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 d’ADHEOS

Depuis le régime de Vichy jusqu’en 1982, la France a condamné, au nom de l’article 331 du code pénal, des milliers d’homosexuels pour avoir eu des relations sexuelles entre personnes consentantes. Une législation homophobe qui a entraîné une persécution policière des homos.

Ce jour d’octobre 1978, Michel Chomarat n’en mène pas large : il doit comparaître pour outrage public à la pudeur pour s’être adonné à des actes sexuels entre hommes, dans le sous-sol d’un bar parisien connu pour ses fréquentations masculines, le Manhattan. Sur les marches du palais de justice de l’île de la Cité, c’est la cohue : de nombreux militants et intellectuels sont venus soutenir les homosexuels arrêtés ce soir-là. Finalement condamné à 500 francs d’amende (une peine confirmée en appel en 1980, puis définitivement en cassation en 1981), le militant de 73 ans n’espère aujourd’hui qu’une chose : que l’histoire retienne que des dizaines de milliers d’hommes ont été, comme lui, poursuivis par la justice française en raison de leur homosexualité.

Toutefois, même en analysant les archives judiciaires, il est impossible d’établir un chiffre précis des personnes condamnées, la législation de l’époque assimilant homosexualité et pédocriminalité. Ainsi, l’article 331 du code pénal, adopté en 1942 par le régime de Vichy, sous prétexte de protéger les enfants, établissait une discrimination autour de la majorité sexuelle, abaissée à 15 ans pour les relations hétérosexuelles, mais restant pour les homos alignée sur la majorité civile (21 puis 18 ans). Il créait ainsi le délit d’“acte impudique ou contre nature avec un individu mineur du même sexe”, puni de trois ans de prison. Son abolition par la gauche, en 1982, est restée dans l’histoire comme la “dépénalisation de l’homosexualité”.

Assimilés aux pédocriminels

Le sociologue Jérémy Gauthier et le sociohistorien Régis Schlagdenhauffen, qui ont épluché les archives du Compte général de la justice, dénombrent une dizaine de milliers de personnes condamnées entre 1945 et 1978. “Dans ces statistiques, une colonne liste les condamnations pour ‘homosexualité’, explique Régis Schlagdenhauffen. C’est littéralement l’intitulé retenu, ce qui prouve l’homophobie de ces condamnations.”. Les condamnés sont quasi exclusivement des hommes, principalement des ouvriers (41 %) et des employés (14 %). La majorité des peines prononcées (79%) ne dépassent pas un an de prison, et l’on note une augmentation et un durcissement des condamnations dans les années 1960.

Mais, parmi ces 10 000 condamnations, certaines concernent des abus sexuels sur des mineurs de moins de 15 ans, sans qu’on en connaisse le nombre. “Tout le problème du comptage réside dans le fait que, en matière judiciaire comme en psychiatrie, les pédocriminels étaient qualifiés d’homosexuels lorsqu’il s’agissait de relations entre personnes de même sexe”, précise Sébastien Landrieux, spécialisé dans l’histoire des homosexualités dans le Nord entre 1890 et 1985. Partant de l’analyse des minutes des procès, il estime que la moitié des 10 000 condamnations concerne des homosexuels discriminés. Quoi qu’il en soit, souligne-t-il, “on reste sur des volumes qui se comptent en milliers”.

En 1960, une nouvelle étape est franchie. Avec l’amendement Mirguet, qui définit l’homosexualité comme un “fléau social”, le gouvernement gaulliste introduit une circonstance aggravante à l’article 330, qui réprime l’outrage public à la pudeur : les peines encourues sont désormais doublées lorsque le délit est pratiqué avec un individu de même sexe. Tous les homosexuels sont visés, quel que soit l’âge de leur partenaire. Entre 1945 et 1978, plus de 100 000 condamnations pour outrage public à la pudeur ont ainsi été prononcées, sans que l’on puisse déterminer quelle part concerne des gays, et quelles étaient les circonstances de l’interpellation, par exemple sur un lieu de cruising.

Ciblage policier

Pour brosser un tableau complet de cette persécution, il faut ajouter aux chiffres des condamnations judiciaires le nombre de personnes harcelées par la police, qui surveillait et réprimait d’ailleurs les fréquentations homosexuelles bien avant l’adoption de lois homophobes. “Il n’est pas certain que la loi de 1942 ait été révolutionnaire dans la pratique policière, ou qu’elle soit devenue le principal outil de contrôle des activités homosexuelles”, signale ainsi Romain Jaouen, historien spécialiste de l’encadrement de l’homosexualité en France au XXe siècle. À l’époque, la police surveille en effet les lieux de rencontres et interpelle sans avoir nécessairement constaté d’infraction : “Il s’agissait d’accumuler des informations pour faire pression sur les homosexuels”, explique-t-il.

La législation discriminatoire va surtout créer pour les homos un environnement hostile dépassant le harcèlement policier et l’infamie judiciaire. “Le contrôle de l’homosexualité populaire passait par le ciblage policier et la répression pénale, l’homosexualité bourgeoise faisant quant à elle l’objet de fichage, notamment par la brigade mondaine de la préfecture de police de Paris, à des fins de pression et de chantage”, notent ainsi Jérémy Gauthier et Régis Schlagdenhauffen. Lorsqu’elles étaient judiciarisées, ces affaires faisaient les choux gras des journaux avides de scandales. Parmi les hommes ainsi mis à l’index, certains perdaient leur réputation, leur travail ou encore leur famille.

“L’homosexualité doit cesser d’être un délit.”

François Mitterrand, 29 avril 1981

Charles Trenet fait partie de ces victimes : pour avoir eu des relations sexuelles avec un jeune homme de 18 ans, le chanteur a été condamné en 1963 et emprisonné pendant cinq semaines. Dans Le Prix de la joie, livre consacré à cette affaire, Olivier Charneux rapporte qu’en plein procès son juge a même donné une interview à France Dimanche. La presse évoque alors des parties fines et fait le rapprochement avec la condamnation en appel pour pédocriminalité de l’ancien président de l’Assemblée nationale André Le Troquer, la même année.

Le 29 avril 1981, en pleine campagne électorale, le candidat socialiste François Mitterrand déclare enfin, lors d’un débat organisé par l’association féministe fondée par Gisèle Halimi, que “l’homosexualité doit cesser d’être un délit”. Et il tient parole. Dès son arrivée au pouvoir, une loi d’amnistie est adoptée. Entre autres délits, les infractions relevant de la loi de 1942 sont abolies avant que celle-ci ne soit définitivement abrogée le 4 août 1982. Il aura fallu le courage de Gisèle Halimi et la détermination de Robert Badinter pour faire aboutir ce texte face à l’opposition de la droite (parmi laquelle un certain François Fillon). Quarante ans plus tard, la République doit encore reconnaître cette part sombre de son histoire.