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 d’ADHEOS

L’Allemagne ouvre mercredi la voie à la réhabilitation et l’indemnisation de quelque 50.000 hommes condamnés pour homosexualité sur la base d’un texte nazi resté en vigueur longtemps après la Deuxième guerre mondiale.
 
Nous ne pourrons jamais supprimer les abjections commises au nom de l’État de droit, mais nous voulons réhabiliter les victimes", a promis le ministre social-démocrate de la Justice, Heiko Maas, dont le projet de loi en ce sens doit être adopté dans la matinée en conseil des ministres.
 
Fruit de difficiles négociations au sein du gouvernement d’Angela Merkel depuis des mois, entre sociaux-démocrates souhaitant aller le plus loin possible et conservateurs plus réticents, le texte organise à la fois l’annulation des condamnations et l’indemnisation des hommes concernés.
 
Le texte devra ensuite être approuvé par le Parlement.
 
"Les homosexuels condamnés ne doivent plus vivre avec ce stigmate", qui a souvent "détruit leur parcours professionnel et leur vie tout court", a souligné le ministère de la Justice.
 
L’initiative intervient quelques mois après l’annonce d’une loi comparable pour les homosexuels condamnés en Angleterre et au Pays de Galles, à la différence que le texte ne s’applique qu’aux défunts. Seule l’Ecosse a annoncé vouloir aussi réhabiliter les vivants. –
 
"Contre nature"
 
Pendant 122 ans, de 1872 à son abrogation en 1994, l’article 175 du Code pénal allemand a puni de prison "les actes sexuels contre nature (…), que ce soit entre personnes de sexe masculin ou entre hommes et animaux".
 
Sa sévérité avait été accrue en 1935 par un amendement nazi prévoyant jusqu’à dix ans de travaux forcés. Plus de 42.000 hommes ont été condamnés à ce titre sous le IIIe Reich, envoyés en prison et pour certains en camp de concentration.
 
Mais l’article 175 a été maintenu après guerre, restant pendant des décennies la seule survivance légale des persécutions nazies, et conduisant à 50.000 nouvelles condamnations dans la jeune démocratie ouest-allemande.
 
"On les traquait, on les chassait de leur travail, on interrogeait leurs collègues, leurs amis et les membres de leur famille", rappelait récemment le quotidien Süddeutsche Zeitung, évoquant une "mort sociale".
 
Plusieurs condamnés ont raconté dans la presse leur vie brisée et, plus largement, leurs amours clandestins, marqués par une peur constante. Au point que la Süddeutsche Zeitung rapporte une vague de castrations volontaires après guerre.
 
"On avait un pied dans une pissotière et l’autre en prison", se souvient "Fritz" dans le magazine gay Siegessäule, regrettant de n’avoir jamais pu "s’excuser" auprès de son partenaire d’un soir, condamné à sept ans et demi de prison quand lui-même, consentant mais mineur, avait été détenu quelques semaines.
 
Comportement "débridé"
 
Les procès pour homosexualité ont eu lieu pour l’essentiel jusqu’en 1969, date à laquelle l’article 175 est revenu à sa version d’avant 1935. En Allemagne de l’Est, l’article 175 avait d’emblée été rétabli dans sa première version et a été supprimé en 1968.
 
L’homosexualité féminine n’a en revanche jamais été criminalisée, bien que les nazis l’aient envisagé. L’argument de "l’égalité hommes-femmes" a d’ailleurs été employé après guerre par les adversaires du texte, en vain.
 
Car cet épisode méconnu est aussi, comme souvent en Allemagne, l’histoire d’un combat juridique: d’abord pour obtenir l’abrogation de l’article 175 et, depuis plus de dix ans, pour réhabiliter les condamnés.
 
La première bataille s’est heurtée notamment à un arrêt retentissant de la Cour constitutionnelle en 1957. Les magistrats avaient attribué aux hommes homosexuels un "comportement sexuel débridé", synonyme de dangerosité sociale, assurant à l’inverse que les femmes homosexuelles étaient plus "passives".
 
Réclamée de longue date par les Verts et les associations gays, la réhabilitation pour les condamnations d’après guerre a de son côté buté sur le fait que ces décisions émanaient d’une justice démocratique et donc pas faciles à contester.