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 d’ADHEOS

Une nouvelle loi vient d’être votée à Saint-Pétersbourg, visant à juger comme crime tout acte s’apparentant à un soutien à la cause homosexuelle, sous couvert de protéger ainsi les mineurs d’une « propagande gay ».
 
Il y a deux semaines, alors que je me demandais si j’allais épingler un triangle rose sur le revers de mon gros manteau noir, Sergei Kondrashov se fait arrêter dans les rues de la capitale du nord de la Russie, avec dans les mains un panneau indiquant : « Une très bonne amie de ma famille est lesbienne. Ma femme et moi l’aimons beaucoup et la respectons tout autant. Sa famille est à l’égal de la nôtre. »
 
Les policiers ont jugé ce panneau illégal, suivant la nouvelle loi, votée à Saint-Pétersbourg, sur l’interdiction de « propagande homosexuelle ». Cette loi, qui se dit protéger les mineurs de toute propagande gay, en décrétant illégale toute action publique défendant la cause homosexuelle et visible par un mineur, est entrée en vigueur en mars. Saint-Pétersbourg est la quatrième région à avoir promulgué une telle loi. Des textes si vastes et imprécis que l’infraction peut-être commise en proposant un service d’accueil téléphonique pour les adolescents homosexuels, de la même façon qu’elle peut l’être en tenant un drapeau arc-en-ciel. 
 
Un projet de loi à l’échelle nationale
 
Malgré de virulentes critiques provenant de l’international, y compris de l’Union européenne et du ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni, de plus en plus de responsables, à Moscou comme au niveau fédéral, envisagent très sérieusement d’adopter une législation identique dans la capitale russe ainsi qu’au niveau national.
 
Se sentant directement visée par cette loi, la journaliste Masha Gessen, auteur de la biographie de Vladimir Poutine, The Man Without A Face, a accordé une interview poignante où elle détaille les conséquences d’une telle loi sur sa famille et sur les autres familles homosexuelles en Russie. Ses trois enfants devant la caméra, âgés de 2 mois à 13 ans, elle a souligné que la loi adoptée à Saint-Pétersbourg, et vraisemblablement bientôt applicable dans tout le pays, interdisait explicitement de « créer de fausses perceptions sociales en plaçant sur un pied d’égalité les familles traditionnelles et les non-traditionnelles. »
 
« Ce qui veut dire que si ma compagne et moi disons à nos enfants, que notre famille n’est pas moins bien que les autres, nous enfreignons alors la loi et devons payer une amende de 5000 roubles (126 €) chaque jour. »
 
 
Un premier pas vers la censure des LGBT
 
Récemment, des organisations LGBT (Lesbien, Gay, Bisexuel et Transgenre) à Saint-Pétersbourg ont acheté de l’espace publicitaire à une entreprise qui a par la suite refusé d’afficher le contenu prévu, craignant d’avoir à verser une amende. Les panneaux d’affichage comportaient des photos du compositeur russe, Piotr Tchaïkovski, de la poétesse russe Marina Tsvetaïeva, et du danseur Rudolf Noureev, accompagnées de citations de leur partenaire du même sexe. Ces ruptures de contrats de dernière minute sont assimilables à une interdiction de diffusion de messages pro-LGBT.
 
 
Des relents fascistes
 
Les craintes que les activistes avaient lorsque la loi n’était alors qu’un projet, se matérialisent progressivement. La loi est utilisée pour faire taire les organisations LGBT. Mais cette loi porte un message encore plus effrayant, auquel homosexuels et hétérosexuels s’opposent à l’unisson : celui, utilisé par les fascistes, que les minorités sexuelles ne sont pas égales aux autres, et qu’elles n’ont donc pas les même droits.
 
Masha Gessen insiste sur le fait que les peuples qui commencent à s’attaquer à une minorité ne s’arrêtent généralement pas là, et encouragent la population à porter des triangles roses en signe de protestation, évoquant ainsi la période nazie et ses camps de concentration pour homosexuels.

 
« Les LGBT ne devraient pas être protégés par les droits de l’Homme »
 
La Russie a ouvertement affiché ses positions contre les droits LGBT lors du sommet du G8 à Washington en refusant de ratifier une déclaration sur les droits de l’Homme à cause de la présence de la phrase : « Les ministres confirment que les droits de l’Homme et les libertés fondamentales sont acquis à la naissance de tout individu, homme ou femme, lesbienne, gay, bisexuel, ou transsexuel. »
 
Le 13 avril, Sergei Ryabkov, Vice-Ministre des Affaires étrangères, interrogé sur la décision prise par le gouvernement russe de ne pas accepter cette phrase, a fait une déclaration notable : « Sous couvert de protéger les minorités sexuelles, on assiste, en fait, à une propagande agressive qui impose une certaine conduite et des valeurs qui sont une insulte à la majorité de la société ». Sergei Ryabkov estime que les groupes LGBT ne devraient pas être protégés par les droits de l’Homme. Ces remarques ne sont malheureusement pas une surprise. Quelques semaines auparavant, alors que la loi était sur le point d’être ratifiée à Saint-Pétersbourg, le supérieur hiérarchique de Sergei Ryabkov , Sergei Lavrov, avait déclaré, au cours d’une interview, que la Russie « s’efforçait de protéger la société de la propagande homosexuelle » et qu’il était normal de procéder ainsi, dans la mesure où les droits des minorités sexuelles n’étaient « qu’un appendice des valeurs universelles ».
 
 
La Russie sanctionnée par la CDH
 
Ces affirmations infondées ne changent bien sûr rien à la réalité des obligations russes quant aux droits de l’Homme. En octobre 2010, la Cour européenne des Droits de l’Homme a reconnu la Russie coupable d’avoir violé ses obligations en empêchant à multiples reprises à des activistes gays de défiler dans les rues. La Cour avait rappelé à la Russie qu’elle devait honorer ses engagements et qu’il n’y avait « aucune ambiguïté » sur le fait que « tout individu a le droit de s’identifier comme gay, lesbienne, ou appartenant à une autre minorité sexuelle, et qu’ainsi en découle le droit de promouvoir ce droit et ces libertés, en particulier en exerçant son droit de se rassembler paisiblement ».
 
Ces textes homophobes régionaux violent donc la loi sur les droits de l’Homme, ainsi que les clauses constitutionnelles de la Russie portant sur la non-discrimination et la liberté d’expression. C’est donc honteux, voire absurde, qu’au lieu de les abroger, les autorités cherchent à légaliser l’homophobie au niveau fédéral prétextant protéger les mineurs et maintenir une morale publique.
 
 
Les tribunaux préconisent la prudence
 
Sergey Kondrashov ignorait tout de cela lorsqu’il a brandi son panneau à Saint-Pétersbourg au début du mois. Il ne s’était jamais perçu comme activiste, jusqu’à ce jour, dans une rue anonyme, lorsqu’il s’est affiché avec un simple message d’égalité et de dignité, le menant à son arrestation.
 
Il a passé cette semaine devant les tribunaux, inculpé pour désobéissance civile. Le juge n’a pourtant pas utilisé la loi sur la « propagande homosexuelle », invoquant un manque de preuves et de protocole. Ces arguments relèvent de la procédure, mais ce jugement a tout de même suscité un certain espoir.
 
Sergey Kondrashov l’a dit lui-même : « Les tribunaux ont peur d’appliquer cette loi et ne veulent pas prendre la responsabilité de son application ».
 
La critique internationale aura plus de chance de faire changer l’avis de la Russie sur la question si plus de personnes, « ordinaires » et hétérosexuelles comme Sergey Kondrashov, se rendent compte qu’ils sont désormais de vrais activistes s’il croient en l’égalité et qu’ils veulent ce qu’il y a de mieux pour leurs amis et tous les homosexuels. « C’est le début d’une longue bataille : je ne cesserai de revendiquer ce que je pense être juste. »
 
Je n’aime pas porter un insigne sur mes vêtements. Cela a toujours été le cas, et le reste encore aujourd’hui. Mais en voyant que la discrimination se légitime en Russie et en entendant des justifications officielles tellement scandaleuses, il est impossible de rester les bras croisés et de ne pas montrer son opposition à une campagne si violemment homophobe.
 
Le printemps arrive enfin à Moscou, après avoir tant attendu le soleil et la chaleur. J’ai donc retiré mon triangle rose de mon gros manteau pour le mettre sur ma veste plus légère. C’est un petit geste, mais ce sont les petits gestes qui peuvent changer le monde