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 d’ADHEOS

A 44 ans, Issa Diatta (pseudonyme) a quitté le Sénégal récemment pour pouvoir rejoindre l’Espagne puis la France, afin de pouvoir assumer sa transidentité, impossible à vivre chez lui, dans la région de Thiès. Militant des droits des personnes LGBTI+ et styliste de renommée dans son pays, c’est à regret qu’il a dû fuir à cause de l’homophobie galopante au Sénégal.

  1. Parle nous de ta transidentité au Sénégal.

« Je suis de sexe masculin, mais par moment, je me sens femme, notamment lorsque je suis en compagnie d’hommes virils. En Occident, on emploi le terme de « gender-fluid » et c’est ce qualificatif qui répond le mieux à mon identité de genre. Néanmoins au quotidien au Sénégal, j’étais bel et bien l’objet d’homophobie car mon expression de genre est typiquement masculine. De toute façon, dans le contexte sénégalais, il est impossible de pouvoir se revêtir en robe lorsque l’on est de sexe masculin. C’est pour cela que ce n’est qu’à 25 ans que j’ai compris que j’étais transgenre et non gay. Par la suite, j’ai toujours gardé pour moi ma transidentité, pour ne pas m’exposer à des tentatives d’exorcismes. En Occident, on parle de « thérapie de conversion » ».

2. Qu’est ce qui t’a fait quitter le Sénégal ?

« Vu la situation de mon pays en ce moment, dès que j’ai eu une opportunité de m’en aller, je suis parti, car l’islamisme commence à gangréner la société sénégalaise, notamment sous la houlette du collectif And Samm Djikko Yi (« ensemble pour la défense des valeurs » en wolof). Je suis styliste de métier et mes collections sont très réputées, mais même mon gagne-pain ne me permettait plus de vivre en toute sérénité en raison de l’annulation de certains défilés. Au Sénégal, c’est l’ensemble du secteur de la culture et de la mode qui est dans le viseur de certaines ligues de la vertu.

Par exemple, au Sénégal, quand les gens voyaient mes neveux et nièces bien habillés, les gens leur disaient que c’est parce que leur oncle est un « goordjiguen » (littéralement « homme-femme » ou trivialement « pédé » en argot wolof) et qu’il a de l’argent en ayant des relations sexuelles tarifées avec des hommes riches. Plus généralement, mon succès attisait de la jalousie et l’on prêtait ma réussite à mon appartenance supposée à des lobbies maçonniques ou homosexuels. Ces derniers mois, les pressions de Jamra se faisait plus pressante et la liste des clients qui décommandaient l’achat de tuniques auprès de mon atelier s’allongeait ».

3. Comment analyses-tu la montée de cette LGBTphobie au Sénégal ?

« Jamra et And Samm Djikko Yi nous traquent et connaissent le parcours des organisations militant en faveur des personnes LGBTI+ au Sénégal, car en 2008, on a fait l’erreur d’associer les marabouts et les leaders religieux du clergé islamique, à nos actions de lutte contre le VIH en direction des publics vulnérables. Aujourd’hui, ce sont ces mêmes personnes que l’on invitait et qui s’attablaient à côté de nous, qui nous vouent aux gémonies et nous persécutent odieusement. On a pensé naïvement pouvoir compter sur leur compréhension et leur influence, afin de faire reculer certains stigmates qui freinent la lutte contre le VIH, mais on s’est bel et bien trompé. On en paye le prix amèrement ».

4. Aujourd’hui, comment vois-tu ton avenir ?

« Je me sens en sécurité en Europe. Je suis entré en France après un détour par l’Espagne. Mon premier rendez-vous administratif est pour bientôt. Je suis toujours en contact avec mes proches qui sont soulagés de savoir que je suis sain et sauf. En même temps, ils sont tout aussi soulagés par mon absence, en raison du poids du regard social et des jugements des pairs au sein de la communauté dont je suis issu.

Maintenant, je désire obtenir un peu de stabilité, après quelques mois de tumultes au Sénégal, en lien avec l’homophobie et la radicalisation islamiste. Spontanément, j’aimerais pouvoir faire ici le même métier qu’au Sénégal, à savoir être styliste. Dans le même temps, je crains que cela ne me maintienne dans une certaine nostalgie. Par conséquent, si je peux trouver autre chose à faire comme travail, pourquoi pas.

Enfin, des fois, je me sens quelque peu coupable d’être parti, à l’instar d’autres leaders LGBTI+ de mon pays. Toutefois la recherche d’un havre de paix et de sécurité est un besoin autant indispensable qu’universel ».

Les personnes et organisations, souhaitant pouvoir contacter Issa pour lui proposer une collaboration professionnelle, peuvent lui écrire à l’adresse de courriel suivante : collectiffree.urgence@gmail.com.