NEWS
Les actualités
 d’ADHEOS

Persécutés en Tchétchénie, des demandeurs d’asile homosexuels viennent trouver refuge en France. Mais même une fois arrivés dans l’Hexagone, ils craignent encore des représailles de la partie la plus conservatrice de la communauté tchétchène.
"J’ai peur. Je ne sors jamais de chez moi”. En France depuis plusieurs semaines, Mourad* fait partie de ces homosexuels tchétchènes persécutés qui, après avoir rejoint Moscou avec l’aide clandestine du LGBT Network Russia, ont été exfiltrés vers d’autres pays. Accueilli avec un visa humanitaire, sa demande d’asile est en cours de traitement. Pour l’heure, en plus de la France, la Lituanie, l’Allemagne et le Canada prennent sous leur aile quelques-uns de ces réfugiés. Mais même une fois qu’ils sont arrivés dans l’Hexagone, les autorités et associations chargées de l’accompagnement de ces exfiltrés craignent que leur vie reste menacée, par des membres de la communauté tchétchène. “Les crimes dits d’honneur sont tolérés en Tchétchénie, voire encouragés par les autorités et la société”, rappelle Joël Deumier, président de SOS homophobie. En conséquence de quoi, Mourad est hébergé dans une ville de province dont la localisation est tenue secrète. Objectif : l’isoler de la communauté tchétchène de France, la plus importante au monde avec 68.000 membres et réputée comme particulièrement conservatrice.
 
L’alerte sur l’existence de prisons d’Etat officieuses pour homosexuels en Tchétchénie a été donnée début avril grâce aux révélations du journal indépendant russe Novaïa Gazeta. Le journal a alors dénoncé l’enfermement, les tortures et l’assassinat d’homosexuels de cette république du Caucase, membre de la Fédération de Russie et dirigée de main de fer par Ramzan Kadyrov. Lequel a déclaré pas plus tard que le 14 juillet, sur la chaîne américaine HBO : "Ils sont le diable. Il faut s’en débarrasser, ce ne sont pas des hommes", appelant à “purifier notre sang”.
 
Dénoncées par un collègue ou un membre du “clan familial”, trahies par les répertoires téléphoniques et les réseaux sociaux, les victimes de ces arrestations se compteraient au nombre de 200. Et divers témoignages rapportent que beaucoup y ont laissé la vie. Mourad, lui, a été libéré grâce à la pitié d’un de ses geôliers. Pour quelques autres, une absence de preuves suffisantes, ou un moment d’inattention des gardes a permis de retrouver la liberté.
 
Agressions en Allemagne
 
Si aucune exaction visant spécifiquement un homosexuel tchétchène en France n’a été portée à ce jour à la connaissance de Marianne, "les menaces restent possibles, nous assure Victoria, chargée de la coordination avec le réseau LGBT Russian Network pour SOS homophobie. En Allemagne ou en Belgique, des violences entre Tchétchènes se sont déjà produites". Depuis plusieurs mois à Berlin, un gang tchétchène d’une centaine de personnes sévit ainsi, revendiquant le statut de "police" de la communauté. Ses membres pourchassent les femmes et les hommes dont l’attitude est interprétée comme "déviante" au regard de l’adat, la loi coutumière tchétchène imposant un code de conduite traditionaliste. Comme le rapporte le journal berlinois Der Tagesspiegel, des passages à tabac ont été recensés par la police fédérale.
 
Fin 2016, un homme "non-tchétchène", filmé discutant et flânant avec une femme de la communauté, s’est par exemple fait casser les dents à son domicile par une douzaine d’individus. Quelques mois plus tôt, en septembre, des photos nues d’une Berlinoise d’origine tchétchène ont été diffusées à tous ses contacts. Son oncle, ulcéré, a comploté avec ses parents pour l’envoyer en Tchétchénie se faire exécuter par sa famille. La police allemande est parvenue à intervenir quelques heures seulement avant que la victime n’embarque pour la Russie. Cette chasse aux sorcières s’est étendue aux gays en mai dernier. Signalé par le média russophone Meduza, un enregistrement vidéo contenant un appel au meurtre a été diffusé dans la communauté berlinoise via WhatsApp. Et il paraît aussi commencer à tourner en France depuis quelques semaines, selon nos informations.
 
S’attaquer aux "soi-disant hommes"
 
Dans cette vidéo que Marianne a pu consulter, trois images se succèdent : un logo semblable au drapeau tchétchène indépendantiste ; une phrase en Russe appelant à s’abonner à une chaîne Youtube faisant l’apologie du terroriste tchétchène de l’Etat islamique Mohammed al-Chichani (tué en 2016 par l’armée américaine) ; et, lorsque l’auteur commence à s’exprimer, une image d’un homme masqué pointant une arme vers l’objectif . C’est sur cette dernière, fixe, que l’auteur procède dans sa langue natale à son appel au meurtre. "Ici, en Europe, nous avons des femmes avec un comportement compromettant, et des hommes avec une attitude féminine. Cela est très grave."
 
L’auteur, qui affirme appartenir à un groupe "d’environ 80 personnes", "jure sur le Coran" et "au nom d’Allah", de s’attaquer aux "soi-disant hommes qui prétendent être hommes et Tchétchènes". "Dès que nous en aurons l’occasion, nous réglerons leur compte", menace-t-il. "Ne dites pas après qu’on ne vous a pas prévenus, et que vous n’étiez pas au courant. (…) Que Dieu nous remette sur la bonne voie."
 
"Politique du zéro risque"
 
Que savent les acteurs français impliqués dans l’accueil des réfugiés de ce document ? "Je n’étais pas au courant mais on ne peut pas être surpris", réagit Cécile Coudriou, vice-présidente d’Amnesty France. Les associations LGBT impliquées vont engager une plainte commune. Averti, François Croquette, ambassadeur français aux droits de l’Homme chargé du dossier pour l’Etat, a transmis l’enregistrement aux services du ministère de l’Intérieur. Mais l’ambassadeur nous certifie que “les éventuelles menaces de la part de membres de la communauté tchétchène ont été anticipées dès le départ".
 
Le diplomate préfère notamment garder sur le sujet une certaine distance avec les associations tchétchènes de France. Certaines “se sont manifestées pour savoir si elles pouvaient aider, nous enregistrons mais pour l’instant, nous n’en avons pas besoin”, nous explique-t-il prudemment. “Nous appliquons la politique du zéro risque”, justifie-t-il, soulignant que l’accueil de ces hommes menacés dans leur pays a dû s’organiser dans l’urgence.
 
Des mesures d’isolement drastiques
 
En conséquence, associations et officiels cultivent le secret sur ces personnes exfiltrées. Rien sur leur nombre, ni les endroits où ils se trouvent. “Donner des détails personnels peut être dangereux pour eux”, indique Victoria. Ce qui est encore plus valable pour d’éventuelles réfugiées lesbiennes, doubles victimes potentielles des crimes d’honneur, dont les associations ne veulent rien dire.
 
Habituellement, les réfugiés en attente de réponse pour leur demande d’asile sont logés dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). Mais la crainte qu’ils y croisent des compatriotes contraint les associations à trouver une autre solution : des volontaires russophones assurent donc l’hébergement. Pour la même raison, les réfugiés gays tchétchènes ne suivent pas de cours de français avec les autres. “Il faut donc leur trouver des professeurs de français volontaires pour des cours individuels ou avec des réfugiés LGBT d’autres pays”, poursuit Victoria.
 
Le premier réfugié, accueilli le 29 mai, suit même une procédure pour changer d’identité et franciser son nom. Une étape “indispensable”, selon le président de SOS homophobie. En attendant, “ils s’ennuient, ne font rien à part rester chez eux et attendre que leur demande d’asile soit traitée”, ajoute Guillaume Mélanie, qui a fondé Urgence Tchétchénie pour sensibiliser l’opinion publique, trouver un logement à ces exfiltrés et les accompagner au quotidien. Car leur isolement s’ajoute à la peur et aux traumatismes des sévices subis dans leur pays. Et l’association de lancer ce message aux éventuels membres de la diaspora tchétchène prêts à perpétuer ici les crimes commis par leur pays : "Si vous touchez à un seul cheveu des réfugiés homosexuels, vous aurez toute la France contre vous."