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 d’ADHEOS

Ani Zonneveld est l’une des rares femmes imam dans le monde. Cette Malaisienne installée à Los Angeles est convaincue que la pratique de l’islam est à réinventer pour mieux se rapprocher du Coran. Interview.
 
Ani Zonneveld a 51 ans et en paraît facilement dix de moins. Élevée en Malaisie mais aussi en Inde, en Égypte et en Allemagne, elle était venue aux États-Unis faire ses études, et n’en est jamais repartie. Si Ani Zonneveld a d’abord tenté sa chance -et réussi- à Los Angeles en tant que compositrice de chansons, elle s’est rapprochée de sa religion après les attentats du 11 septembre 2001. Elle a compris à ce moment-là à quel point l’islam était méconnu, à l’intérieur comme à l’extérieur de la communauté musulmane. Petit à petit, elle a créé une structure, Muslims for progressive values (MPV), au sein de laquelle elle officie maintenant comme imam, tout comme dix autres femmes aux États-Unis. Son credo: l’égalité au sein de la religion. Chez MPV, l’égalité est au cœur de toutes les démarches, que ce soit entre hommes et femmes, gays et hétéros, musulmans et non musulmans. Encore balbutiante, cette communauté de musulmans libéraux est emblématique des révolutions que connaît une religion très médiatisée et souvent caricaturée. Rencontre avec une pionnière du changement.
 
Comment est née votre vocation?
 
Quand le 11 septembre est arrivé, je travaillais dans la musique, et j’ai voulu sortir un album de pop islamique pour rappeler que la plupart des musulmans étaient modérés. J’ai été sidérée de voir que personne ne le vendait parce que j’utilisais des instruments de musique pop mais surtout parce qu’une voix de femme était considérée comme "haram", interdite. J’ai donc décidé de me battre contre cette idée.
 
Comment passe-t-on de compositrice de chansons à imam?
 
J’ai commencé par monter en 2006 une communauté musulmane libérale à Los Angeles car je me disais qu’il devait y avoir d’autres musulmans comme moi. Une fois qu’on lance une communauté, on organise des activités, comme la prière, le jeûne, et d’autres pratiques spirituelles. J’ai fini par diriger les prières et de fait, à devenir imam. Dans l’islam, toute personne qui mène la prière est imam, c’est aussi simple que cela, ce n’est pas comme dans d’autres religions où il faut des années de formation pour devenir pasteur ou rabbin. Aujourd’hui, je célèbre également des "nikâh", c’est-à-dire des mariages religieux entre des femmes musulmanes et des hommes non musulmans. J’étais assez réfractaire à l’idée, mais personne ne voulait les marier, alors j’ai obtenu une autorisation pour le faire.
 
Combien de membres abrite le MPV?
 
Environ 300 à Los Angeles, mais beaucoup de membres vivent loin donc nous sommes généralement 60 personnes pour les prières. Notre communauté est très diverse: il y a des yuppies, des grands-parents, des retraités, des Américains, des Pakistanais, des sunnites, des musulmans laïcs… Nous avons aussi des musulmans mariés à des non musulmans, parce qu’ils n’ont nulle part où aller, aucune mosquée ne les accueille. C’est particulièrement vrai si vous êtes une femme: où iront vos enfants? Nous créons donc une communauté qui rassemble tout le monde. Pour l’instant, elle est petite mais je suis sûre que d’ici vingt ans, ce que nous faisons aura beaucoup de sens.
 
Quelles sont ses différences avec les communautés traditionnelles?
 
Nous sommes la première organisation musulmane libérale à défendre l’égalité. Nous défendons tous les droits humains: les droits des femmes, ceux des LGBT, la liberté d’expression et de culte. Nous ne séparons pas hommes et femmes pendant la prière. À La Mecque, pendant le pèlerinage, les hommes prient derrière les femmes et ne sont pas émoustillés sexuellement, pourquoi ne peuvent-ils pas faire la même chose à la mosquée?
 
Avez-vous toujours pratiqué l’islam?
 
Oui, j’ai été éduquée dans la pratique de l’islam traditionnel. Mais mon père avait beau être traditionnel, il était pragmatique, et ne m’a jamais poussée à me marier à 18 ans. Il m’a au contraire encouragée à aller à l’université, tout comme il l’a fait avec mes frères. En Malaisie, les femmes ont toujours été visibles, la culture est différente de celle des pays arabes. Toutefois, ce n’est pas valable dès lors qu’il s’agit de religion: dans ce domaine, les femmes n’ont pas les mêmes possibilités que les hommes.
 
Avez-vous eu des modèles qui vous ont inspirée?
 
Amina Wadud a joué un rôle très important. Cette chercheuse américaine spécialiste de l’islam, a été la première à mener un office à New York en 2005. À l’époque, elle a été très médiatisée mais a aussi reçu de nombreuses menaces de mort. Elle a été un modèle pour beaucoup d’entre nous, d’autant qu’elle s’est toujours appuyée sur les textes de l’islam pour légitimer ses actions. Grâce à elle, nous savons que la première femme imam a été nommée par le prophète Mahomet. Il faut énormément creuser pour trouver des traces de cette histoire.
 
Le judaïsme libéral, très développé aux États-Unis, vous a-t-il servi d’exemple?
 
J’ai des amies rabbins, et c’est intéressant pour moi d’étudier l’histoire du judaïsme libéral car je vois ce qui a été fait, ce que nous devrions faire ou ne pas faire. Je vois à quel point leur communauté a grossi en peu de temps: en à peine 200 ans, il y a plus de 1000 synagogues libérales aux États-Unis. Les chrétiens aussi réfléchissent à ce sujet, même les bouddhistes le font!
 
Être femme et imam vous rend-il plus ouverte sur les questions d’homosexualité et de genre en général?
 
Avant chaque évènement, nous rappelons que tout le monde est égal, et que personne ne sera discriminé. Nous ne voulons pas remplacer le patriarcat par le matriarcat, nous ne faisons qu’élever le statut de tout le monde à celui d’un homme. Rien qu’en disant cela, nous donnons le ton de notre communauté. Chez nous, il peut y avoir une femme imam, un imam gay, peu importe, car l’égalité est notre valeur principale. Une femme peut faire l’appel à la prière, un homme peut faire le sermon, c’est libre, démocratique et égalitaire. C’est comme ça que cela devrait toujours se passer car le Coran dit que nous serons uniquement jugés sur nos bonnes actions et notre bonté les uns envers les autres. Le reste n’a pas d’importance.
 
Les religions sont-elles toutes misogynes?
 
Ce ne sont pas les religions qui le sont, ce sont les hommes, à cause du pouvoir qui en découle. Certains hommes utilisent la religion au service de leur pouvoir, et malheureusement beaucoup de gens ne font pas la différence entre religion, spiritualité et pouvoir, ils mélangent tout.
 
Vous définissez-vous comme féministe?
 
Oui, je me définis comme une musulmane féministe. Mais je ne suis pas une féministe qui déteste les hommes.
 
Le chemin vers l’égalité dans l’islam sera-t-il long?
 
Je ne pense pas. Au sein du MPV, nous appuyons toujours nos prises de position sur des textes sacrés et nous travaillons avec des chercheurs qui peuvent prouver que ce que nous faisons est conforme à l’islam. Les musulmans doivent être rééduqués, ils croient connaître l’islam mais ne le connaissent pas du tout. Le problème vient aussi du fait qu’ils écoutent les interprétations radicales qui les éloignent de l’esprit du Coran. C’est notre travail de musulmans progressistes que de rendre tous les textes sacrés accessibles au public.