ce que vous voulez, mais faites-le en cachette’".
Quant à l’islam, Leila Slimani refuse d’en faire la cause principale des difficultés rencontrées par les Marocaines pour vivre pleinement leur sexualité. Certes, souligne la romancière, "les sociétés musulmanes sont construites autour de tabous que sont la fornication, l’homosexualité, la maternité célibataire, l’avortement et la prostitution".
Régulièrement vilipendée par les islamistes qui l’accusent d’être "vendue à l’Occident", elle rappelle également les "propos totalement burlesques" de prédicateurs islamistes affirmant pour l’un que l’islam autorise l’acte sexuel sur un cadavre… à condition que ce cadavre soit celui de l’épouse ou d’un autre qui a interdit aux musulmanes de pratiquer le vélo au prétexte que la selle "suscite chez la femme une excitation sexuelle".
Mais, souligne en substance, la romancière, la misogynie est universellement partagée.
Leila Slimani rappelle ainsi que l’article du code pénal marocain réprimant les relations homosexuelles "est la copie exacte" de l’ancien article du code pénal français abrogé seulement en 1982. "Je réfute absolument l’idée que l’identité, la religion ou quelque héritage historique que ce soit dépossède des individus de droits qui sont universels et inaliénables", insiste l’écrivaine.
- SOURCE E LLICO