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 d’ADHEOS

Après avoir bataillé près de vingt ans pour récupérer l’ancien HLM qu’occupait l’homme politique dans le Ve arrondissement, la Ville de Paris vient d’en faire un centre d’hébergement. Elle l’inaugure le 27 mars.

C’est une « prise de guerre ». Un symbole. Et peut-être un pied de nez ! Après les locataires LGBT (lesbiennes et gays, bisexuelles et transgenres) relogés dans le HLM de l’opposante au mariage gay, Frigide Barjot, la Ville de Paris vient d’installer des migrants dans le super logement social récupéré à l’ex-ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement.

Le 27 mars prochain, c’est un aréopage d’élus et d’officiels qui inaugurera ce duplex de 120 m2, propriété de la RIVP (Régie immobilière de Paris), deuxième plus gros bailleur social de la ville. Rue Descartes, juste derrière le Panthéon (Ve), se retrouveront ainsi David Belliard, adjoint (EELV) d’Anne Hidalgo, président de la RIVP, Christine Laconde, directrice générale de la RIVP, et les représentants de l’association Basiliade, qui accompagne et encadre ces jeunes migrants, d’un point de vue juridique, médical, psychosocial…

Le duplex de l’ancien ministre de François Mitterrand, qui a connu quatre ministères, 84 ans ce jeudi, fait désormais partie des sept « appartements escale » de la capitale, centres d’hébergement d’urgence soutenus financièrement par la Ville et l’État. Ils accueillent, presque à titre gracieux, via des baux de six mois, des jeunes migrants LGBT sans domicile, qui ont dû fuir leur pays d’origine à cause de persécutions liées à leur orientation sexuelle.

Ce duplex de cinq pièces, baigné de lumière et de calme, que nous avons visité, occupe exclusivement le quatrième et dernier étage — avec ascenseur — d’un joli petit immeuble ancien. Il est équipé d’un grand salon, d’une cuisine, de quatre chambres, d’un escalier intérieur, d’une terrasse avec vue sur l’église Saint-Étienne-du-Mont ou encore d’une verrière au look d’atelier d’artiste.

En 2011, le loyer de Jean-Pierre Chevènement, qui a occupé cet appartement pendant 35 ans, y compris quand il bénéficiait de son logement de ministre place Beauvau et d’un autre HLM quand il était sénateur sur le territoire de Belfort, s’élevait à quelque 1 600 euros par mois. « Le tiers du loyer normal », commente un agent immobilier.

« On sait qu’il y a eu ici un riche locataire »

Mercredi dernier, Axel (son prénom a été changé), l’un des quatre nouveaux locataires, « citoyen du monde » comme il se définit lui-même, venu d’Afrique au terme d’un voyage compliqué via la Russie, étudiant en doctorat, 26 ans, gay, demandeur d’asile, se disait « content d’avoir un toit sur la tête ». « C’est bien que cet appartement soit à destination des personnes en grande précarité. » Et d’ajouter : « On sait qu’il y a eu ici un riche locataire. »

Ces nouveaux jeunes occupants ne font toutefois pas l’unanimité dans ce petit immeuble à l’ambiance feutrée. « Ils sont bruyants, tacle un locataire. Ils vivent la nuit. » Alors que « Monsieur Chevènement était discret et adorable », souffle une sexagénaire. D’ailleurs, ici, tout le monde le connaissait. « Il faisait soigner ses bobos chez l’infirmière au rez-de-chaussée. »

Ce duplex faisait partie de ce que Jean-Baptiste Eyraud, le porte-parole du DAL (Droit au logement), appelle les « HLM dorés », attribués dans la plus grande opacité, bien avant les commissions d’attribution, du temps de Jacques Chirac, alors maire de Paris. « C’était le temps où la Ville était bonne fille », commente non sans humour Jean-Pierre Lecoq, maire du VIe, en voisin bien informé, qui connaît Jean-Pierre Chevènement, « qu’on a bien emm… avec cette histoire d’appartement ».

Pendant près de vingt ans, les adjoints de Bertrand Delanoë, ancien maire (PS) de Paris, et d’Anne Hidalgo, qui souhaitaient faire le ménage dans ces HLM de luxe, ont en effet essayé de faire partir l’homme politique, « par souci d’exemplarité ». Jusqu’en 2019, Jean-Pierre Chevènement, par ailleurs propriétaire d’autres biens immobiliers et qui jouissait d’une double retraite d’ancien ministre et parlementaire, refusait de partir, dénonçant « des méthodes inquisitoriales ».

« La vocation de la RIVP, c’est de faire du logement social, pas de loger d’anciens ministres »

« Monsieur Chevènement est parti de lui-même quand son appartement a été conventionné », détaille David Belliard. Dans les faits, la RIVP a décidé de conventionner ces logements à l’origine à loyer libre, qui échappaient à tout contrôle, en « vrais » HLM.

Jean-Pierre Chevènement, tout comme les autres locataires du parc social, a été invité à se soumettre à l’enquête annuelle des revenus, feuille d’impôts à l’appui, pour voir s’il n’était pas assujetti au supplément de loyer de solidarité (SLS). L’ancien ministre, à son grand dam, s’est alors retrouvé avec un loyer mensuel de 4 000 euros. « La vocation de la RIVP, tacle l’écologiste David Belliard, c’est de faire du logement social, pas de loger d’anciens ministres ou des stars du show bizz, notamment ceux qui ont les moyens de se loger dans le privé. »

À droite, Florence Berthout, la maire (DVD) du Ve, informée du départ de son administré mais pas de l’installation de ce centre d’hébergement de migrants sur son arrondissement, a une autre lecture des faits : « Tout ça, c’est un coup de communication de la Ville. Elle pratique la technique du pompier pyromane. On crée le bordel et on fait semblant d’avoir trouvé la solution. »

Contacté, Jean-Pierre Chevènement a fait répondre, via son attaché de presse, qu’il ne souhaitait pas commenter cette « affaire sensible ».