Mourad Farès, jugé aux assises de Paris pour avoir dirigé un groupe de jihadistes francophones en Syrie, a semblé mal à l’aise à l’évocation de son homosexualité.
L’accusé de 35 ans, transfuge du groupe Etat islamique (EI), présente un profil assez atypique: une enfance choyée dans une famille soudée à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie), un bac scientifique décroché avec mention, des études supérieures vite abandonnées faute d’intérêt mais aussi "d’argent".
Ce parcours presque sans anicroche prend fin au décès de son cousin, d’une méningite, à l’automne 2012. "Ebranlé" et "en quête de spiritualité", ce fils d’immigrés marocains, sans travail depuis deux ans, cesse alors toute consommation d’alcool et s’abreuve de vidéos "religieuses" sur Internet.
Une vidéo "complotiste" sur la mort d’Oussama Ben Laden le marque. Il répond alors à la "petite annonce" postée sur Facebook par son auteur, Oumar Diaby, qui cherche des "voix off".
Les deux hommes parlent d’abord "technique de voix", puis de "hijra" (émigration vers une terre d’islam) et se rencontrent à Nice, où vit Oumar Diaby, un Franco-Sénégalais également connu sous le nom d’Omar Omsen, une autre figure du recrutement pour le jihad en Syrie.
C’est après avoir fait sa connaissance, assure-t-il, que Mourad Farès, très actif sur les réseaux sociaux, aurait incité des dizaines de jeunes à partir faire le jihad. Les juges lui imputent aussi l’organisation de plusieurs réunions évoquant des départs en Syrie.
Il est notamment soupçonné d’avoir orchestré le départ en décembre 2013 de dix jeunes Strasbourgeois, dont Foued Mohamed-Aggad, l’un des futurs kamikazes du Bataclan.
Des échanges entre le frère de ce dernier et Mourad Farès pourraient présumer d’une radicalisation plusieurs mois avant sa rencontre avec Diaby, relève la présidente. Dans le box, l’accusé nie, répétant que c’est sous "l’emprise" de son "recruteur" qu’il aurait "rapidement adhéré à ses thèses affreuses".
Mal à l’aise à l’évocation de son homosexualité
Entendu en fin de journée, l’ex-compagnon de Mourad Farès, que ce dernier présente comme son "colocataire", met à son tour à mal cette version en assurant que les premiers signes d’une radicalisation, cause de leur rupture, étaient apparus "avant" le décès de son cousin.
Questionné à plusieurs reprises par la cour sur son homosexualité au premier jour de son procès, Mourad Farès se ferme, baisse la tête. "Je préfère éviter ces sujets là", déclare-t-il, mettant en avant sa nature "pudique", sa crainte d’une exposition médiatique et exprimant ses regrets que son procès ne soit pas à huis clos.
Il s’est contenté de confirmer qu’il avait informé Oumar Diaby de son "orientation" sexuelle et que ce dernier lui aurait dit qu’aller en Syrie lui permettrait d’"effacer ses péchés".
Jusqu’à son départ en Syrie, en juillet 2013, Mourad Farès tente de réduire "son rôle réel" à la diffusion de vidéos, réfute avoir fait des "appels au jihad proprement dit", parle d’incitations "indirectes", sans beaucoup convaincre la présidente qui lui demande de sortir de sa "position victimaire".
Sur place, il avait rejoint les rangs de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, devenue Etat islamique en 2014), mais assure qu’il s’en est "désolidarisé" dès l’automne 2013.
Fin 2013, il avait alors intégré la brigade de jeunes combattants francophones constituée par Oumar Diaby, qui sera affiliée au Front al-Nosra (l’ex-branche syrienne d’Al-Qaïda) et dont il est accusé d’avoir assuré l’intérim en l’absence du Franco-Sénégalais, ce qu’il conteste. Il aurait quitté ce groupe au printemps 2014.
Arrêté en Turquie en août 2014, Mourad Farès avait été remis à la France en septembre. En détention, il aurait adopté une "posture de repenti" et montré des signes de "désengagement" selon les rapports de l’administration pénitentiaire.
L’accusé, qui a obtenu en prison une licence en mathématiques avec mention très bien, voudrait à sa sortie "enseigner", bien que "conscient" de l’impossibilité de travailler dans le public compte tenu de ses antécédents.
"Vous voudriez continuer à transmettre, mais (cette fois) les mathématiques", souligne la présidente, après avoir rappelé que ce qu’on lui "reproche aussi, c’est la transmission".
Verdict attendu vendredi soir.
- SOURCE E LLICO