NEWS
Les actualités
 d’ADHEOS

Pour inaugurer notre partenariat avec ART & LGBT, son fondateur, Bernard Hasquenoph, à qui l’on doit aussi Louvre pour tous, dresse le portrait de la passionnée d’art Rose Valland, dont est inspiré le personnage joué par Cate Blanchett dans «Monuments Men».
 
Le film américain Monuments Men sort sur les écrans. Réalisé par George Clooney avec un casting prestigieux, il met en scène un épisode méconnu de la Seconde Guerre mondiale, le sauvetage par des spécialistes de l’art enrôlées dans l’armée américaine des œuvres spoliées par les nazis. Seule femme au générique, le personnage de Claire Simone interprété par Cate Blanchett et inspiré de la résistante française Rose Valland (1898-1980). Celle-ci travaillait comme attachée de conservation au musée du Jeu de Paume à Paris. Durant l’Occupation, elle y espionna les nazis qui se servirent du lieu pour entreposer objets et œuvres d’art volés à des collectionneurs juifs. Un trafic qui devait profiter en priorité au musée qu’Hitler projetait de se faire construire. Quant à l’art dit «dégénéré», il était vendu, sinon détruit.

Les informations que Rose Valland recueillit minutieusement au péril de sa vie facilitèrent la localisation, après la guerre, des œuvres transférées en Allemagne. Elle-même partit sur leur trace, engagée dans l’armée française comme «capitaine Beaux-Arts». C’est ainsi qu’elle fréquenta ceux qu’on appelle les Monuments Men. Multi médaillée pour son activité de résistante, en 1961, elle publia un livre référence, Le Front de l’art, témoignage en même temps que document, que la Réunion des musées nationaux réédite aujourd’hui, accompagné d’un appareil critique.
 
S’il a le mérite de remettre sous le feu de l’actualité la question des spoliations nazies et leurs restitutions toujours pas complètement réglées, autant le dire, le film n’est pas très bon. Non pas parce qu’il prend des libertés avec l’Histoire, mais parce que d’un sujet fort en ressort une épopée fade qui égrène les clichés les plus éculés. Ainsi, Rose Valland alias Claire Simone, sinistre et trouble, est présentée comme l’archétype supposé de la Parisienne, femme facile prête à coucher avec le premier Américain venu, un flirt voulu par George Clooney.
 
En plus d’être sexiste, on est plutôt loin de la réalité historique puisque Rose Valland était homosexuelle. Pas assez politiquement correct sans doute pour un film hollywoodien grand public. Une donnée absente également de la plupart des ouvrages qui, l’évoquant, la présente comme une vieille fille, mais pas de la biographie que lui a consacrée en 2006 l’historienne et femme politique Corinne Bouchoux, qui contribua à la remettre en lumière. Il faut dire que la sénatrice écolo est sensible à la question, étant la seule parlementaire ouvertement lesbienne. Elle est également l’auteure de la notice de Rose Valland dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (éd. Larousse). En dévoilant cet aspect de sa vie, elle n’a commis aucun outing envers Rose Valland puisque celle-ci, plutôt discrète, avait choisi de rendre public l’amour qu’elle portait à sa compagne Joyce Heer, après son décès en 1977.
 
Toutes deux s’étaient connues probablement dans les années d’après-guerre. Née en1917, Joyce, d’origine britannique, fut secrétaire-interprète à l’Ambassade des États-Unis, à Paris. Les deux femmes partageaient un appartement rue de Navarre dans le Ve arrondissement. À la retraite, Joyce reprit des études à la Sorbonne et se passionna pour la Grèce antique. Elle obtint un doctorat, luttant contre un cancer qui finit par l’emporter. Elle s’éteignit avant d’avoir pu voir éditée sa thèse. Rose s’y employa et, en 1979, parut La Personnalité de Pausanias aux éditions des Belles Lettres.
 
En vis-à-vis d’une photo d’une Joyce rayonnante, un avant-propos signé par son directeur de thèse révèle, avec pudeur et avec l’accord de Rose Valland, les liens qui unissaient les deux femmes: «Elle habitait Paris chez une amie qui lui avait appris le français et qui depuis très longtemps l’aimait comme une très proche parente. Bien des personnes vont deviner qui est cette amie avant que je ne dise son nom, si j’indique que, Conservateur du Musée du Jeu de Paume pendant la guerre…» Et de rappeler les exploits de la résistante qui décédera un an plus tard, dans une relative solitude. Il faudra attendre 20 ans pour que, peu à peu, elle ressorte de l’oubli. Le couple repose dans le caveau familial des Valland au cimetière de Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs, dans l’Isère. Dernière demeure commune et préface officialisant leur union, pour Corinne Bouchoux, «venant d’une dame née à la fin du XIXe siècle, ces gestes ne manquent pas d’audace».
 
À l’heure où les jeunes homosexuel.le.s, filles et garçons, souffrent du manque de modèles historiques, Rose Valland demeure une héroïne extraordinaire. Encore faut-il qu’ils et elles aient connaissance de toute la richesse de sa personnalité.
 
Bernard Hasquenoph, fondateur de Louvre pour tous et de Art & LGBT