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 d’ADHEOS

L’homosexualité reste un sujet peu abordé dans les stades. Depuis son coming out en 2003, Yoann Lemaire, footballeur amateur des Ardennes, n’a cessé de militer contre l’homophobie. Nous l’avons rencontré, à l’occasion du lancement de son projet de documentaire, “Footballeur et homo : l’un n’empêche pas l’autre”.
 
Homosexualité et football ne font pas bon ménage. Lors de son coming out en 2003, Yoann Lemaire en a fait les frais. Son livre, Je suis le seul joueur de foot homo – Enfin j’étais…, publié en 2009, sur son expérience de footballeur gay, et la médiatisation qui l’a accompagné ont conduit à son exclusion du FC Chooz, club amateur des Ardennes. Aujourd’hui, président de l’association Foot ensemble, il tourne un documentaire intitulé Footballeur et homo : l’un n’empêche pas l’autre, dans lequel on retrouvera Didier Deschamps, Christian Karembeu, Lilian Thuram : les grands noms du football se mobilisent. Le but ? Sensibiliser la jeunesse sur le sujet. A l’approche de la Coupe du monde qui se tiendra, l’année prochaine, en Russie – un pays où l’homophobie fait des ravages –, le sujet est plus que jamais d’actualité.
 
Yoann Lemaire, que nous avions déjà rencontré en 2010 dans son village des Ardennes, lors de son exclusion du FC Chooz, nous raconte les changements qui ont permis au documentaire de voir le jour.
 
Comment est né le projet de ce documentaire ?
 
Yoann Lemaire – Je me suis rendu compte, ces dernières années, qu’il y avait un écart entre le comportement des footballeurs amateurs et celui des professionnels. La question de l’homosexualité dans le milieu amateur a toujours été compliquée mais depuis trois ou quatre ans, avec les avancées comme la loi du mariage pour tous, on assiste à une multiplication des réactions haineuses. Certes, il s’agit d’une minorité, mais celle-ci est très violente. J’ai demandé à plusieurs joueurs s’ils seraient prêts à témoigner devant une caméra pour donner l’exemple aux jeunes. Ils ont dit oui. Et je trouve ça exceptionnel parce qu’il y a encore quelques années, ils n’auraient pas réagi de la même manière. Non pas parce qu’ils étaient homophobes mais parce que c’était un sujet encore tabou. Et là, non. Ça y est !
 
“On espère que l’exemplarité du milieu professionnel va sensibiliser les joueurs amateurs et le public et permettre une véritable prise de conscience”
 
Le milieu professionnel est-il conscient de ce décalage avec le milieu amateur ?
 
Bien sûr. L’élite du football – le haut niveau, les professionnels – est consciente de la situation qui devient de plus en plus compliquée. Franchement, les éducateurs méritent une médaille. Il y a de plus en plus d’arrogance et de compétition dans les clubs. Le problème c’est que cette survalorisation de la compétition peut parfois amener au mépris. On essaye finalement de réduire l’autre, même son propre coéquipier. Et ça, c’est un constat qui revient souvent. Les valeurs véhiculées par le sport – le dépassement de soi, le respect – sont de plus en plus difficiles à communiquer. Avec le film, on espère que l’exemplarité du milieu professionnel va sensibiliser les joueurs amateurs et le public et permettre une véritable prise de conscience. Si les grands joueurs arrivent à parler d’homosexualité librement, sans tabou, simplement, pourquoi les jeunes penseraient l’inverse ?
 
Le documentaire s’adresse, en premier lieu, aux nouvelles générations ?
 
Les jeunes, oui, mais les éducateurs aussi. J’ai rencontré des éducateurs, enfin des gens qui se disent éducateurs, mais qui sont très en retard sur cette thématique. A cause d’une fusion entre mon ancien et mon nouveau club, l’entraîneur qui m’a viré en 2010 va de nouveau m’entraîner. La situation risque d’être compliquée car il ne veut toujours pas entendre parler d’homosexualité. Il m’a dit : “Moi je ne parle que de football, je ne veux parler de rien d’autre.”
 
Non, il n’y a pas que le foot. Il y a la vie sociale autour. Je dirais que le foot, c’est presque trop simple. C’est juste mettre onze bonhommes sur le terrain, c’est tout. C’est ce qu’il y a autour qui est intéressant. Si un mec tient des propos racistes dans le vestiaire, l’entraîneur ne va pas dire : “Bon, c’est le seul Noir qu’on a dans l’équipe, tapez-lui dessus, allez-y.” Non, il va intervenir. On souhaite que ce soit la même chose pour l’homophobie.
 
“Il s’agit d’amorcer une réflexion collective et ce jusqu’aux supporters”
 
Qui va apparaître dans le documentaire, en dehors des joueurs et de leurs entraîneurs ?
 
Beaucoup de gens différents. Du plus haut niveau du football, avec Didier Deschamps, par exemple, qui donne une interview, au milieu amateur. Évidemment, nous irons voir des éducateurs, mais nous irons également au-delà. Des anthropologues et des sociologues souhaitent intervenir. Nous réalisons aussi une enquête Ipsos pour mesurer, concrètement, comment l’opinion publique réagirait si un grand joueur de foot annonçait son homosexualité, par exemple. Que ce soit un joueur connu ou non, il s’agit d’amorcer une réflexion collective et ce jusqu’aux supporters. On sait comment ça se passe dans les gradins : les insultes, les chants homophobes etc.
 
Bien sûr, il n’y a pas que de la pure homophobie. Il y a des gens qui lancent des “Pédé” sans même imaginer une seconde que cela puisse faire du mal à un joueur homo. On a envie de différencier le pur homophobe de ceux qui adoptent ce comportement parce qu’ils sont dans un stade de foot et que ça devient un défouloir. C’est important de les différencier car on a tendance à dire que le foot est très homophobe mais peut-être pas plus qu’un autre sport. On ne sait pas. Le football a de l’avance sur la société en termes de racisme. On entend rarement qu’un joueur est refusé par une équipe parce qu’il est algérien ou noir par exemple. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de racisme mais par rapport à la montée du Front national en France, le haut niveau du foot est en avance. Mais, par contre, en ce qui concerne l’acceptation de l’homosexualité, il est en retard.
 
Lorsque vous avez publié un livre, en 2009, vous racontiez que cette médiatisation nécessaire afin de libérer la parole avait, en revanche, eu des conséquences assez négatives sur votre vie privée. Est ce qu’aujourd’hui, vous remarquez une évolution ?
 
Non. C’est terrible. On m’a conseillé de parler pour faire évoluer les choses. Alors, je l’ai fait. Mais, forcement, il y a un retour de bâton. Etre le joueur de foot homo viré de son club amateur, il n’y a pas de quoi bomber le torse. Derrière, vous n’avez que des problèmes. Il y a bien sûr du mépris. Heureusement, je sais me défendre. Quand des gens ont essayé de m’humilier, je n’ai pas tourné le dos. Mais, on en est là, vraiment. Donc non, ça n’a pas évolué. C’est même très compliqué. J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes. La preuve, avec Michel Royer, le réalisateur du film.
 
“Les élus ont un devoir d’exemplarité et ils doivent intervenir”
 
Le ministère des Sports prend véritablement le sujet au sérieux et réfléchit concrètement à des actions. Laura Flessel, bien avant de devenir ministre, s’est investie dans la lutte contre l’homophobie et contre les discriminations en général. Beaucoup de gens se mobilisent, ainsi que les médias qui ont un rôle essentiel à jouer pour sensibiliser le public. Avec la Coupe du monde qui arrive, il y a vraiment quelque chose d’extraordinaire à construire.
 
En parallèle du documentaire, avec votre association Foot ensemble, quelles actions avez-vous prévues pour accompagner cette évolution ?
 
Nous souhaitons créer une sorte de module éducatif. Souvent, des lycées, des associations ou même des clubs de foot amateurs m’appellent pour m’inviter à témoigner. On a donc besoin d’outils. Le documentaire sera décliné en différents formats pour s’adapter aux interventions qui concernent aussi bien l’espace éducatif, les centres professionnels, les clubs de foot amateurs, les associations contre l’homophobie et toutes celles qui veulent participer. Nous souhaitons également créer des groupes de réflexion afin d’apporter des idées, des solutions de sensibilisation. L’association est avant tout un groupe de personnes qui peuvent aider des jeunes et des moins jeunes. Lorsque j’ai fait mon coming out, en 2003, j’étais tout seul. J’ai cherché sur internet des renseignements sur l’homosexualité dans le football. Rien.
 
Je propose, dans l’association, ce que j’aurais aimé trouver à cette époque : du réconfort. On propose une liste d’interlocuteurs – des footballeurs, des supporters mais aussi des psychologues et un éducateur spécialisé. Lorsque j’ai été viré de mon club, mon entraîneur avait dit un truc incroyable : “Yoann Lemaire, on est même pas sûr qu’il soit gay. On ne l’a jamais vu avec quelqu’un. Qu’il prouve déjà qu’il est gay.” Je pense que les élus ont un devoir d’exemplarité et qu’ils doivent intervenir. On ne peut plus parler comme ça, en 2017. Tant que l’élu ne prend pas de décision, on aura toujours des mecs nullissimes à la tête des clubs. Si le président du club n’ose rien dire et bien il faut se rappeler qu’au-dessus, il y a le maire et il doit intervenir. C’est primordial. Il s’agit là d’une piste de réflexion, parmi beaucoup d’autres que nous souhaiterions aborder à l’avenir.
 
Le documentaire Footballeur et homo : l’un n’empêche pas l’autre fait l’objet d’un financement participatif. Sur les 15 000 euros escomptés, un peu moins de 10 000 ont déjà été récoltés à une semaine de l’échéance.